Justice fiscale : "L'inégalité qui se creuse, c'est celle de l'égalité des chances et de la mobilité sociale", estime Philippe Aghion, prix Nobel d'économie 2025
/2023/07/05/64a55fd777de4_placeholder-36b69ec8.png)
Invité de "Tout est politique" mercredi 15 octobre, l'économiste Philippe Aghion, récompensé du prix Nobel d'économie 2025, revient sur la question des inégalités en France, s'attardant sur l'éducation et la taxation des hauts revenus.
Alors que le projet de budget 2026 du nouveau gouvernement de Sébastien lecornu prévoit des milliards d'économies, avec notamment des hausses d'impôts sur les hauts revenus, Philippe Aghion, prix Nobel d'économie 2025, commente dans "Tout est politique" mercredi 15 octobre, les choix de l'exécutif et les débats en cours dans la classe politique.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
Sonia Chironi : Vous dites que les inégalités ne sont pas si fortes, et que finalement, le système français, est l'un des plus redistributifs au monde. Mais ma question, quand même, c'était : est-ce qu'on a tendance un peu à l'oublier dans le débat qu'on a en France ces dernières semaines, qu'on redistribue quand même beaucoup dans notre pays ?
Philippe Aghion : Alors, je pense qu'effectivement, on tend à oublier que la France est un des pays les plus redistributifs, où la taxation des revenus est la plus élevée. Mais ceci dit, moi, j'ai un souci par rapport à l'inégalité. C'est l'inégalité d'accès à une éducation de qualité, l'égalité des chances, par exemple. Ce qui me préoccupe beaucoup, c'est la mobilité sociale. Pour moi, ce qui est le plus révoltant, ce sont les trappes de pauvreté et le fait que l'origine sociale détermine votre devenir. Ça, c'est ce qui me révolte. Je suis vraiment un social-démocrate, mais je suis un social-démocrate qui a à cœur que n'importe quel talent, quelle que soit son origine sociale, puisse s'épanouir et puisse avoir les mêmes chances de s'accomplir. Et là, il y a eu une grosse détérioration en France. Comme jamais auparavant, les performances éducatives sont reliées au milieu social. Notamment, la performance aux tests PISA. Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut pas avoir de nouvelles mesures pour taxer, et on va en parler tout à l'heure, mais moi je pense que l'inégalité, elle est d'abord à l'école, c'est d'abord là que ça se passe.
Nathalie Saint-Cricq : On ne peut pas dire que ce soit par manque de moyens.
Non, non, non, je n'ai pas dit ça du tout...
Mais je vous demande, à quoi l'imputez-vous ; à la baisse de qualité, au fait qu'on refuse la sélection, qu'il y a un manque d'enseignants ? Quelle est la cause ?
Alors, ça peut être un des moyens mal alloués. Ce n'est pas juste qu'on ne dépense pas assez. On a une école, on doit faire une réforme comme les Finlandais l'ont fait, ou comme les Portugais l'ont fait récemment. C'est-à-dire de dire... Je vais mettre l'accent à l'école sur le calcul. D'abord, les manuels. Il faut retourner aux manuels. Je suis très traditionnel en matière d'éducation. Je pense qu'à l'école, il faut avoir des livres, de beaux livres qu'on couvre bien, où on étudie la grammaire, le calcul. Je pense que ça doit être des matières de base. Je crois beaucoup qu'il faut mettre l'accent sur les matières de base, des manuels. Et le manuel qu'on a abandonné beaucoup trop. Je suis contre, évidemment, les iPhones à l'école, etc. Je pense qu'il faut également que les devoirs soient faits à l'école le plus vite possible et qu'il y ait des tuteurs pour des élèves en difficulté et qu'il y ait, évidemment, moins d'élèves dans les classes. Ça peut signifier des investissements ou une réallocation d'investissements. Le système finlandais, je vais vous dire comment il fonctionne : au niveau centralisé, vous avez le programme. Les programmes sont conçus de manière centrale, comme chez nous. Ensuite, les professeurs doivent faire cinq ans de formation après le bac, dont un an et demi de pédagogie, et ils sont recyclés régulièrement. Et puis, l'évaluation des écoles est centralisée. Donc on peut comparer les performances et voir s'il y a une école qui va. Le reste est assez décentralisé. On devrait beaucoup plus décentraliser le reste. Mais avec les programmes centralisés, la formation des maîtres avec les standards centralisés et l'évaluation centralisée. Et le reste devrait être assez décentralisé, mais avec des idées de base. Calcul, grammaire, dictée… Il faut faire des dictées tout le temps, les fautes d'orthographe, ce n'est pas admissible. Et les devoirs à l'école, des classes moins nombreuses, des profs bien formés, bien payés, s'ils font plus, que les profs soient correctement payés, parce que sinon ce qui se passe, c'est que personne ne veut être prof et on accepte des profs à un niveau très bas. Et un système de tuteurs pour les élèves en difficulté. Si on fait tout ça, ça ne veut pas forcément dire dépenser plus, mais peut-être dépenser mieux.
"Vous mettez la taxe Zucman, ça veut dire que la France échappe à la révolution de l'IA"
Ça veut dire quand même que vous battez en brèche près de 50 années de pédagogisme classique, en disant qu'il faut arrêter les notes...
Absolument, là-dessus, je suis très réactionnaire. Mais avec les tuteurs, des classes moins nombreuses… Ça, c'est la source d'inégalité la plus importante en France. C'est tout à fait les travaux de mon ami Xavier Jaravel également. Si les enfants de classes défavorisées avaient le même accès à l'éducation que les favorisés, nous aurions beaucoup plus de croissance et d'innovation en France. Et ça, c'est le merveilleux travail sur le livre Les Marie Curie perdues de Xavier Jaravel. Et je vous conseille de lire ce livre, qui est merveilleux. Donc ça, c'est la source principale de l'inégalité. Vous voyez, c'est beaucoup plus important. Et c'est ça qui me paraît bizarre, si vous voulez, le temps que le Parti socialiste consacre à la taxe Zucman par rapport à ce dont je viens de parler. Je trouve que c'est aberrant de ne pas parler beaucoup plus de l'inégalité qui se creuse, c'est-à-dire celle de l'égalité des chances et de la mobilité sociale.
Sonia Chironi : Est-ce qu'il faut quand même taxer davantage les très riches qui, proportionnellement, payent moins d'impôts que la classe moyenne ?
Alors, je pense qu'il y a un vrai problème effectivement, mais je ne veux pas le faire de manière punitive. D'abord, il faut encourager les gens à entreprendre. Je ne veux pas taxer l'outil de travail davantage. Je ne veux pas pénaliser quelqu'un comme Arthur Mensch qui crée Mistral, qui est notre espoir dans l'intelligence artificielle. Et si on appliquait la taxe Zucman, c'est bien qu'on l'impose sur des revenus non réalisés. La taxe Zucman, ça veut dire qu'il est valorisé, donc sa firme est valorisée à 12 milliards. Lui, il ne gagne rien pour le moment. Ils devraient trouver des financiers, pas pour innover, mais pour payer des impôts sur un revenu qu'ils ne réalisent pas. Il y a des concurrents dans d'autres pays qui n'ont pas à faire ça. Ça veut dire qu'on perd la course en IA. Vous mettez la taxe Zucman, ça veut dire que la France échappe à la révolution de l'IA. C'est ça que ça veut dire, immédiatement. Alors, est-ce qu'on ne doit pas faire quelque chose quand même pour les riches ? Oui. C'est-à-dire, qu'à mon avis, les patrimoines élevés, mais l'usage non productif un peu plus ; la niche Dutreil, elle est très bien, mais il faut la mettre à plat. Il y a des gens qui en abusent. Les holdings patrimoniaux, je ne dis pas qu'il faut les supprimer. Mais il y a des gens qui achètent leur chalet, leur avion personnel avec ces holdings. Il faut les regarder. C'est-à-dire que je suis pour une mise à plat et pour lutter contre les abus. Et peut-être une taxe exceptionnelle sur les patrimoines, mais pas sur le patrimoine, j'exclus l'outil. Ça, c'est mes règles de base à moi.
Cliquez sur la vidéo pour regarder l'entretien en intégralité.
À regarder
-
Tempête "Benjamin" : des annulations de trains en cascade
-
Femme séquestrée : enfermée 5 ans dans un garage
-
Vaccin anti-Covid et cancer, le retour des antivax
-
A 14 ans, il a créé son propre pays
-
Ils piratent Pronote et finissent en prison
-
Aéroports régionaux : argent public pour jets privés
-
Bali : des inondations liées au surtourisme
-
Cambriolage au Louvre : une nacelle au cœur de l'enquête
-
Alpinisme : exploit français dans l'Himalaya
-
Un objet percute un Boeing 737 et blesse un pilote
-
Cambriolage au Louvre : où en est l'enquête ?
-
Jean-Yves Le Drian défend l'image de la France
-
Chine : 16 000 drones dans le ciel, un nouveau record du monde
-
Donald Trump lance de (très) grands travaux à la Maison Blanche
-
Glissement de terrain : des appartements envahis par la boue
-
Emmanuel Macron sème la confusion sur la réforme des retraites
-
Tornade meurtrière : scènes d'apocalypse dans le Val-d'Oise
-
Nicolas Sarkozy : premier jour en prison
-
La lutte sans relâche contre les chauffards
-
L'OMS alerte sur la résistances aux antibiotiques
-
Les frères Lebrun, du rêve à la réalité
-
Que disent les images de l'incarcération de Nicolas Sarkozy ?
-
Algospeak, le langage secret de TikTok
-
Une Russe de 18 ans en prison après avoir chanté des chants interdits dans la rue
-
Cambriolage au Louvre : d'importantes failles de sécurité
-
"Avec Arco, on rit, on pleure..."
-
Wemby est de retour (et il a grandi)
-
Arnaque aux placements : la bonne affaire était trop belle
-
Une tornade près de Paris, comment c'est possible ?
-
La taxe Zucman exclue du prochain budget
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter