: Grand entretien "Je voulais partir joliment" : le danseur étoile Mathieu Ganio fait sa dernière révérence sur la scène du Palais Garnier
L'Opéra de Paris s'apprête à vivre une soirée pleine d'émotion avec le départ en retraite d'un danseur élégant, apprécié du public depuis plus de vingt ans. Avant la date fatidique, il nous a accordé un dernier entretien, touchant par sa sincérité.
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Mathieu Ganio fera son ultime salut à l'Opéra Garnier le samedi 1er mars, à la fin du ballet Onéguine qu'il interprète, comme en 2018, avec son amie Ludmila Pagliero. Il n'est jamais facile de dire adieu. Encore moins pour un danseur qui a connu les feux de la rampe dès l'enfance. Mathieu Ganio est le fils de Dominique Khalfouni, ancienne étoile de l'Opéra de Paris, devenue soliste du ballet national de Marseille, et de Denis Ganio, également soliste dans la troupe de Roland Petit. Né dans la cité phocéenne en 1984, il n'a que 2 ans lorsqu'il fait sa première apparition sur scène aux côtés de sa mère, et seulement 20 ans lorsque, à sa grande surprise, il est nommé danseur étoile de l'Opéra de Paris, le 20 mai 2004. Voilà donc vingt-et-un ans et des poussières qu'il brille au firmament. Ce danseur dit "noble", très aimé de ses partenaires, a décidé de prendre sa retraite en 2025. Juste avant ce grand moment, il a accepté de nous confier ses sentiments et de revenir sur les rencontres et les événements les plus marquants de sa carrière.
Franceinfo Culture : Vous vous apprêtez à danser votre tout dernier ballet sur la scène du Palais Garnier. Que ressentez-vous ?
Mathieu Ganio : Plein de choses. Je passe un peu par toutes les étapes. Là, je suis encore dans la concentration et les corrections pour le spectacle. J'ai envie que tout soit bien pour le jour J. Tout le reste... ça va forcément venir, mais pour l'instant, il y a suffisamment de choses sur lesquelles réfléchir pour que cela ne prenne pas trop de place. C'est vrai que j'ai eu une petite "descente" parce que les dates de mes deux représentations sont très espacées. Mais justement, je ne veux pas lâcher parce que ce n'est pas fini, il faut continuer jusqu'au bout. Je n'ai pas envie d'être dans un truc trop émotif qui ne va pas servir à grand-chose. Ça, j'aurai le temps de l'avoir plus tard. Je ne veux pas que ça m'empêche de profiter en scène.
Est-ce vous qui avez choisi le ballet Onéguine et la date de votre départ ?
J'ai parlé de mes adieux avec Aurélie Dupont qui était directrice de la danse à l'époque, parce que je souhaitais partir un an avant ma date initiale. On a regardé la saison à venir et parmi les ballets programmés, il n'y avait pas grand-chose qui fonctionnait pour faire mes adieux. Je n'allais pas partir sur La Belle au bois dormant ou sur Paquita...
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Vous vouliez quel type de rôle ?
Un beau rôle qui racontait une histoire et qui ne soit pas non plus trop ambitieux. Je n'avais pas envie de faire une prise de rôle [danser un ballet pour la première fois] à 42 ans. Aurélie m'a demandé ce que j'aimerais bien faire idéalement et je lui ai répondu qu'un truc genre Onéguine, ce serait super, et donc elle a très gentiment programmé Onéguine.
Pour vous ?
Oui. Enfin, il y avait aussi Laura Hecquet, une autre danseuse étoile qui devait partir aussi et avait le même souhait. On aurait dû partir tous les deux sur Onéguine, mais elle a avancé un peu son départ [au 10 octobre 2024].
Vous fêterez vos 41 ans le 16 mars. Pourquoi avoir choisi de devancer l'âge de la retraite fixé à 42 ans pour les danseurs de l'Opéra de Paris ?
Parce que j'ai la chance de pouvoir accéder à une formation et que je veux en profiter. J'ai énormément apprécié être ici, mais je pense que j'ai fait mon temps. Ça devenait de plus en plus dur de se regarder dans le miroir et de ne plus pouvoir faire certaines choses que j'avais envie de faire. Du coup, il y a eu un moment où j'ai un peu paniqué.
"Je me suis dit : ça va être encore long. Comment je vais maintenir mon niveau d'étoile de l'opéra avec toutes les jeunes générations qui arrivent, qui sont hyper performantes ?"
Mathieu Ganio, étoile de l'Opéra de Parisà franceinfo Culture
Le fait d'avoir une date butoir et une année de transition un peu plus calme, pour éviter l'effet couperet, ça m'a fait du bien et ça m'a presque décomplexé.
Le 5 février, lors de la répétition générale, vous sembliez pourtant au sommet de votre art ?
C'est sûr qu'au niveau de l'interprétation, j'en profite beaucoup plus qu'avant et que je "m'éclate". Mais il faut aussi avoir une technique qui reste solide et être crédible. Le corps, ça devient compliqué et je voulais partir joliment. Je ne voulais pas qu'on se dise "heureusement qu'il est parti".
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Savez-vous déjà ce qui vous manquera le plus ?
Je ne peux pas savoir. Ce qui est inquiétant, c'est justement de se dire comment je vais réagir ? Parce qu'on a forcément des projections, des attentes et des craintes. Je pense que la scène va me manquer énormément et surtout les gens. La vie de troupe, c'est ce qui m'a plu quand j'étais tout enfant. S'il y a un truc en ce moment qui m'émeut beaucoup, c'est vraiment les témoignages d'affection des gens. Je me dis que j'ai eu beaucoup de chance. Cette proximité, cette complicité avec les gens, le travail au quotidien avec les danseurs, les rires... tout ça ! Après, je pense que ce sera une vie un peu plus solitaire, même si j'ai ma famille.
Quand vous regardez dans le rétroviseur, quel a été le moment le plus émouvant de toute votre carrière ?
Ma nomination forcément. C'est quand même ce qui change la vie. C'est un titre qui fait tout basculer. On ne danse pas forcément moins bien avant et mieux après, mais c'est une consécration, une espèce de Graal qu'on espère tous et qui permet tellement de choses. J'ai été extrêmement ému quand c'est arrivé et avec les années, je mesure d'autant plus ma chance.
À l'inverse, quel a été le moment le plus difficile de votre carrière ?
Il y a eu un moment difficile juste après ma nomination. Il a fallu faire son trou, se dire qu'on n'avait pas volé sa place (...) et puis il y a eu une blessure, une double hernie. Ça a été compliqué. Je me suis vraiment dit : "OK, j'ai 24 ans, si ça ne va pas mieux, qu'est-ce que je vais faire ?" Il y a un avant et un après. On n'est plus du tout pareil.
Après ce gros pépin, vous avez eu tendance à vous limiter ?
En tout cas, ça a toujours été dans un coin de ma tête. Dans mes choix, il a eu peut-être eu moins de prises de risque. Il y a toujours eu ce truc : attention à ne pas te faire mal, à ne pas retomber dans une espèce de spirale. Sans trop s'écouter évidemment, parce que sinon on arrête de progresser.
Physiquement, à 40 ans, est-ce que vous pensez avoir atteint vos limites ?
Oui parce qu'il y a des jours où tu as beau pousser, il ne se passe rien ! Et ça fait peur. Avant, on pouvait pousser, autant qu'on voulait, le truc, c'était de cibler, de doser. Là, même en étant plus attentif aux bons positionnements, à l'activation des bons muscles, il y a des jours où ça ne veut pas. Tout le travail, c'est de faire avec mais c'est dur psychologiquement et c'est dur physiquement.
Quels sont les chorégraphes qui ont beaucoup compté dans votre carrière ?
Ils nous laissent tous une trace. Je pense à John Neumeier parce que j'ai eu la chance de le rencontrer très jeune. À Pierre Lacotte aussi parce que j'ai fait beaucoup de choses de lui et qu'il a été là depuis le début. Il m'a toujours soutenu même s'il avait parfois des attentes très définies pour moi qui n'étaient pas forcément celles que j'avais pour moi-même. Nous n'étions pas toujours d'accord, mais je lui dois beaucoup. J'ai également beaucoup aimé travailler avec Mats Ek, avec Angelin Preljocaj et Roland Petit, forcément, puisque c'est celui avec qui j'ai grandi.
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Savez-vous déjà ce que vous ferez à l'avenir ?
J'ai une année pour me former et me préparer à un autre métier. Je suis en train de mettre ça en place, mais c'est un peu compliqué parce que j'aimerais quand même continuer à mener certains projets artistiques. Et si on est en pleine formation, c'est délicat.
Le métier idéal pour vous, dans les vingt ans qui viennent, ce serait lequel ?
S'il y en avait un, je l'aurais déjà choisi, mais j'aime bien le métier de guide conférencier, parce que j'adore l'histoire. Mais comme c'est une formation très contraignante en termes de temps, je pense que je ferai ça un peu plus tard. Là, je vais peut-être me tourner vers la naturopathie parce que c'est quelque chose qui me plaît. J'ai 2 enfants, je pense que ça peut être aussi intéressant. C'est une formule qui est plus adaptée à mon actualité et qui pourra toujours me servir. Voilà, il y a plusieurs choses... Je n'ai pas de plan de deuxième carrière. Je veux que la formation me soit utile, mais sans me fermer à d'autres possibilités. Je pense qu'il faut y aller à tâtons.
Vous pourriez un jour devenir guide conférencier ici, à l'Opéra ?
Pourquoi pas ? En tout cas, ce n'est pas pour demain !
Qui avez-vous invité pour cette dernière représentation ?
Des gens qui ont compté pour moi artistiquement, des amis proches, des gens que je n'ai pas vus depuis longtemps et qui feront le déplacement spécialement, un petit peu de famille... bref, des gens qui ont marqué mon parcours.
Vous pouvez nous donner quelques noms ?
Et bien déjà, mes anciennes partenaires qui ont été super importantes pour moi, notamment au moment où il a fallu que je fasse ma place. Elles m'ont accueilli, m'ont permis de grandir et de me trouver en tant que partenaire et en tant qu'étoile. Je pense à Clairemarie Osta, Isabelle Ciavarola, Lætitia Pujol... J'ai aussi eu des modèles comme Manuel Legris, des gens qui m'ont aidé dans la répétition comme Monique Loudières, Claude de Vulpian... Ils ont nourri mon imaginaire et qui m'ont beaucoup apporté en tant que danseur. Ma mère sera aussi présente, avec ma sœur.
J'allais justement vous demander qui prend la relève à l'Opéra dans la famille Ganio ?
Ma sœur Marine a déjà pris la relève, mais là, en plus, elle vient d'être nommée première danseuse. C'est une jolie passation et je suis vraiment content pour elle. Pour plein de raisons : son travail, sa persévérance, son talent et pour sa vie, tout simplement.
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Les adieux de Mathieu Ganio dans Onéguine, chorégraphie de John Cranko au Palais Garnier, à Paris, le 1er mars 2025, avec Mathieu Ganio et Ludmila Pagliero dans les rôles principaux.
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