: Interview "Les Demoiselles de Rochefort, c'est très, très difficile à chanter" : Jean-Luc Choplin adapte le film de Jacques Demy en comédie musicale pour le Lido
Nous avons rencontré le président et directeur artistique de cette salle mythique avant la première du spectacle qui aura lieu jeudi. Dialogue avec un homme audacieux.
/2021/12/14/61b8b99b80249_valerie-gaget.png)
/2025/10/01/choplin-20250918-lido1969-68dcfee8729e6747844211.jpg)
"Nous sommes deux sœurs jumelles, nées sous le signe des Gémeaux..." Qui n'a pas fredonné un jour cette ritournelle, entrée dans l'histoire des films musicaux ? Jusqu'au 11 janvier 2026, elle résonnera sur la scène du Lido, le mythique cabaret des Champs-Élysées à Paris, reconverti en salle de spectacle. À sa tête depuis 2023, Jean-Luc Choplin, 75 ans, un passionné du théâtre musical. Sa vie ferait un bon roman d'aventures. Pleine d'imprévus et de rebondissements, il faudrait des pages et des pages pour en dessiner tous les méandres. De Rudolf Noureev à son ami Bob Wilson, en passant par John Cage, Roland Petit et Trisha Brown, il a côtoyé les plus grands artistes du XXe et du XXIe siècles. Il a notamment produit onze saisons au théâtre du Châtelet et participé à la création du Parc Disney de Marne-la-Vallée.
Après avoir enjambé son petit chien, couché sur le seuil de sa porte, nous pénétrons dans son grand et lumineux bureau du Lido, avec vue imprenable sur la plus belle avenue du monde. Jean-Luc Choplin porte des lunettes rouges, assorties à son pull, et des chaussures noires tachetées comme une toile de Jackson Pollock. Discussion à bâtons rompus autour de sa passion pour les comédies musicales.
Franceinfo Culture : Adapter Les Demoiselles de Rochefort, était-ce un rêve ancien ?
Jean-Luc Choplin : J'ai commencé à travailler avec Michel Legrand en montant Les Parapluies de Cherbourg au théâtre du Châtelet en 2014. On a tellement aimé cette expérience que l'on s'est dit qu'il fallait faire autre chose. Je lui ai demandé : "Et si nous adaptions Peau d'âne, cela n'a jamais été fait." Il a accepté avec grand plaisir. Entretemps, j'étais passé du Châtelet au théâtre Marigny. Quand Michel est décédé en janvier 2019, les représentations de Peau d'âne avaient commencé. Nous avions évidemment parlé de l'idéal qui était d'adapter aussi Les Demoiselles de Rochefort. En regardant le film de Jacques Demy, j'ai toujours pensé que c'était une vraie comédie musicale française, très inspirée des films musicaux des années 1960, comme West Side Story.
Qu'entendez-vous par vraie comédie musicale française ?
Cela signifie que vous avez une belle histoire, avec une vraie dramaturgie mais aussi des musiques et des sujets qui invitent à faire des chorégraphies. L'arrivée des forains à Rochefort, par exemple, est un magnifique prétexte. Quand ces éléments sont réunis, vous avez une forme qui est là devant vous et pour la scène, il faut lui donner un rythme, une dynamique. Les Demoiselles de Rochefort, c'est assez spécifique. L'action se déroule à l'extérieur, dans une ville, avec six ou sept lieux différents. Il faut arriver à retrouver l'ADN du film, cette interaction avec les gens de Rochefort. On passe de la ville, espace extérieur, à un espace fermé. Il faut recréer dans l'espace théâtral, les espaces fermés du film : un magasin, une galerie d'art, un bar, etc. Je pense aussi qu'il y avait dans la musique de Michel Legrand, comme une espèce de ronde, avec un leitmotiv. Les auteurs appelaient cela un film "en chanté", en deux mots. Voilà donc une comédie musicale en chanté.
/2025/10/01/portrait-choplin-20250918-lido1434-68dd1fe420137450888640.jpg)
Comment avez-vous procédé ? Vous avez acheté les droits ?
Oui, j'ai demandé aux héritiers de Jacques Demy, Rosalie Varda et Mathieu Demy d'un côté, et à la succession Legrand, Macha Meryl et les enfants de Michel, les droits pour monter sur scène cette œuvre. Cela s'est très bien passé. Je leur ai dit que j'allais le faire, comme au Châtelet et à Marigny, de façon très sérieuse, avec une priorité à l'excellence, à la qualité, à la musique de Michel Legrand. Je veux proposer le meilleur de ce que l'on peut faire dans le théâtre. L'orchestre [14 musiciens] sera présent de chaque côté de la scène. Je pense que c'est très important pour que la musique et les images se rencontrent. Plutôt que de les cacher dans une fosse d'orchestre, on met les musiciens en évidence. Je ne monte et ne produis aucune œuvre qui ne soit musicalement forte.
Ont-ils posé certaines limites ?
On a convenu ensemble que les seules musiques que j'utiliserai seraient des musiques du film de 1967, qu'on n'irait pas piocher d'autres musiques pour des scènes additionnelles, pas même d'autres compositions de Michel Legrand. On a aussi convenu de garder strictement les textes du film, sans rajouter des paroles. Par contre je pouvais supprimer telle ou telle scène. Il y a des choses que l'on ne fait pas pour des questions de rythme ou parce que c'était très difficile à réaliser. Il reste quand même, je crois, 27 scènes différentes, donc beaucoup de choses à voir et à entendre.
Est-ce que vous suivez les répétitions au jour le jour depuis qu'elles ont commencé, en août ?
Oui, oui, bien sûr. J'ai aussi fait toutes les auditions avec mon metteur en scène, Gilles Rico, ma chorégraphe, Joanna Goodwin et mon directeur musical, Patrice Peyriéras. J'ai pas mal de choses à faire pour gérer la maison, les ventes, les personnels mais je suis aussi dans le détail les répétitions. J'ai un écran dans mon bureau qui me permet de voir la scène. Et je suis très proche évidemment de l'équipe créative que j'ai choisie.
Combien de candidats ont participé aux castings organisés à Paris et à Londres ?
On a vu à peu près 400 personnes. On a choisi les meilleurs. Ensuite, on a essayé de trouver les deux demoiselles de Rochefort, ce qui était un vrai challenge car c'est très très difficile à chanter. C'est d'une complexité d'ambitus, d'étendue vocale, si vous voulez, du grave à l'aigu, très élevée, et d'autre part, les variations chromatiques sont très importantes. Comme vous le savez, dans le film, tout était doublé. Là, il fallait que je trouve d'excellentes "demoiselles" musicales qui devaient aussi correspondre aux comédiennes du film [Catherine Deneuve et sa sœur Françoise Dorléac] et sachant aussi bouger. Il fallait aussi que je trouve d'excellents danseurs car ceux du film sont tout à fait exceptionnels.
/2025/10/01/lido-troupe-z63-6304-68dd2d0f52f9a592846667.jpg)
En France, où le succès des comédies musicales est relativement récent, est-il facile de trouver des artistes capables de chanter, danser et jouer la comédie ?
Ça a beaucoup évolué. J'ai commencé au Châtelet il y a maintenant presque vingt ans et oui, la qualité a depuis progressé de façon considérable.
La première fois que vous avez vu une comédie musicale, c'était où ?
Ma première vraie comédie musicale, je l'ai vue à Broadway à l'âge de 25 ans environ. C'était Candide de Leonard Bernstein que j'ai montée comme première comédie musicale au Châtelet, pour voir comment ce genre pouvait inspirer Paris et y prendre racine.
Combien de comédies musicales avez-vous montées à ce jour ?
Je pense une trentaine dont vingt-quatre au Châtelet. J'en ai fait aussi un peu à la Seine Musicale puisque j'avais notamment remonté West Side Story.
Êtes-vous attaché à ce rôle de transmission du patrimoine de la comédie musicale ?
J'ai beaucoup contribué à faire que le grand répertoire de la comédie musicale, que ce soit La Mélodie du bonheur, My Fair Lady, Kiss Me, Kate ou West Side Story, soit connu à Paris parce qu'il ne l'était pas. J'ai voulu faire connaître ces spectacles dans leur meilleur avec de très bons orchestres, des gens sachant vraiment très bien chanter, souvent des chanteurs d'opéra, des grands décorateurs, des metteurs en scène de très haut niveau. J'ai voulu servir cet art qui est un des plus difficiles parce qu'il faut savoir tout faire, chanter, danser, jouer la comédie. Et j'ai mis tous les moyens possibles pour que l'on puisse dire : ce n'est pas du bas divertissement mais vraiment de l'art. Je vais continuer à le faire. Cela permet à des comédies musicales plus populaires de continuer à exister à côté et de très bien fonctionner.
Est-ce que ce n'est pas un peu incongru Les Demoiselles de Rochefort au Lido, sachant qu'on a plutôt l'image d'un cabaret avec des spectacles sexy ?
Le Lido, je le change ! Je le change en essayant d'en faire un temple du théâtre musical international. J'ai tenu à ouvrir avec A Funny Thing Happened on the Way to the Forum de Stephen Sondheim, un blockbuster, Hello Dolly! et quelques autres plus modernes. Le Lido, je suis en train de le transformer, d'en faire ce nouveau théâtre sur les Champs-Élysées, en oubliant un peu les revues mais en gardant ce côté cabaret, cette liaison entre la scène et la salle, sans ce mur de séparation avec le proscenium et la fosse d'orchestre. C'était le lieu parfait pour Les Demoiselles de Rochefort qui se situe sur une place publique, avec des forains. Cela permet cette relation avec le public. C'est une très grande et très belle œuvre. N'hésitez pas à venir la voir en famille.
Vous savez comment marchent les réservations ?
Très bien. On est très contents. Il y a un vrai bouillonnement, la casserole n'est pas encore complètement en ébullition, mais pas loin.
"J'ai rencontré des gens tellement extraordinaires... Ça a été Noël tout le temps, quoi !"
Jean-Luc Choplinà franceinfo Culture
Vous avez une carrière exceptionnelle. De quoi est-ce que vous êtes le plus fier dans tout ce chemin parcouru ?
Du chemin ! C'est ce qui me rend fier. J'ai fait des expériences et surtout j'ai rencontré des gens tellement extraordinaires. Roland Petit, Rudolf Noureev, John Cage, Merce Cunningham, le galeriste Yvon Lambert, Bob Wilson qui a été l'un de mes grands compagnons de route... C'est incroyable le nombre de personnalités que le ciel m'a donné à rencontrer. J'ai eu la chance de pouvoir travailler et créer avec eux. J'en suis surpris même. Et je garde cette naïveté de me dire : "Mais comment ça se fait que tout cela me soit arrivé ?" Ça a été Noël tout le temps quoi !
On vous qualifie parfois de producteur aventurier, cela vous sied comme définition ?
La curiosité, l'audace, c'est peut-être ça l'aventure ? C'est oser ouvrir le rideau avec Stephen Sondheim et une œuvre inconnue. J'ai cette audace d'oser aimer les artistes, d'oser aimer les œuvres et je suis un producteur très attentif aux détails pour que l'alchimie générale se passe. Je parle avec le metteur en scène, je m'intéresse aux perruques, aux costumes... Je suis très présent. Je ne signe pas des chèques.
Cela coûte cher ce type de productions ?
Oui, bien sûr. Il faut essayer de jouer suffisamment pour amortir les coûts de production. C'est le challenge que j'ai là au Lido qui fait partie du groupe Accor. C'est comme une marque de luxe, un peu comme Vuitton pour LVMH.
Et vous avez déjà choisi le prochain spectacle du Lido ?
Oui, mais je ne vous dirai pas ce que c'est. Je commence déjà à travailler.
/2025/10/01/affiche-40x60-ldr-250514-68dd330eef8a4332397153.jpg)
"Les Demoiselles de Rochefort" au théâtre du Lido, spectacle adapté du film original de Jacques Demy avec une musique originale composée par Michel Legrand, du 2 octobre 2025 au 11 janvier 2026, à Paris, avec J
France Musique sort le 9 octobre une collection de podcasts produite par Laurent Valière
À regarder
-
Une finale en or : "C'est une famille qui a gagné"
-
Laurent Nuñez, Jean-Pierre Farandou... La liste des ministres du gouvernement Lecornu II
-
Cookie, burger : le croissant à toutes les sauces
-
Sauvetage spectaculaire : hélitreuillé depuis l'Arc de triomphe
-
Retour de S. Lecornu : peut-il tenir ?
-
"Je ne l'ai pas tuée" : Cédric Jubillar réaffirme son innocence
-
Oeufs, à consommer sans modération ?
-
Ours : ils attaquent même dans les villes
-
Ce radar surveille le ciel français
-
On a enfin réussi à observer un électron !
-
"Manifestation des diplômés chômeurs, un concept marocain !"
-
Crise politique : "La dernière solution, c'est la démission du président de la République"
-
Le loup fait taire la Fête de la science
-
Les tentatives de suic*de en hausse chez les adolescentes
-
Défi chips : alerte dans un collège
-
Quand tu récupères ton tel à la fin des cours
-
Ukraine : le traumatisme dans la peau
-
Teddy Riner s'engage pour sensibiliser sur la santé mentale
-
Suspension de la réforme des retraites : les gagnants et les perdants
-
Ukraine : le traumatisme dans la peau
-
L'espoir renaît à Gaza après l'accord de cessez-le-feu
-
Une école pour se soigner et réussir
-
Taux immobiliers : est-ce le moment d'acheter ?
-
La panthéonisation de Robert Badinter
-
Cancer : des patientes de plus en plus jeunes
-
"Le Bétharram breton" : 3 établissements catholiques dénoncés par d'anciens élèves
-
Cessez-le-feu à Gaza : un premier pas vers la paix
-
Quand t'as cours au milieu des arbres
-
Il gravit la tour Eiffel en VTT et en 12 min
-
Pourquoi on parle de Robert Badinter aujourd'hui ?
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter