"Qui a tué mon père" : l'écrivain Edouard Louis joue son propre personnage sous la direction de Thomas Ostermeier
Au Théâtre des Abbesses à Paris, cette reprise du texte romanesque d’Edouard Louis que Stanislas Nordey avait créé a ceci de très particulier qu’elle est jouée par l’auteur.
Qui a tué mon père : la tentative de retrouvailles d’Edouard Louis et de son père trouve une forme plus apaisée, même si sans concession politique, en étant incarnée par Louis lui-même.
Les méchants sont les politiques
Commençons donc par le sujet qui fâchera, cette fin où l’on sait enfin Qui a tué mon père : de méchants politiques, depuis Jacques Chirac jusqu’à Emmanuel Macron, de Myriam El Khomri à Xavier Bertrand en passant par Nicolas Sarkozy qui, en réduisant des prestations sociales, ont précipité la déchéance d’un homme. Cela se traduit par un Edouard Louis déguisé en Harry Potter d’opérette suspendant les photos des coupables à une corde à linge puis leur lançant des pétards qui résonnent… comme des coups de feu : dangereuse ambiguïté !
Mais Edouard Louis, et cela a fait assez polémique pour qu’on n’y revienne pas, a l’honnêteté de ses convictions, gilets jaunes et France Insoumise, de sorte que, si l’on est d’un bord ou d’un autre, on trouvera cette fin délicieusement naïve et bon enfant ou parfaitement grotesque. Le problème étant qu’elle échappe au théâtre pour relever d’idées dont on ne peut débattre.
Des positions (trop ?) radicales
Idées qui sont en liaison avec le principe initial d’Edouard Louis (répété abondamment dans le programme) : la politique (mais la politique, chez nous, c’est la démocratie jusqu’à nouvel ordre !), "c’est d’avoir un certain corps, dans le monde social ; et (avec ce corps) être noir, être femme, être transgenre (lire aussi homosexuel) ou ouvrier, c’est être exposé à une destruction prématurée". La position est radicale, demanderait moult débats plutôt que de nous être assénée. Nous nous contenterons de rappeler que le droit de vote, qui a pour objectif de changer les choses, est le même pour ces corps cités par Louis (les femmes étant d’ailleurs majoritaires) et que, puisque le sujet de la pièce sera d’abord celui de la classe ouvrière, tout le XXe siècle et déjà une partie du XIXe a été le temps d’une révolte où lesdits ouvriers se sont battus pour pas mal de causes et en ont gagné un grand nombre. Edouard Louis a 27 ans, qu’il n’ait pas vécu ces temps-là n’empêche pas qu’ils ont existé et l’on ne peut résumer aussi vite pourquoi ils n’existent plus (sinon, amorce de piste, en reprenant cette phrase du sociologue Stéphane Sirot qui constatait que "l’ouvrier des années 60 ne demandait pas forcément la révolution d’Octobre mais de vivre comme un petit-bourgeois")
C’est d’ailleurs pour cela, et pour échapper au regard social d’une petite ville -ce thème-là est autrement intéressant, incidemment exploité- que le père de Louis, "alors qu’on n’avait pas d’argent" achetait les meilleurs produits pour Noël, foie gras, huîtres et bûches, pour que ses enfants puissent dire…
Un père ressemble-t-il à son fils ?
Edouard Louis qui, au début, arrive dans cet appartement pauvre du bord de mer où son père ne peut plus faire le moindre effort, peine à reprendre son souffle quand il revient des toilettes, est épuisé par la moindre parole, avec un "diabète dangereux sans parler du cholestérol qui peut m’emporter à tout moment d’un arrêt cardiaque". Le corps broyé par un accident du travail.
C’est cette tentative de rencontre, sur la fin, d’un père, qui fait donc, et heureusement, l’essentiel du spectacle, un homme, très joli retournement qui se fait peu à peu, dont Edouard Louis ne va pas forcément traquer les signes de masculinité mais au contraire ce qui pourrait ressembler à sa propre nature, là où ce père, dans un milieu où la virilité était un étendard, aurait fait germer des graines que son fils, douloureusement d’abord, mais de manière plus apaisée aujourd’hui, a ramassées : un homme qui se parfumait ("aucun homme à l’époque ne le faisait, dit la mère, et c’est comme ça qu’il m’a séduite. Il sentait bon"), qui savait danser, qui savait pleurer ("sans le montrer jamais"), dont une photo étrange le montre travesti en majorette – "et il a l’air heureux"- déguisement, sans doute, de carnaval (celui de Dunkerque n’est pas loin) ; et qui un jour, défendra son fils avec énergie devant les gendarmes, "le garçon le plus intelligent que j’ai jamais rencontré" ("Et pourquoi ne me l’as-tu jamais dit ?" murmure le fils)
Alors que la mère, a priori plus aimante, balancera un jour à Edouard, froidement : "Pourquoi tu te conduis comme un pédé ? On se tape la honte à cause de toi".
Une masculinité ouvrière obligatoire
Affleurent ainsi, ponctuées par d’hilarantes respirations musicales où Edouard Louis, plus ou moins travesti, nous fait le karaoké de "I’m a Barbie Girl" ou de Céline Dion dans "Titanic", sans parler d’une chorégraphie où Edouard, 6 ans, "je faisais la chanteuse", met de nouveau la honte à son père qui sort fumer pour cacher sa gêne et le fils : "Pardon, papa ! – C’est rien mon garçon, t’en fais pas" - oui, affleurent ainsi de jolies scènes et d’autres plus sordides sur la masculinité obligatoire d’un temps pas si lointain où l’on claque en public les fesses de madame (qu’on appelle Choupette, Bibiche ou Maman) -et qui le ferait encore aujourd’hui, à l’heure de "Metoo" ? Où le grand-père bat la grand-mère comme plâtre, celle-ci tendant le dos, mais le père, avec dignité, ne reproduira jamais le modèle, mieux, ira, le jour de la mort du grand-père, "acheter une bouteille à l’épicerie du village pour fêter ça".
Moins connu encore, ou oublié (à l’heure où l’on glorifie justement le modèle républicain de l’école), ce constat amer et si réel que, dans les milieux ouvriers ou paysans, être "masculin", c’était quitter l’école au plus vite, entrer dans la vie active, la bagarre, de sorte que les garçons se construisaient un corps que l’instruction avait laissé en friche. Idée majeure, et pendant longtemps, de toute une société, il suffit de remonter aux années 60 où l’on entendait encore que "les livres donnaient mal à la tête" -regardons Aignan, le premier de la classe du Petit Nicolas qui est, tout souffreteux et binoclard, le seul à ne pas se battre, les plus costauds du groupe étant… les cancres.
La naissance d’un acteur
Il y a autre chose de très passionnant dans Qui a tué mon père, c’est qu’on voit naître un acteur. On ne sait si Edouard Louis sera capable de jouer un autre rôle que le sien (encore qu’il défende, dans une interview à nos confrères de Télérama, qu’un homo se sente "acteur de nature. L’enfant gay que j’étais a dû jouer tellement de rôles pour se faire accepter : le dur, le sportif, le tombeur de filles… ") mais il nous retient, nous captive, nous fait rire avec beaucoup de douceur -Ostermeier l’a "micro-isé" en trois lieux de la scène pour qu’il s’adresse plus intimement à chacun de nous et a judicieusement utilisé la vidéo, paysages désolés de Picardie, filmés dans une belle lumière grise, avec des touches dorées ou roses qui nous font échapper de justesse à un certain misérabilisme.
"Misérabilisme" est aussi un mot que vont utiliser les détracteurs d’Edouard Louis. Il y échappe, en tout cas dans le texte que nous avons entendu (un peu réduit, semble-t-il, par rapport à la version de Nordey), par une langue simple et belle -sans fioriture aucune et que Louis, parfois par des petites maladresses ou hésitations (si elles sont jouées, alors chapeau, l’acteur !), rend encore plus poignante.
Dommage donc que cette scène finale (on y revient !) nous prive d’en savoir un peu plus sur ce père qui, au soir de sa vie, semble avoir changé du tout au tout au point d’avoir "cessé de voter pour le Front national" et d’oser demander à son fils désormais parisien et célèbre : "En ce moment, tu vis avec un homme ?"
Qui a tué mon père de et avec Edouard Louis
Mise en scène de Thomas Ostermeier
Théâtre des Abbesses, Paris, jusqu’au 26 septembre
15h/20h selon les jours de représentation
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