De YouTube au cinéma avec le film McWalter… Quelles sont les raisons du succès de Mister V, l'un des "rois de l'humour" sur YouTube ?
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De ses débuts de vidéaste amateur enregistrant des sketchs dans sa chambre à la création de son film McWalter, qui sort ce vendredi sur Prime Video, itinéraire d'un artiste qui a su comprendre les logiques de la viralité de l'humour en ligne.
Il est peut-être le seul humoriste en France capable de sortir un album de rap sérieux un jour et de monter sa propre marque de pizzas surgelées le lendemain. Artiste touche-à-tout, Mister V, de son vrai nom Yvick Letexier, alimente depuis une quinzaine d'années sa chaîne YouTube, enregistrant des statistiques impressionnantes : 526 millions de vues en une quarantaine de vidéos. Fait saillant, chacune de ses apparitions est un succès, chaque vidéo devient virale sur les réseaux sociaux, avant de devenir une référence partagée sur les messageries en ligne ou entre amis.
Là où de nombreux vidéastes s'adressent surtout à un public cantonné à une génération définie, il atteint autant les nouveaux arrivants sur les réseaux sociaux que les fans de la première heure sur YouTube. Prochaine étape pour Mister V, aux allures de baptême du feu : le cinéma, avec la sortie de son film McWalter, vendredi 12 septembre, sur Prime Video. Une parodie des films d'espionnage et d'action, où il incarne un agent secret déjanté et dont la bande-annonce a une nouvelle fois fait le tour des réseaux sociaux. Pour cette occasion, franceinfo décrypte le succès de celui qui est considéré comme un des "rois de l'humour" sur internet.
Un humour absurde et un goût pour la parodie
Yvick Letexier n'est encore qu'un adolescent lorsqu'il commence à publier en 2008 des vidéos depuis sa chambre de Veurey-Voroize, petite ville proche de Grenoble. Le jeune homme rentre alors d'un voyage à New York, ébloui par le sens de "l'entertainment" américain, et trouve dans la foulée son pseudonyme Mister V, choisi à partir de la deuxième lettre de son prénom. "Car Mister Y, c'était pas beau", justifie-t-il dans ses interviews. Yvick fait partie de la première génération des jeunes humoristes en ligne. Celle qui ne jure que par une webcam, un montage dynamique et des sujets abordant les tracas de leur vie d'adolescent ou de jeune adulte, du bac au permis de conduire. Il fédère une communauté de jeunes spectateurs comme lui, qui s'identifient à ces contenus.
Déjà, à cette époque, ses vidéos portent la trace de ce qui fera son succès : un humour absurde, du malaise, des grimaces et un amour du détournement, qu'il doit aux Nuls, à Kad et Olivier ou à Jim Carrey. C'est d'ailleurs avec des parodies musicales, sa spécialité, qu'il connaît ses premiers succès d'audience, notamment avec Colonel Crado, une parodie de Colonel Reyel à l'humour scatologique.
Repéré, il est invité à Paris en 2011 pour rencontrer d'autres créateurs de contenu à succès d'internet tels que Norman, Hugo Tout Seul, Natoo, Cyprien ou Kemar. "On a très vite sympathisé avec Yvick qui nous a marqués par cette énergie hors du commun devant et derrière les caméras", raconte Marc "Kemar" Jarousseau, vidéaste et humoriste.
"On avait en commun cette liberté de ton, cette créativité avec peu de moyens, alors qu'avant, il n'y avait de la place que pour les gens de télévision et du cinéma."
Marc "Kemar" Jarousseau, youtubeurà franceinfo
L'ascension d'un youtubeur multicasquette
Yvick Letexier multiplie les collaborations et vidéos, et débute sur scène en 2012, lorsque son agente convainc ses parents de le laisser s'installer à Paris. L'année suivante, il participe au Zapping Amazing 2, spectacle réunissant les youtubeurs les plus populaires, qui connaît un énorme succès. "C'est une nouvelle étape, on jouait dans des salles gigantesques. On est passé d'amateurs à semi-professionnels", raconte-t-il en 2015 au média FNU.
Le lancement de la chaîne YouTube du collectif Studio Bagel, consacrée aux courts-métrages humoristiques et rachetée par Canal+ en 2014, le fait définitivement changer d'échelle, avec une première reconnaissance des médias traditionnels. "Les budgets ont augmenté crescendo et on a pu bénéficier de caméras de meilleure qualité, écrire et réaliser des formats plus ambitieux", témoigne Marc Jarousseau.
Durant cette période, l'artiste multiplie les projets. Il continue d'abord les sketchs sur sa chaîne YouTube, entre dans un collectif d'humoristes de stand-up, le Woop, et lance une activité musicale. "Mister V a voulu prouver sa légitimité à réaliser des œuvres qui sortent d'internet, pour être pris au sérieux", explique Adam Bros, vidéaste spécialiste de l'analyse des créateurs de contenu sur YouTube.
Le pari est réussi : le Woop fait salle comble et ses projets musicaux aboutissent à un premier album de rap en 2017, puis un second, tous deux disques de platine, selon le Snep. "J'ai envie de prouver, comme aux Etats-Unis, qu'on peut avoir des humoristes qui se lancent dans la musique et multicasquette", déclarait-il en 2015. De 2013 à 2023, il figure parmi les 10 youtubeurs les plus suivis en France, selon Brut. "C'est vraiment la success-story du youtubeur de 16 ans. Comme les internautes l'ont vu grandir et évoluer, ils éprouvent un attachement très fort pour lui", analyse Adam Bros.
La capacité à devenir un mème et à en tirer de juteux bénéfices
Les multiples apparitions, caricatures et gimmicks du vidéaste le rendent omniprésent sur les réseaux sociaux. Il devient une machine à produire des mèmes, ces images ou courtes vidéos utilisées comme des références pour réagir en ligne. "Je ne sais pas si quelqu'un en a autant généré en France", affirme Soufyane Chafik, doctorant spécialiste de la réappropriation des mèmes. Danses ridicules, parodies de rappeurs, beaufs, expressions de mines déconfites, musique sur le chômage... Toutes sont reprises à volonté par les internautes.
"Ses intonations, ses parodies musicales, très facilement identifiables, sont facilement utilisées en dehors de leur contexte, pour leur donner un autre sens, poursuit Soufyane Chafik. Certaines de ses expressions de visage sont aussi utilisées comme un répertoire émotionnel des internautes." Le vidéaste a rapidement su tirer profit de cette formule, car l'économie de YouTube nécessite de faire des partenariats avec des marques pour se dégager d'importants revenus sur les vidéos. "Les entreprises vont essayer de se réapproprier l'impression de proximité avec ses fans que dégage le vidéaste", développe Soufyane Chafik.
En 2018, le youtubeur lance un partenariat avec le lobby des produits laitiers, qui vise à promouvoir le fromage et le lait auprès des consommateurs. "On lui a laissé une totale liberté et un extrait de la vidéo est devenu un mème, encore utilisé aujourd'hui : ça nous a fait exploser en visibilité en ligne et a massivement rajeuni notre cible", témoigne Adrien Dinh, directeur marketing à l'origine de la collaboration. Depuis cette date, le juteux partenariat, dont le montant reste confidentiel, se poursuit au fil des vidéos. Les Produits Laitiers ont financé le court-métrage de fiction Les Jones, mettant en scène des éleveurs de vaches français se prenant pour des Américains.
En 2022, le vidéaste crée enfin sa propre marque agroalimentaire : Pizza Delamama. Lancée à la suite d'un sketch absurde mettant en scène un chef italien extravagant, elle a généré 1,4 million d'euros de chiffre d'affaires en trois mois, d'après le panéliste NielsenIQ. Quitte à être assimilé à un "homme-sandwich". Après l'annonce d'un partenariat avec KFC, des internautes adressent leurs critiques au youtubeur, l'entreprise de fast-food ayant investi en Israël, dans le contexte de la guerre dans la bande de Gaza.
Avec des contenus plus ambitieux, le renfort de deux autres auteurs
Quinze ans après ses débuts, chaque contenu produit par Mister V reste encore un événement. "Il sort quelques vidéos par an, ce qui est antinomique par rapport à la logique voulue par les réseaux sociaux qui favorisent la régularité. Mais il fait en sorte que chaque apparition soit marquante, et se met une pression pour revenir avec des propositions fortes et soignées", explique Adam Bros.
Raison pour laquelle Yvick Letexier s'est entouré depuis 2019 de deux auteurs venus de YouTube : Vincent Tirel et Freddy Gladieux. "L'un de nous accompagne Yvick sur le début, puis l'autre vient compléter derrière", raconte Freddy Gladieux à franceinfo. Qu'est-ce qui caractérise l'humour du trio ? "C'est l'absurde au sens large. Pas un absurde gratuit, mais quelque chose qui prend une tournure absurde et imprévue", continue Freddy Gladieux. "C'est l'excès, une espèce de millième degré, et l'amour du cinéma américain et des stéréotypes", ajoute Vincent Tirel.
Les trois humoristes s'attellent entre 2022 et 2024 à l'écriture du film McWalter, adapté d'une série créée par Mister V sur sa chaîne YouTube. Une nouvelle fois, la référence principale se situe du côté de Pamela Rose de Kad et Olivier, ou de la saga de cinéma Y a-t-il un flic... du collectif les ZAZ. "Simon Astier, le réalisateur du film, a su nous cadrer là où nous serions traditionnellement allés vers un rythme saturé de blagues comme sur YouTube", explique Vincent Tirel. Un aboutissement après des années de courtes fictions en ligne, mais aussi un test grandeur nature. Car après avoir réussi à atteindre la télévision avec un personnage de la série Le Flambeau, la scène, la musique, il y a un bien un domaine où Mister V n'a pas encore connu le succès : le cinéma, malgré des petits rôles peu concluants. "C'est la case que je n'ai pas encore cochée et j'ai envie de transformer l'essai", déclare Mister V lors d'une interview pour le média Booska-p.
"C'est un domaine que les youtubeurs tête d'affiche qui font de la fiction n'ont pas encore réussi à prendre d'assaut, alors que le secteur a ses propres codes et reste élitiste. Il faut encore prouver que ces films attirent du monde", expose Adam Bros, malgré des tentatives comme Le Manoir en 2017. Réussir le passage du web au grand écran, c'est peut-être ça, la mission secrète de l'agent McWalter.
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