: Grand entretien Firmine Richard dans la peau d'Olympe de Gouges au théâtre : "Comme elle, il faut oser, quel que soit son âge"
Firmine Richard incarne la pugnacité intemporelle de l'autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne et abolitionniste avant l'heure.
Faire vivre Olympe de Gouges dans un seule en scène à 77 ans : c'est le défi que s'est lancé Firmine Richard. Accompagnée de la musique d'Edmony Krater, qui partage la scène avec elle aux côtés de la musicienne Eugénie Ursch, l'actrice prête ses traits à l'intellectuelle et femme politique française alors qu'elle attend son procès dans sa prison, en automne 1793, à Paris. Inspirée et vibrante, Firmine Richard explore dans un monologue, écrit par Franck Salin (Frankito), les visages d'une Olympe engagée contre toutes les formes d'injustice. Notamment celle dont est victime son genre.
Franceinfo Culture : Olympe est une pièce que vous avez initiée avec Edmony Krater qui signe la musique de ce seul en scène...
Firmine Richard : J'avais une grande envie de faire un seul en scène et il me fallait un sujet. Il se trouve qu'Edmony, qui vit à Montauban et qui m'a appris que c'était la ville natale d'Olympe de Gouges, avait envie de faire quelque chose sur elle. Au début, je ne connaissais d'elle que la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Mais Edmony m'a appris qu'elle avait écrit des pièces sur l'esclavage, j'ai eu tout de suite envie d'en savoir plus. J'ai lu Zamore et Mirza ou l'heureux naufrage (1785) qui est sa première pièce. J'ai ainsi découvert que c'était une abolitionniste de la première heure, que la lutte contre l'esclavage était son premier combat. J'ai alors demandé à Franck Salin, alias Frankito, dont je connaissais le travail de m'écrire la pièce. De son côté, Edmony l'avait aussi contacté. Toutes les planètes étaient alignées pour que nous fassions cette pièce.
Qu'est-ce qui vous touche chez Olympe de Gouges ?
J'ai découvert, au fur et à mesure, qu'elle était de tous les combats : abolitionniste donc, engagée contre le mariage forcé parce que mariée très jeune, elle a lutté pour que les femmes accouchent dans de meilleures conditions. Elle était pour le divorce. Comme elle le dit dans la pièce, elle était contre toutes les injustices. Ce qui m'a le plus attiré, c'est son audace : celle d'écrire, par exemple, sur l'esclavage alors qu'il n'avait pas cours dans l'Hexagone. L'audace, c'est ce qu'il nous manque à certains moments. Il faut oser comme Olympe. Elle est allée jusqu'au bout de ses convictions. Il faut être comme cette femme-là, il faut oser. À mon âge, faire un seul en scène, beaucoup diraient que ce n'est pas possible.
Au fur et à mesure que je dis ses mots, ils me transportent et me fortifient. Je les trouve tellement importants que j'ai envie de les dire à toutes les femmes. Par exemple quand elle dit :"La révolution ne se fera que quand toutes les femmes seront pénétrées de leur déplorable sort. Les femmes veulent être femmes mais n'ont pas de plus grand ennemi qu'elles-mêmes". C'est tellement vrai de nos jours encore que chaque fois que je dis ses mots, j'ai envie que les femmes les entendent et en mesurent la pertinence. Nous sommes nos propres ennemies.
"Olympe demande l'égalité des sexes, mais elle est consciente que la chose n'est pas évidente, y compris pour les femmes."
Firmine Richardfranceinfo Culture
Comment l'expliquez-vous ?
Je ne sais pas. C'est tellement ancré depuis des siècles dans la tête des femmes qu'elles ne sont pas ce qu'elles sont, qu'elles finissent par le croire. C'est dans l'inconscient. D'ailleurs, quand elles arrivent à avoir un poste important, qui pourrait être occupé par un homme, elles sont très dures. Plus dures que les hommes parce qu'elles ont l'impression d'avoir quelque chose à prouver.
Pourquoi cette envie d'un seule en scène ?
Je voulais défier ma mémoire, voir si j'en étais capable. J'ai fait très peu de pièces. J'ai tout appris sur le tas, au cinéma comme au théâtre qui sont différents l'un de l'autre. Après Romuald et Juliette [son premier film réalisé par Coline Serreau qui l'a découverte], j'ai eu la chance d'être dans une grande pièce de Bernard-Marie Koltès, Roberto Zucco, dans laquelle j'étais entourée des plus grandes du théâtre français : Christiane Cohendy, Myriam Boyer, Hélène Surgère. J'ai eu aussi la chance de faire une pièce avec Jenny Alpha, la doyenne des comédiennes antillaises, au Studio Hébertot, Mémoires d'îles d'Ina Césaire.
Et puis, on m'appelle plus au cinéma, pour le petit ou le grand écran, et ce n'est pas évident à mon âge de me mettre dans n'importe quelle pièce [sourire]. J'ai fait, par exemple, le casting pour Joyeuses Pâques avec Nicolas Briançon. Je formais un couple mixte avec lui, mais je n'ai pas pu faire la pièce parce qu'il n'a pas trouvé de comédienne métisse pour incarner notre fille, m'a-t-il dit. Voilà le genre de situations que l'on peut vivre dans ce milieu. Enfin, je voulais être seule en scène tout en étant accompagnée et je le suis par deux musiciens.
Olympe était un rôle qui vous attendait...
Pourquoi ? [rires]. En tout cas, je l'ai trouvé [rires]. Nous avons des choses en commun, elle et moi. La colère d'Olympe est tellement juste. Quand elle parle de son fils, je pense à mon fils. Je mets mes émotions à son service. Je souhaite faire entendre Olympe le plus possible. J'aurais aimé dire cette pièce jusqu'à ce que je meure [rires]. Si j'ai l'occasion de l'emmener partout, je le ferai.
Qu'est que la musique apporte à ce seule en scène ?
La musique sert de respiration, même pour le spectateur. Quel que soit le texte que vous débitez, le spectateur a besoin d'une pause à un moment donné.
Coline Serreau vous a révélée avec Romuald et Juliette (1988) et vous avez eu de beaux rôles depuis. Êtes-vous satisfaite de cette carrière qui est la vôtre aujourd'hui en France. Le cinéma français vous traite-t-il bien ?
On me traite. Bien, je ne sais pas. Je ne me plains pas parce que je travaille régulièrement et je dis "Merci Seigneur !" Je ne dis pas merci au cinéma français mais au Seigneur. Si je suis là, c'est que je devais y être parce que je n'oublie pas comment je suis arrivée dans ce milieu. C'est le cinéma qui est venu à moi : la directrice de casting de Coline Serreau m'a repérée dans un restaurant entre 2 et 3h du matin. J'étais là où il fallait, au moment où il fallait et j'ai rencontré la bonne personne.
Encore une fois, j'ai de la chance de pouvoir travailler. Je tourne actuellement la série Maison de retraite pour TF1. Maryse Condé avait écrit une pièce, La Faute à la vie, que je vais monter en novembre en Guadeloupe. Mais c'est vrai que dans ce milieu, rien n'est acquis pour les femmes et encore moins pour les femmes noires. C'est pour ça que j'ai commencé à préparer le chemin.
"Si je pouvais, comme Jenny Alpha, travailler jusqu'à plus de 90 ans, je serais ravie. Elle est morte à plus de 100 ans. Je travaille en ce moment avec Liliane Rovère, qui a 92 ans, sur la série 'Maison de retraite'."
Firmine Richardfranceinfo Culture
De quels rôles avez-vous encore envie ?
On me propose actuellement un rôle en anglais. Je ne sais pas si je vais le faire. Mais pourquoi pas ? C'est réjouissant quand on pense à vous pour un personnage. Je ne peux pas dire quel personnage j'aimerais jouer mais si on m'en propose un qui me plaît, je prends. Au cinéma, on m'a souvent vue dans des rôles sympathiques, moins dans des partitions dramatiques comme Olympe au théâtre. J'ai vu Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan, je trouve Leïla [Bekhti] extraordinaire dans ce personnage que l'on voit jeune et jusqu'à 90 ans. Un tel rôle, pourquoi pas ? Mais à mon âge, on ne pourra plus me rajeunir. Quoiqu'on l'ait déjà fait dans Sur mon chemin de Thierry Obadia.
Vous évoquiez le fait qu'on n'ait pas trouvé de comédienne métisse pour jouer votre fille. Qu'est devenu le collectif de comédiennes noires lancé par Aïssa Maïga, dont vous faisiez partie, qui dénonçait le racisme et militait pour plus de diversité à l'écran ?
C'est ce que disait Olympe de Gouges. Ce collectif est mort de sa belle mort parce que les gens n'étaient pas là pour une cause commune, qui faisait avancer toutes les femmes. Chacun était là pour son problème personnel. Pourtant, ce collectif militait pour notre visibilité. Toutes les tranches d'âges y étaient réunies. Ceci dit, ça a quand même servi parce que cela a fait prendre conscience aux décideurs que nous sommes là. Les jeunes, qui étaient avec nous, ont eu par la suite des rôles plus valorisants et ça a permis de voir plus souvent des Noirs à l'écran et sur les affiches de cinéma. J'ai fait un film qui s'appelle Le Grand partage (2015), il y avait pléthore de personnages noirs dans cette fiction mais il n'y avait pas un visage noir sur l'affiche. On nous voit aussi plus dans les publicités.
Pourquoi ce type d'initiative est nécessaire encore aujourd'hui ?
Si on veut faire changer les choses, il faut être là pour occuper la place qui est la nôtre. Nous devons nous montrer. Si nous restons à l'écart, personne ne viendra nous chercher. C'est pour cela que je me retrouve, femme noire, à dire le texte d'Olympe de Gouges. Je me sens tout à fait légitime. D'ailleurs, les jeunes en Guadeloupe m'ont interpellée à ce sujet et je leur ai répondu : "Pourquoi pas ?". Franck a d'ailleurs très bien fait les choses. Olympe et moi avons en commun d'avoir un accent. Olympe était occitane et son accent a été beaucoup raillé à Paris et moi, je suis guadeloupéenne. Je pense juste qu'il faut que nous soyons, que nous n'hésitions pas à être et à faire savoir que nous existons.
Votre soutien à Ebony, candidate de la Star Academy qui a été victime d'attaques racistes, a été décisif puisque vous avez soulevé un problème qui a été réglé, à savoir la prise en compte du vote ultramarin ?
Quand dans la fanzone d'Ebony, j'ai dit que les votes de l'Outremer n'étaient pas comptabilisés, une information que j'avais eue grâce à une élue, j'étais là où il fallait au bon moment et j'ai été entendue. Et j'ai fait changer les choses. Aux Antilles, nous ne sommes pas comptabilisés. J'ai donc demandé à la diaspora ultramarine vivant dans l'Hexagone de voter pour Ebony et les gens ont réagi. TF1 a également réagi.
Pensiez-vous être témoin, encore aujourd'hui, d'un tel déchaînement raciste contre Ebony ?
C'est terrible. Et ça arrivera encore. Avec la montée du RN, les gens ne sont plus complexés. Ils disent ouvertement qu'ils sont racistes. La parole est libérée. Nous ne sommes pas à l'abri de quoi que ce soit. Il ne faut pas craindre d'appeler un chat un chat : le racisme existe dans ce pays depuis plus de trois siècles – Olympe a combattu l'esclavage et le racisme – et on n'en parle pas. Nous ne devons pas banaliser ces choses-là. Nous devons les dénoncer.
La transmission est-elle une question importante pour vous ? Il y avait un peu de cela dans le collectif, dans votre relation avec Lucien Jean-Baptiste qui vous a fait appel pour son premier long, La Première étoile...
J'ai tendance à dire que ce garçon ne bouge pas sans sa mère. Dès qu'il réalise un film, il appelle sa mère de cinéma [rires] et c'est moi. Je suis encore sa mère dans la série Joseph sur TF1. Quand on me donne l'opportunité de transmettre, je le fais. Des jeunes viennent voir la pièce et sont également avec moi sur le tournage de la série Maison de retraite. Avec Olympe, je peux transmettre. C'est important que les jeunes Noirs se voient au moins au théâtre et au cinéma.
Quand j'étais gamine, la première personne noire que j'ai vue au cinéma, c'est Serge Nubret dans Les Titans (1962). Après, assez souvent, ça a été Greg Germain dans la série Médecins de nuit [diffusée à la fin des années 1978 à 1986]. Autrement, on ne nous voyait pas à l'écran. Les femmes encore moins. Nous n'avions pas d'images de nous. Après il y a eu les séries américaines. Mais des Noirs francophones, il n'y en avait pas des masses. J'ai vu un film en Guadeloupe, Zion, qui va sortir bientôt dans l'Hexagone. C'est un film fait par un jeune, Nelson Foix, qui raconte l'histoire de jeunes. Il est très violent mais rend bien compte de la réalité antillaise telle qu'elle se vit aujourd'hui. C'est un film coup de poing. Il est très fort et bien fait cinématographiquement. Petit à petit, nous avons une jeunesse qui trouve sa place dans l'audiovisuel. Je suis très optimiste parce que la parole est libérée pour tout le monde.
"Olympe" de Frankito
Mis en scène par Franck Salin
Avec Firmine Richard, Edmony Krater et Eugénie Ursch
Musique : Edmony Krater
Chorégraphie : Jean Nanga
Durée : 1h10
Jusqu'au 6 avril 2025, du jeudi au samedi à 21h, dimanche à 14h30 au Studio Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris
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