Casting qui tranche, esthétique soignée, vision du couple qui fait débat... Pourquoi la version française de "Love is Blind", la téléréalité de Netflix, passionne le public

"Pour le meilleur et à l'aveugle", nouvelle déclinaison internationale du programme de rencontres, met en scène trente célibataires qui apprennent à se connaître sans se voir. L'épilogue du show, présenté par Teddy Riner, est mis en ligne dimanche.

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Teddy Riner et Luthna Plocus face aux candidates de "Pour le meilleur et à l'aveugle", l'adaptation française de l'émission de téléréalité "Love is Blind". (NETFLIX)
Teddy Riner et Luthna Plocus face aux candidates de "Pour le meilleur et à l'aveugle", l'adaptation française de l'émission de téléréalité "Love is Blind". (NETFLIX)

L'amour est-il vraiment aveugle ? C'est la question à laquelle 15 femmes et 15 hommes tentent de répondre dans "Pour le meilleur et à l'aveugle", la version française de l'émission de rencontres "Love is Blind", dont le dernier épisode sera disponible sur Netflix à partir de dimanche 5 octobre. Depuis mi-septembre, le show s'est classé parmi les dix programmes les plus regardés sur la plateforme de streaming et fait l'objet de milliers de vidéos sur les réseaux sociaux, y compris à l'étranger. "Les Français ne rigolent pas ! Il y a du drame, il y a de la connexion, de l'authenticité", salue une anglophone sur TikTok.

Lancée en 2020 aux Etats-Unis, la franchise s'est déjà exportée au Royaume-Uni, en Suède, au Japon, en Argentine ou encore aux Emirats arabes unis. Le modèle est identique : des célibataires en quête d'amour et de mariage enchaînent les rendez-vous pendant dix jours dans des capsules séparées par une vitre opaque. Ce n'est que lorsqu'une demande en mariage est formulée qu'un couple peut se découvrir physiquement. Dès cette première rencontre, l'homme (dans l'écrasante majorité des cas) pose un genou à terre, demande officiellement la main de celle qu'il vient de rencontrer, et les deux tourtereaux filent en lune de miel, avec le reste des couples formés pendant l'émission. Puis, de retour à Paris, ils emménagent ensemble dans un appartement prêté par la production, récupèrent leur téléphone portable, découvrent le quotidien de l'autre, rencontrent ses proches, avant de se dire "oui"... ou "non" devant l'autel. Le tout en moins de deux mois.

"Moins honteux d'en parler à la machine à café"

Durant dix épisodes, Netflix multiplie les rebondissements et insiste sur les tensions entre les candidats. Un classique de la téléréalité, souligné ici par une production léchée. "Depuis que Netflix s'est lancé dans la téléréalité, il y a cinq ans, la plateforme a investi beaucoup d'argent dans ces contenus et les images sont bien plus qualitatives que dans les autres shows", décrypte Constance Vilanova, chroniqueuse pour franceinfo, journaliste spécialiste de la téléréalité et autrice de Vivre pour les caméras (éditions JC Lattès). "Tout est millimétré dans l'esthétique, c'est presque de l'ordre de la fiction", complète Virginie Spies, sémiologue et maître de conférences à l'université d'Avignon.

Pour attirer un public plus large, le programme est présenté par le judoka Teddy Riner et de sa compagne, Luthna Plocus, même si le couple n'a qu'un rôle marginal. "C'est aussi une émission qui choisit de ne pas aller dans la vulgarité, mais davantage dans la confidence et l'intimité, pour se distinguer de téléréalités plus classiques comme 'La Villa des cœurs brisés'", célèbre programme de W9, relève Virginie Spies. 

"Il n'y a pas de clash violent, tout est très maîtrisé et plus aseptisé. Ça crée une distinction avec le reste de la téléréalité en tentant de rendre le show plus respectable."

Constance Vilanova, journaliste spécialiste de la téléréalité

à franceinfo

"C'est moins honteux de parler de 'Love is Blind' à la machine à café que du dernier épisode de 'La Villa des cœurs brisés', en partie parce que Netflix n'est pas tâché de mépris de classe comme certaines chaînes de la TNT", ajoute Constance Vilanova.

L'émission a conquis jusqu'outre-Atlantique avec sa "touche française", embraye la journaliste. Car, si chaque déclinaison reprend la même trame, les émissions sont teintées d'une couleur locale. "L'adaptation française suscite de l'intérêt à l'étranger parce que notre pays a cette image de sexualité débridée et que les femmes françaises fascinent, développe Constance Vilanova. On voit aussi des gros plans sur la tour Eiffel, tout ça est calculé pour satisfaire le public étranger."

Un casting très étudié

Le succès de l'émission tient aussi à son casting, fruit de huit mois de recherches pour la production, explique la directrice des programmes de Netflix à Ouest-France. Avec un profil type : "Des urbains de plus de 30 ans qui ont tout, sauf l'amour." "C'est une vraie expérience sociale et c'était important de l'adapter aux usages français, explique Dolores Emile. C'est pour ça que le casting est un peu plus âgé que dans d'autres pays, parce que chez nous, la question du mariage se pose plus après 30 ans."

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Parmi les cœurs à prendre, on trouve une juriste, plusieurs entrepreneurs, un architecte d'intérieur, un ostéopathe, une cheffe de projet... "Ce sont des gens qui se sont déjà construits, qui ont réussi dans leur travail, et qui ont déjà des enfants pour certains", observe Virginie Spies, alors qu'"habituellement, dans ces émissions, on voit des candidats qui n'ont pas encore de carrière et qui pensent qu'ils vont la lancer par la téléréalité". "L'accent mis sur leurs professions apporte de l'authenticité à leur démarche et donne l'impression aux spectateurs qu'ils ne font pas juste de la télé pour la célébrité", confirme Constance Vilanova.

"C'est aussi un casting qui est beaucoup plus racisé que les téléréalités traditionnelles", ajoute la journaliste. Un choix salué par des internautes. "On note une forte présence de personnes issues d'Asie du Sud-Est", "jusque-là quasi-absentes" de ces programmes, relève sur Instagram l'écrivaine Valérie Rey-Robert, regrettant toutefois que cette plus grande diversité s'accompagne de "stéréotypes" exprimés par certains candidats, dont elle regrette qu'ils ne soient pas mis à distance par une voix off. L'essayiste, autrice de Téléréalité : la fabrique du sexisme (éditions Les Insolentes), note par exemple qu'une candidate souligne à plusieurs reprises qu'elle n'est pas attirée par le "type asiatique". "L'absence d'attirance est rarement neutre, note Valérie Rey-Robert, elle est façonnée par des représentations sociales, culturelles et médiatiques."

"Schémas très traditionnels" et rivalité féminine

Ces profils, plus âgés et socialement construits, se reflètent dans les discussions entre les participants, notent Les Inrocks. Le magazine observe qu'on y parle "de sexualité", "de religion", "de traumatismes", "de maternité", "avec un sérieux et une facilité inhabituelle à ces formats". Sur le papier, le casting a tout pour "valoriser la femme ou l'homme d'aujourd'hui, qui a du succès et du caractère", et pourtant, "on reste dans des schémas très traditionnels", nuance Virginie Spies. "C'est très hétéronormé, il y a une façon d'aimer et pas d'autre : ils veulent tous se marier et avoir des enfants", développe la sémiologue.

Certains candidats semblent d'ailleurs plus intéressés par le mariage en lui-même que par la recherche de l'homme ou la femme de leur vie. L'émission donne une place importante à l'essayage de la robe de mariée, en présence de la mère et des amies, comme "symbole d'accomplissement féminin", selon Valérie Rey-Robert. "Preuve que nos représentations changent lentement : on continue à la célébrer comme l'apogée d'une vie de femme", juge l'autrice.

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"Comme toutes les autres téléréalités, on retombe très vite dans des travers problématiques et patriarcaux, avec un manque cruel de sororité et beaucoup de compétition entre les femmes", abonde Constance Vilanova. Dans cette saison française, cette rivalité est illustrée par le conflit entre Sarah et Julie, qui s'écharpent pour la conquête d'un homme. La première discrédite l'autre pour avoir osé de parler de sexualité, la seconde s'empresse d'assurer qu'elle n'est pas "une fille légère" comme s'il fallait réparer un affront. Une autre candidate, Tatiana, entrepreneuse et mère de famille, se place comme une femme accomplie et indépendante, mais sans faire mystère de sa volonté "d'être choisie" par un homme. "T'es l'homme, t'es le chef de famille. C'est toi qui gères les responsabilités financières de la maison", dit également cette cheffe d'entreprise. Et c'est justement cette ambivalence qui accroche le public.

"Le spectateur veut pointer la contradiction des candidats, trouver matière pour les critiquer. Si les participants sont parfaits, c'est assez peu intéressant pour l'émission."

Virginie Spies, sémiologue

à franceinfo

L'objectif du show est de "créer de la discussion sur les réseaux sociaux, car aujourd'hui l'audience se mesure à ces reprises", avance l'enseignante. Des internautes questionnent le concept "d'homme capable" vanté par une participante, ou tournent en ridicule le comportement d'un prétendant qui ne supporte pas que sa compagne, plus grande que lui, porte des talons. "C'est désormais fondamental pour les programmes d'avoir une existence en dehors de leur plateforme de diffusion", poursuit Virginie Spies. Une stratégie bien comprise par Netflix, qui abreuve ses comptes d'extraits, avant le dénouement final.

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