Le retour réussi de Julie Gayet sur les planches dans "Rabbit Hole"
Comment reprendre le cours de la vie après la perte d’un enfant ? C’est tout le sujet de "Rabbit Hole", une pièce mise en scène par Claudia Stavisky aux Bouffes Parisiens. Julie Gayet et Patrick Catalifo y incarnent avec force et subtilité un couple et ses proches qui tentent de se reconstruire. Dialogues ciselés, casting impeccable, mise en scène sensible et intelligente : une réussite.
Signée de l’auteur américain David Lindsay-Abaire, la pièce "Rabbit Hole" a reçu en 2007 le Prix Pulitzer de l’œuvre théâtrale. En 2011, le réalisateur John Cameron Mitchell l’a adaptée au cinéma avec dans les rôles principaux, Aaron Eckart et Nicole Kidman.
C’est donc au tour de Claudia Stavisky de s’emparer de cette œuvre forte qui aborde un sujet douloureux, la perte brutale d’un enfant. "Rabbit Hole", c’est l’histoire de Becky (Julie Gayet) et Howard (Patrick Catalifo), un couple qui doit faire face à la mort de son enfant de 4 ans, fauché par une voiture alors qu'il courait après son chien. L’onde de choc de ce drame, survenu huit mois auparavant, n’en finit pas d’impacter les parents mais aussi leurs proches. Il y a Izzy (Lolita Chammah), la sœur de Becky qui tombe enceinte et ne sait pas comment l'annoncer à sa soeur et Nat (Nanou Garcia), leur mère, pour qui ce deuil rouvre une plaie que le temps n'a pas guérie...
Emotions et nuances
Face à une telle histoire, la première crainte du spectateur, c'est dêtre noyé dans le pathos et le côté larmoyant. Des écueils que la qualité du texte, la mise en scène et le jeu des acteurs permettent d'éviter. La pièce ne manque pas pour autant d'émotions, bien au contraire. Il y a de la tristesse, du désespoir, il y a de la colère et des larmes mais aussi beaucoup de retenue, de silences qui en disent long, de regards qui se perdent... De la nuance donc et jamais de facilité.
Texte au cordeau
Il y a d'abord le texte de David Lindsay-Abaire. Pas de chichi, ni de grandiloquence, on est dans le concret. David Lindsay-Abaire ancre ses dialogues dans les gestes et les situations de la vie quotidienne de ce couple de la middle-class américaine. Quand la pièce commence, on ignore tout du drame et de ses circonstances. L’auteur les révèle au fur et à mesure, au compte-goutte. Ce mystère qui plane, cette vérité qui ne se raconte pas d'emblée font davantage qu'entretenir le ressort dramatique : ils soulignent à quel point les personnages brident la parole par peur du mot de trop, celui qui risque d’ouvrir la porte des souvenirs et celle de la douleur.Humour noir
Mais ce qui est surprend le plus le spectateur, c'est l'humour qui émaille la pièce et auquel on ne s'attend pas sur un tel sujet. Un humour qui est parfois lumineux dans certains séquences "enjouées" (celles où la vie où les personnages oublient le temps d'un instant le drame qu'ils ont vécu), et parfois noir. C'est l'humour de la tragédie quand les personnages perdent le contrôle des situations, quand ils ne se rendent pas compte de leurs maladresses. On pense notamment à cette scène où la mère de Becky et Izzy évoque avec insistance la mort qui frappe le clan Kennedy sans se rendre compte du malaise qui s'installe autour d'elle...
Rabbit Hole parle de la difficulté à dialoguer et des mécanismes de survie que chacun déploie pour faire face au drame. Becky cuisine, lave sa vaisselle, range son intérieur, évite les contacts avec les autres, et veut vendre la maison où elle retire petit à petit tout ce qui peut lui rappeler son fils. Howard lui, participe à un groupe de paroles, continue de travailler (il est spécialisé dans la gestion du risque), essaie de renouer le contact physqiue avec sa femme.
Au début, c'est lui qui semble le plus armé, le plus ouvert pour renouer avec une vie "normale". Mais les apparences sont bien plus complexes... Leur douleur respective se cognent l'une à l'autre sans arriver à créer une faille, un espace où l'autre pourrait se glisser. Chacun reste dans sa zone de désespoir sans savoir comment en sortir. Pare que de toute façon, "rien ne sera plus comme avant". Alors à quoi bon ?
Présence fantomatique
La mise en scène ensuite. Claudia Stavisky et le scénographe Alexandre de Dardel ont imaginé un espace très concret, un intérieur de maison avec cuisine ouverte sur un salon, de grands murs qui cloisonnent l’espace et des stores constamment baissés... Un espace clos où la vie ne rentre au début que par les allers et venues des personnages.Dans cette maison, les rares traces "visibles" (jouets, photos, vidéos...) de l’enfant ont toutes disparu ou presque. Et pourtant, il est là, partout. Son souvenir hante les personnages et plane sur leurs moindres gestes et pensées. Une présence fantomatique évoquée avec subtilité par des vidéos (réalisées par Asa Mader, un artiste américain) : la silhouette de l’enfant qui court après son chien apparaît sur les murs du salon, les murs qui deviennent transparents pour laisser entrevoir la chambre du fils où rien n’a bougé depuis sa mort...
Et puis, il y a ces mots projetés au-dessus du décor pour situer les actions : "Le même jour, un peu plus tard", "Le lendemain"... Le temps passe, la douleur reste et semble plomber les heures qui s'égrennent..
Un espace qui s'ouvre
Un tournant se joue quand d'un seul coup, les grandes toiles qui obstruaient les structures en bois du décor se détachent subitement... Et pour cause : le couple décide de mettre la maison en vente (à contrecoeur pour Howard). Une journée "Portes ouvertes" est organisée pour attirer les acheteurs. En ouvrant ainsi leur maison, Becky et Howard font sans le savoir un premier pas vers autre chose... Ce n'est pas un acheteur qui vient chez eux mais Jason (Renan Prévot), l'adolescent qui a renversé leur fils en tentant d'éviter son chien. Il a écrit une nouvelle qu'il veut dédicacer à l'enfant. Elle s'intitule "Rabbit hole", l'histoire d'un ado qui parcourt des univers parallèles à la recherche de son père...
Le rabbit hole...
C'est l'occasion de parler du titre de la pièce - Rabbit Hole - Univers parallèles" - qui, au premier abord, ne dit rien de son contenu. "Trou de lapin"...Peut-être celui où l'on a envie de se cacher quand la vie fait trop mal ? Mais on pense aussi au terrier dans lequel Alice suit le lapin blanc dans Alice au pays des merveilles et qui la fera passer de l'autre côté du miroir...Autre explication (rappelée par Claudia Stavisky dans le dossier de presse) : "Un rabbit hole, en astronomie, c’est aussi un trou noir, un passage qui s’ouvre dans le tissu de l’univers, où l'énergie s'engouffre sans qu'on sache où elle va". Une image qui fait réfléchir et dont va se servir Becky pour comprendre qu'on peut imaginer d'autres mondes pour soi (en soi ?) qui permettent de vivre autrement et de ne pas rester figé dans la douleur.Casting réussi
Les comédiens enfin. On l'a dit, le casting est parfait. Alors certes, le nom de Julie Gayet est celui qui va susciter le plus de curiosité et sur l'affiche, c'est elle la plus présente. Mais si certains doutaient de ses talents de comédienne, qu'ils soient rassurés. Elle est d'une justesse incroyable de ce rôle de mère et de femme dévastée qui essaie de rester debout malgré tout. Il émane d'elle une simplicité lumineuse qui la rend familière, attachante. A ses côtés, Patrick Catalifo est un Howard à la fois puissant et fragile, l'acteur dégage une vraie présence toute en nuances.
"Rabbit Hole" est une pièce grand public et il faut s'en féliciter. En ouvrant sa saison avec cette oeuvre, Les Célestins (pièce reprise à Paris à partir de janvier 2019) misent sur un théâtre à taille humaine, où l'émotion n'empêche pas la réflexion. Car "Rabbit Hole" nous rappelle cette notion fondamentale, universelle, à savoir que face à la vie et à ses drames, chacun porte en lui des ressources certes différentes mais infinies pour continuer à avancer. Par les temps qui courent, il est bon de s'en souvenir.
Après Lyon, "Rabbit Hole" se joue au Théâtre des Bouffes Parisiens jusqu'au 31 mars 2019.
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