"Romancero queer" : Virginie Despentes et sa troupe enflamment les planches de la Colline avec une pièce engagée et optimiste
Après "Woke" en 2024, l'écrivaine signe une nouvelle pièce de théâtre, ode au collectif. Celle-ci est portée par des comédiens à la spontanéité rafraîchissante.
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Au théâtre national de la Colline, comme tous les soirs de représentation depuis le 20 mai, Romancero queer se joue à guichets fermés. Dès 18h, une foule pressée de jeunes spectateurs patiente devant les portes du Petit théâtre, tandis que quelques heureux élus parviennent à dénicher des places de dernière minute.
Toutes et tous attendent impatiemment de découvrir la nouvelle pièce de Virginie Despentes. Après une première expérience au théâtre, l'écrivaine féministe signe Romancero queer, une pépite entièrement écrite par ses soins. L'ambiance est à la fête, tandis que les lumières s'éteignent, les chuchotements baissent en intensité et les derniers écrans de téléphone se verrouillent pour mieux savourer le début de la représentation. Pourtant, ce soir (et jusqu'au 29 juin), la véritable pièce de théâtre se jouera en coulisse.
Ode au collectif
Du théâtre dans le théâtre, c'est le procédé habilement adopté par Virginie Despentes dans sa dernière pièce. Avec intelligence et humour, l'écrivaine de King Kong Theory explore les luttes de la jeunesse à travers les revendications d'une troupe de théâtre révoltée. En coulisse, les comédiens exaspérés par leur metteur en scène Michel se révoltent contre cet "homme blanc de soixante ans" qui par effet de mode voudrait "queeriser" du Lorca. Un boomeur quoi.
De Michel, nous ne connaissons que la voix qui somme les comédiens de se présenter sur le plateau pour répéter leurs scènes. Des comédiens nous connaissons la vie dans les moindres détails, les questionnements, les jalousies malsaines, mais aussi la solidarité. Avec la même troupe que Woke, sa première pièce, Virginie Despentes loue la force du collectif, dans la vie comme sur la scène.
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D'abord, il y a Gaby (campée par Sasha Andres), doyenne de la troupe, ex-taularde et ex de Michel qu'elle partageait avec Wanda (Mata Gabin), une autre comédienne. Chez les jeunes, l'incroyable Soa de Muse (vue dans Drag Race France) provoque les éclats de rire avec sa repartie et son jeu sans égal dans le rôle de Vita. La fougueuse Nina (jouée par Mascare) apprend qu'elle se fait tromper par sa copine et songe au couple libre. Cet étalage impudique de sa vie privée a le don d'exaspérer Max (Casey), son partenaire de jeu.
Quant à Clara Ponsot, elle incarne avec merveille Lou, le souffre-douleur de Michel qu'elle ne cesse de défendre provoquant la rage de ses collègues, surtout Faïrouz renvoyée injustement de la pièce. Dans un monologue poignant, la jeune femme incarnée par Soraya Garlenq "hurle [sa] rage jusqu'à ce qu'elle fasse autant de bruit que les prières de mort" dénonçant la passivité de la société lorsque ce n'est pas de la haine décomplexée.
Ce joli charivari permet à Virginie Despentes de sonder les abymes de la jeunesse prise au piège d'un monde secoué. Le résultat est épatant, preuve supplémentaire que l'esprit de Virginie Despentes n'a pas pris une ride depuis le début de sa carrière. Elle continue de nous enchanter grâce à son ton et à son regard unique.
L'envers du décor
Le couple ouvert, l'hétérosexualité, le rapport à l'intimité, la jalousie. Tous ces thèmes qui taraudent si souvent la jeunesse sont abordés avec finesse et humour, par exemple, lors d'une séance d'analyse transgalactique menée par une psy dominatrice. Du Despentes tout craché. Il n'y a qu'elle pour écrire "c'est le camembert qui dit au roquefort qu’il pue" et en même temps pondre une pièce juste et intelligente sur des questions nouvelles, souvent incomprises ou jugées hâtivement. Encore une fois, Virginie Despentes donne corps à des sujets modernes et participe à les légitimer.
Si Romancero queer se déroule dans les coulisses d'un théâtre ce n'est pas par hasard. La visibilité de ces sujets, et des minorités qui les portent se fait souvent à double tranchant. Comme réécrire des pièces, pour cocher les cases des subventions. C'est que Michel veut mettre en scène La Maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca, dans une version queer. Un projet qui provoque l'hilarité et la contestation de la troupe, en gros, "le mec veut travailler avec des Noirs, des Arabes, des gouines et des pédés, mais il ne veut pas entendre parler des Noirs, des Arabes, des gouines et des pédés". Ici se joue l'éternel débat de l'appropriation culturelle, ou "queerbaiting", comme on dit.
NINA – Les mecs comme Michel aiment la blessure. Ils disent "cette blessure est nécessaire à l’œuvre". Mais c’est surtout parce qu’ils trouvent que ça fait sérieux, la douleur…
Virginie DespentesRomancero Queer
Le mouvement MeToo est passé par là, et ça se ressent. La position dominante des metteurs en scène et des cinéastes est ébranlée par la troupe. Dans un monologue émouvant, Clara Ponsot dénonce la sexualisation des jeunes filles, ces muses objectifiées à outrance. On pense au combat de Judith Godrèche, Isild Le Besco et tant d'autres.
Cette pièce pleine d'espoir vise à déconstruire l'idée que toutes les comédiennes désirent l'attention du metteur en scène. "Je ne cherche pas le désir moi, je veux du plaisir – ce plaisir inouï que ça procure quand ça marche", répond Nina. Imparable. Les spectateurs ressentent du plaisir tout du long, tant Romancero queer marche à merveille.
"Romancero queer", texte et mise en scène de Virginie Despentes, au théâtre national de la Colline jusqu'au 29 juin.
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