"Les Idoles" au Théâtre de la Porte Saint-Martin : Christophe Honoré et les années sida, d'amour et de combat

Le spectacle, écrit en 2018, investit la scène du Théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, jusqu'au 6 avril. Un constat définitif : Les Idoles de Christophe Honoré brille d'intelligence, de tendresse et d'humour. Parce qu'on rit souvent, malgré la gravité. Dans cette pièce, l'auteur et metteur en scène rend hommage aux six artistes, tous morts du sida, qui l'ont marqué quand il avait une vingtaine d'années : Bernard-Marie Koltès, Hervé Guibert, Cyril Collard, Serge Daney, Jean-Luc Lagarce et Jacques Demy.

Le plateau est habité dans toute sa profondeur par un décor urbain post-industriel, souterrain, comme dans les limbes. Les six comédiens s'y donnent la réplique, avec des textes ciselés et des formules qui font tilt, pour mieux faire revivre les idoles de Christophe Honoré. L'un d'eux se demande "si tous les pédés qui ont survécu" sont devenus des Renaud Camus, militant d'extrême-droite et auteur de la théorie du "grand remplacement". Le ton est donné : le passé est convoqué à habiter le présent.

Dans les années 1990, Christophe Honoré a 20 ans et se passionne pour le cinéma et la littérature. Il rêve de quitter sa Bretagne natale pour s'installer à Paris, et rencontrer ses idoles, auxquelles il s'identifie. Dans le prologue de la pièce, en voix off, il narre sa découverte au Centre Beaubourg du spectacle de danse Jours étranges du chorégraphe Dominique Bagouet.

Coup de foudre, le jeune Breton est sous le charme. En rentrant chez lui à Rennes, il fait des recherches sur le chorégraphe. "J'ai découvert ce dont j'étais déjà certain, qu'il était mort du sida peu de temps auparavant. J'en étais certain parce que c'était l'époque où tous les artistes dont je tombais amoureux mouraient du sida : Koltès, Guibert, Demy, Daney, Lagarce, Collard… Cette fois, Bagouet."

"Blessé par cette homophobie violente"

Sur la scène donc, une réunion, une communion même, d'outre-tombe. À travers ses "six frères aînés", Christophe Honoré questionne le désir, la mort, la haine de l'autre et le deuil. Né d'une révolte, d'une indignation, Les Idoles se veut une réponse à ceux qui sont descendus dans la rue pour protester contre la loi sur le mariage pour tous. "Comme homosexuel, j'ai été blessé par cette homophobie violente."

Comme dans sa précédente création, Nouveau roman, il met en place un dispositif dans lequel les protagonistes règlent leurs comptes, se lancent des piques et… s'aiment. Car derrière les reproches, il y a beaucoup de bienveillance et de tendresse. Et de compréhension.

Ainsi Jacques Demy, interprété magistralement par Marlène Saldana, tour à tour dans la réserve et l'exubérance, se voit reprocher de taire son homosexualité et de tout faire pour plaire à la bourgeoisie. A contrario d'Hervé Guibert qui ne craint pas la révélation et l'intimité pour évoquer sans retenue le sida dans son roman autobiographique À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie (Gallimard).

Le monologue de Marina Foïs, qui incarne avec retenue et sensibilité Hervé Guibert, est l'un des moments forts de cette pièce. La relation entre l'auteur de La Mort propagande et Musil (Michel Foucault) est bouleversante d'authenticité. Hervé Guibert narre avec beaucoup de pudeur la maladie, la perte des facultés, la lente agonie et la mort de son ami philosophe.

Dans cette distribution, c'est Paul Kircher, César de la meilleure révélation masculine, remarqué au cinéma dans Le Règne animal et dans Leurs enfants après eux, qui interprète, pour sa première au théâtre, un Bernard-Marie Koltès en proie avec ses désirs.

Portée par une distribution cinq étoiles, Les Idoles est une œuvre tragique et sensible, où se côtoient drame et fantaisie, pour nous faire vivre les plus belles émotions du théâtre.

La fiche

Écriture et mise en scène : Christophe Honoré
Durée : 2h10
Distribution : Harrison Arévalo, Jean-Charles Clichet, Marina Foïs, Julien Honoré, Paul Kircher, Marlène Saldana
Scénographie : Alban Ho Van
Lumière : Dominique Bruguière assisté de Pierre Gaillardot
Costumes : Maxime Rappaz
Assistante à la mise en scène : Christèle Ortu
Assistant dramaturgie : Timothée Picard
Dates : jusqu'au 6 avril 2025
Lieu : Théâtre de la Porte Saint-Martin, 18 boulevard Saint-Martin, 75010 Paris