"Les Créanciers" de Strindberg : la magnifique peinture noire d'un couple
Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, "Les Créanciers" d’August Strindberg. Trois personnages, deux hommes, une femme. Le dispositif le plus sobre qui soit, trois scènes à deux, A et B, B et C, A et C, pour une heure vingt de tension, de destruction, merveilleusement servie par Didier Sandre et ses deux camarades.
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Le mal-être des maris
Pièce noire. Comme s’il n’y en avait pas chez Strindberg. Mais là, l’économie de moyens du grand dramaturge suédois est à son comble. Une station balnéaire dont on ne verra rien, entendant seulement le cri des mouettes et des sirènes. Une pièce, mobilier banal. Trois scènes, les deux hommes d’abord, puis le mari (l’un des hommes) et sa femme, puis la femme et l’autre homme. Les trois enfin réunis, trente secondes, pour le couperet final.Les deux hommes d’abord donc. Adolf, un peintre. Non, plus un peintre puisqu’il s’est mis à la sculpture, poussé par son ami et par une irrépressible dépression dont on va découvrir les causes. "Après mon mariage je me suis éloigné de tous mes amis pour ne me consacrer qu’à ma femme". Il lui reste Gustav, cet ami récent, à qui il distille son mal-être. Et sa hantise : "que mes amis prennent un ascendant sur elle et sur moi par évolution".
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De femmes en quête d'indépendance
"Une femme, dit Gustav, sentencieux, a besoin de posséder une identité de façade qu’on appelle le mari". Ce sont les obsessions de Strindberg, lui qui, durant ses trois mariages, a exploré cruellement le destin d’Adolf. D’Adolf qui est aussi le petit frère désastreux du Capitaine, le héros de "Père" réduit à la folie par Laura, son épouse. Ces femmes qui prennent sinon le pouvoir, du moins leur indépendance, et d’abord de pensée, commençant ce cruel (pour les hommes) XXe siècle qui sera, lentement, et au départ par la Scandinavie, le siècle d’une conquête, conquête qui n’est pas encore achevée partout.Strindberg en a eu la géniale intuition même s’il se rebelle. Et si la cruauté de ses personnages masculins ("Tu la prends, dit Gustav, pour une mécanique de précision alors qu’elle n’est qu’une simple machine agricole") est si terrible, c’est aussi que terrible est leur angoisse devant la menace qui vient ; le théâtre cruel de l’amour voit désormais un autre vainqueur : la femme. A qui Adolf a jeté, hors de lui : "Pauvre coquette, qui aimerait tellement séduire par son intelligence !".
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Des pièces d'échec
Mais ce serait encore trop simple. Car la force de "Créanciers" (titre à prendre évidemment dans un sens moral : l’un ou l’autre des personnages vient à tour de rôle réclamer ce qu’il a donné et qui lui est dû car, dit Gustav, "une femme prend et reçoit. Or Tekla ne t’a rien pris. Donc elle ne t’aime pas") est aussi que la femme fait horreur à l’homme, aux hommes, mais qu’il ne peut s’en passer. Surtout quand il l’a prise à un autre ou qu’elle l’a abandonné pour un autre. "Les Créanciers", c’est du Strindberg en concentré, qui, pas un instant, ne lasse, pas un instant n’est moins fort ou nous retient moins. On le doit aussi à la mise en scène subtile d’Anne Kessler qui, dans cet espace dépouillé, joue de ses acteurs comme de pièces d’échecs qu’elle déplace, sauve ou sacrifie, avec une impitoyable justesse.Magnifique distribution : Adeline d'Hermy, Didier Sandre, Sébastien Pouderoux
Quand la femme arrive, on admire qu’elle soit si moderne. Coquette et amoureuse, tranchante et sûre d’elle, aimante et attentive à son mari souffrant (une souffrance de l’âme qui torture les entrailles) ou exaspérée par lui, par ses injustes reproches, jusqu’à le rendre jaloux, consciente ou non. Adeline d’Hermy est cette magnifique Tekla, qui est dans la vie et dans son temps, et il faut le composer, ce personnage qui est le plus simple de tous. D’Hermy le fait le plus exactement du monde. Et c’est remarquable comment un simple changement de costume (est-ce son idée ou celle de Kessler ?) la transforme de femme-enfant en tenue balnéaire à femme-femme en robe du soir échancrée sur la jambe, chaque tenue correspondant psychologiquement à ses tête-à-tête avec chacun des deux hommes./2019/04/11/creanciers_3.jpg)
Remarquable aussi est Sébastien Pouderoux, dans le rôle difficile d’Adolf, à la fois vraiment amoureux de sa femme, habité par les doutes sur sa création, sur lui-même, s’y lovant aussi jusqu’à accepter les vérités cruelles de Gustav avec une masochiste complaisance, regards d’enfant perdu, puis s’essayant avec une maladroite autorité à son rôle de mari, de mâle. Anne Kessler, avec une belle intuition féminine, utilise d’ailleurs le physique viril de Pouderoux (pieds nus, pantalon de sport, torse nu sous un immense kimono noir) pour rendre encore plus claire la faiblesse du personnage, faiblesse toute féminine aurait dit Strindberg.
Du grand théâtre
On s’arrêtera là. Avant la confrontation du mari et de la femme. Avant, surtout, celle de Tekla et de Gustav, qui jette un éclairage tout différent sur l’histoire mais surtout, c’est la grande réussite de Strindberg, au lieu de la dévier, l’enrichit encore. Et l’on sort de cette heure 20 de grand, de beau théâtre, en cherchant, histoire de pinailler, un défaut au spectacle. Il n’y en a pas. Rare bonheur !"Les Créanciers" d’August Strindberg, mise en scène d’Anne Kessler avec Adeline d’Hermy, Sébastien Pouderoux et Didier Sandre.
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