: Grand entretien Roxane Stojanov, nouvelle étoile de l'Opéra de Paris, en est encore émue : "Je n'ai brûlé aucune étape et je me sens prête"
La danseuse de 29 ans est de retour sur la scène du Palais Garnier dans le ballet "Onéguine" de John Cranko.
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C'était le 28 décembre 2024 : Roxane Stojanov est nommée danseuse étoile de l'Opéra national de Paris à l'issue de la représentation du ballet Paquita, dans lequel elle interprétait le rôle-titre, sur la scène de Bastille. Un moment unique.
À peine plus d'un mois après, Roxane Stojanov nous a donné rendez-vous, mercredi 5 février, à l'Opéra Garnier, ce palais somptueux qui vient de fêter ses 150 ans. Elle arrive, très ponctuelle, en jeans et baskets avec une longue queue-de-cheval sur l'épaule. Elle nous confie qu'elle a encore du mal à réaliser son grand bonheur et donne l'impression de marcher sur un nuage. Elle est de retour sur la scène du Palais Garnier en février pour ses premières représentations depuis qu'elle a atteint le firmament.
Franceinfo Culture : Quel est votre premier grand rôle en tant qu'étoile ?
Roxane Stojanov : Je suis Olga, le second rôle féminin d'Onéguine, un grand ballet néo-classique en trois actes. C'est la sœur de Tatiana, le premier rôle. Je ne l'ai jamais dansé, même pas dans le corps de ballet. Reid Anderson, le répétiteur des ballets du chorégraphe John Cranko, est venu à Paris faire sa distribution en mai 2024. Ce qui est drôle, même s'il ne l'a pas fait exprès, c'est que toutes les Tatiana qu'il a choisies sont brunes et toutes les Olga sont blondes.
Vous dîtes qu'il est venu faire sa sélection, ça s'est passé comment ?
Reid Anderson a assisté au cours de danse pour nous regarder. Il n'est pas forcément attiré par la technique mais par ce qu'une personne peut dégager, son sens artistique, son sens du mouvement. Il a eu l'occasion de me voir sur scène aussi. Je dansais Myrtha dans Giselle le soir. Cours, répétitions, spectacle, il n'a fait qu'observer, il n'y avait pas une audition particulière.
À ce moment-là, vous n'étiez pas encore étoile ?
Non, j'étais première danseuse.
Qu'est-ce que ça change, le fait de danser ce ballet en tant qu'étoile ?
Les répétitions, moi, j'aime ça. J'aime le travail, aussi bien en studio qu'en scène. Je suis contente de faire cette recherche et de découvrir le rôle. Mon partenaire masculin est Milo Avêque qui vient tout juste d'être nommé coryphée [il y a cinq échelons dans le corps de ballet de l'Opéra de Paris : quadrille, coryphée, sujet, premier danseur et étoile]. C'est son premier grand rôle [celui de Lenski] et cela me fait plaisir de pouvoir le soutenir et l'accompagner. Je suis concentrée sur nous deux, ce qui me permet d'oublier un peu la pression que j'aurais pu me mettre si j'avais dansé avec une étoile en me disant : il faut que je sois à la hauteur maintenant... Ce que je me dirai de toute façon ! J'essaye de ne pas focaliser là-dessus parce que j'ai envie de pouvoir en profiter.
Vous êtes distribuée dans Onéguine. Pour ces représentations, vous prévoyez combien de paires de chaussons pointes ?
J'en prévois une paire par spectacle, je n'ai pas besoin d'en changer pendant la représentation. J'ai pu m'en rendre compte avec les répétitions en scène. En général, les chaussons que j'utilise sont un peu salis par le lino, donc, pour des raisons esthétiques, pour le spectateur, je n’aime pas trop les réemployer. Je mets des pointes neuves avec lesquelles j'ai déjà travaillé mais qui n'ont pas encore été usées par le lino.
C'est compliqué la gestion des pointes ?
Ce qui est compliqué, c'est de trouver la bonne. La pointe parfaite, c'est celle avec une plateforme au bout du chausson assez dure et qui ne se ramollira pas pendant le spectacle. On utilise des produits, un durcisseur de bois ou de la glu pour permettre à la pointe de rester dure. Au niveau de la semelle, il faut aussi avoir la dureté nécessaire parce qu'on a quand même tout notre poids dessus. Il faut pouvoir se sentir supportée quand on monte sur pointes et en même temps, que ce ne soit pas trop rigide. Si on fait du bruit en courant par exemple, entendre les clac clac clac, ce n'est pas toujours joli et ça casse le côté irréel des ballets. Il faut aussi se sentir bien dans le sol avec un pied un peu étalé, un pied vivant au niveau de la voûte plantaire. On fait des essais. Pour des ballets en trois actes, si j'ai le premier rôle, je prévois carrément une paire par acte.
Les jours où vous êtes vraiment bien dans vos pointes, qu'est-ce que vous ressentez ?
Là, on se sent capable de tout, on se sent hyperfort. Il y a un truc de surpuissance. On se sent propulsée, aidée par la pointe dans les sauts et en même temps parfaitement stable pour faire 4 ou 5 pirouettes d'un coup [les pirouettes sont des tours sur elle-même effectués par la danseuse dressée sur une pointe]. On sent qu'on ne fait plus qu'une. Et c'est tout le but du travail sur pointes.
Pour revenir au soir de votre nomination au titre d'étoile, à quel moment comprenez-vous que le grand jour est arrivé ?
Quand j'ai vu le directeur de l'opéra, Alexander Neef et José Martinez, le directeur de la danse apparaître sur scène. Je ne les avais pas vus avant. Ils étaient bien cachés. Waouh, je me suis mise à trembler et j'ai regardé mon partenaire car ça aurait pu être pour lui aussi, étant donné qu'il est premier danseur. Mais comme je dansais le rôle principal, en les voyant entrer, je me suis dit quand même que c'était pour moi parce que j'étais première danseuse depuis trois ans. J'avais déjà montré pas mal de choses et de facettes de moi dans différents rôles. J'ai attendu le petit discours d'Alexander Neef et quand il a précisé "une" artiste, même le public n'a pas pu s'empêcher de réagir, avant même la vraie annonce.
On vous a vue prendre votre visage entre vos mains...
Oh là, là [elle a les larmes aux yeux comme si elle revivait cet instant], il y avait un truc complètement irréel. J'ai été tellement de fois dans cette situation d'être sur scène pendant une nomination que c'était dingue que ça m'arrive enfin. C'est très rare pour un danseur d'en arriver là et j'étais prête à ce que cela n'arrive pas, à être juste heureuse de pouvoir danser, d'avoir des rôles. Avec José Martinez, les premiers danseurs sont considérés, ils ont leur place et l'occasion de tester plein de rôles. Alors même si on n'a pas le confort des étoiles, en ayant plusieurs dates de distribution mais seulement une ou deux, on touche au travail d'étoile et j'étais quasi satisfaite avec ça, en fait.
À qui avez-vous pensé en premier ?
À ma maman qui était dans la salle. Je savais que s'il y avait une personne qui ne devait pas rater ça, c'était ma maman, autant pour moi que pour elle. Elle m'a accompagnée depuis l'école de danse soutenue, sans savoir vers quoi on allait parce que ce n'était pas un milieu qu'elle connaissait. Il a fallu qu'elle fasse confiance à mes professeurs, confiance à ma passion et qu'elle m'encourage quand elle voyait qu'il y avait des moments durs pour moi. Ce qui était fou, c'est que j'avais seulement deux représentations et que la première avait été annulée à cause de la grève. Il n'était pas forcément question qu'elle revienne mais en dernière minute, elle m'a dit : "C'est bon, j'ai trouvé des billets de train", parce qu'elle vient de Bordeaux. C'était fou. De même, la plupart de mes proches s'étaient reportés sur la deuxième date. Pour ma maman, c'était un magnifique cadeau. Elle a pu venir sur le plateau après le spectacle. Elle est toujours très discrète, timide et de la retrouver là, au milieu de tous mes coachs, mes directeurs, les danseurs, c'était très émouvant. J'ai les larmes aux yeux rien qu'en le racontant.
Revenons sur votre parcours. Où êtes-vous née ?
Je suis née à Auch, dans le Gers, en 1995, où vivait ma maman qui est française et traductrice interprète. Grâce à elle, j'ai baigné très jeune dans un flot de langues. Elle parle allemand, espagnol, a des amis de tous les pays. En plus, mon père est macédonien et m'a appris sa langue. Il travaillait pour l'ambassade de Macédoine. La règle, c'est qu'il est muté quatre ans dans un pays avant de revenir pendant trois ans dans son pays d'origine puis de repartir. Ma mère a deux filles d'un premier mariage que je considère comme mes sœurs. Quelques semaines après ma naissance, on est partis à Lille où l'une de mes sœurs faisait une école de théâtre. Puis mon père a été muté à Bruxelles. Vers l'âge de 3 ans, j'ai donc vécu en Belgique une première fois, puis, de 5 à 9 ans et demi en Macédoine, puis à nouveau à Bruxelles. Je suis entrée à l'école de danse de l'Opéra de Paris [située à Nanterre] à 12 ans en tant qu'interne et je faisais les allers-retours le week-end. Quand mon père a pris sa retraite, mes parents se sont installés près de Bordeaux où ma mère a gardé son bureau de traductrice. Donc, à la fin de mon cursus, je faisais les allers-retours Paris-Bordeaux.
Quand avez-vous commencé à danser ?
J'ai eu très tôt le sens du rythme. Il paraît que dès qu'il y avait de la musique, je faisais le spectacle. J'ai commencé la danse en Macédoine, à Skopje, la capitale. J'avais 8 ans et demi et c'étaient des cours tels que je les pratique encore aujourd'hui avec des exercices à la barre dans l'ordre dans lequel je les connais. C'est vraiment ce qui m'a marqué : d'un cours à l'autre, il fallait se souvenir de l'exercice qui suit. Et ça m'a plu. La rigueur m'a plu. Ce n'était pas vraiment ce qu'on appelle danser pour le plaisir. La barre, c'est une hygiène de vie. C'est ainsi que je pourrais la décrire. C'est ce par quoi il faut commencer tous les jours quoi ! J'ai découvert la scène en participant à un spectacle : Peter Pan. Mon premier rôle, c'était la fée Clochette !
Comment avez-vous vécu votre passage à l'école de danse ?
Je me souviens surtout du début et de la fin. Le début parce que c'était très dur d'être séparée de mes parents. J'ai mis un ou deux mois à arrêter de pleurer. Se retrouver seule le soir avec la fatigue, pour un enfant, c'est difficile. Ma mère m'a dit qu'elle ne m'en voudrait pas si je décidais d'arrêter mais m'a demandé de me décider vite pour ne pas prendre la place d'une autre petite fille. J'ai réalisé que je devais saisir ma chance et du jour au lendemain, j'ai arrêté de pleurer. Les deux dernières années aussi ont été dures à cause de la compétition, le fait d'avoir des examens tous les ans. Les premiers concours de promotion, j'étais première tous les ans quasiment mais la première année où j'ai essayé d'entrer dans le ballet de l'Opéra de Paris, j'ai échoué. Je suis arrivée dernière et je n'ai pas été engagée. Il y avait une seule place. Ça a été un petit choc parce qu'on m'avait dit que j'avais toutes mes chances. J'aurais préféré qu'on ne me donne pas de faux espoirs. J'avais encore l'âge de redoubler et je suis donc repartie à l'école à 17 ans, avec le bac et un autre concours à préparer. À l'adolescence, on a envie d'être indépendant et à l'internat, j'étais avec une fille qui passait le brevet. J'étais une des rares filles de mon âge à être interne, donc j'ai un peu serré les dents. Je savais que je n'aurais plus d'autres chances d'entrer à l'Opéra de Paris. J'ai donc tout donné pour avoir mon bac parce que c'était très important. Il peut aussi y avoir des blessures qui empêchent de danser. Et j'ai réussi les deux, le bac et le concours d'entrée. Je crois que je n'ai jamais vu mon père pleurer de joie comme ce jour-là.
Votre double culture est-elle un atout ?
À un an, j'étais déjà dans la voiture à voyager. On faisait les trajets jusqu'à la Macédoine en voiture en s'arrêtant en chemin. Je pense que ça m'a donné un sens de l'adaptation qui me sert aujourd'hui dans mon métier.
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Quelle est votre plus belle qualité de danseuse et votre plus gros défaut ?
Je pense que ma qualité est justement ma capacité à m'adapter à un style et à un autre, d'être capable d'être aussi bonne dans du classique que dans du néo-classique, voire du contemporain. J'ai envie d'être une artiste complète et cette saison me permet de me rendre compte que j'y arrive et je pense que c'est une qualité, mon sens de l'adaptation et ma capacité à relever les challenges. Mon défaut ? Peut-être une remise en question excessive parce que je ne prends jamais rien pour acquis. Avec la fatigue, je peux perdre confiance en moi ou ne pas avoir une assez bonne image de moi-même. Mais j'essaie de transformer cette sensibilité en qualité pour la scène où les défauts peuvent aussi être des qualités.
Vous avez été nommée étoile à 29 ans. C'est un bon âge ?
Je trouve que c'est parfait. On veut toujours que tout aille très vite mais maintenant, je sais que chaque chose est arrivée au moment où elle devait arriver. Je n'ai brûlé aucune étape et je me sentais prête.
Vous avez 29 ans, pensez-vous que le fait d'être étoile peut être un frein à la maternité ?
Non. Depuis que je suis dans le ballet, je vois que, peu importe le grade, beaucoup de danseuses ont des enfants un, deux, voire trois pour ma colocataire de loge. Mais je viens juste d'être nommée étoile donc ce n'est pas du tout le moment, j'ai envie d'en profiter. Je pense que ça arrivera peut-être après 35 ans.
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Que diriez-vous à une petite fille qui aujourd'hui rêve de devenir étoile ?
De ne pas se mettre trop de pression. De ne pas oublier pourquoi on danse, pour la passion. Parce que dans les moments durs, on a parfois du mal à s'en souvenir. Et surtout, de ne pas avoir peur d'aimer travailler, d'aimer transpirer. C'est le secret pour progresser même si on n'a pas forcément tous les atouts physiques au départ.
À condition que les critères sur ce que doit être le corps d'une danseuse évoluent, non ?
C'est en train d'évoluer énormément. Je pense qu'il y a peut-être quarante ans, j'aurais été trop grande pour être danseuse.
Vous mesurez combien ?
1,74 mètre.
Une dernière question... qu'est-ce que la danse nourrit en vous ?
C'est une forme de méditation, de reconcentration sur moi. C'est vraiment un endroit où je me régénère, c'est une bulle. En tout cas en studio. Et après, sur scène, il y a vraiment un don de soi. Je peux faire confiance à mon corps qui a tellement répété qu'il sait ce qu'il a à faire. Je peux laisser les tripes parler et jouer des rôles, être quelqu'un que je ne suis pas forcément dans la vie. On peut avoir plein de vies, être tellement de personnes différentes. Comme un chat, j'ai plein de vies.
Roxane Stojanov dans "Onéguine", ballet de John Cranko, au Palais Garnier, vendredi 14 février et lundi 17 février 2025, puis dans "Appartement", de Mats Ek, du 27 mars au 18 avril.
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