Sortie de la série "Too Much" : dix ans après "Girls", que reste-t-il de l'œuvre de Lena Dunham ?

Article rédigé par Zoé Ayad
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Image de la série "Too Much" réalisée par Lena Dunham (allongée sur la photo). (ANA BLUMENKRON / NETFLIX)
Image de la série "Too Much" réalisée par Lena Dunham (allongée sur la photo). (ANA BLUMENKRON / NETFLIX)

La réalisatrice s'est forgé une réputation avec le film "Tiny Furniture", puis a rencontré le succès grâce à sa série "Girls" où elle incarne la narcissique Hannah Horvath. Son œuvre au style "mumblecore" a porté toute une génération.

Après un long silence, Lena Dunham dévoile Too Much, une nouvelle série coécrite avec son mari, le musicien Luis Felber et diffusée sur Netflix depuis le 10 juillet. Pour son retour sur le petit écran, la réalisatrice s'entoure d'un casting 5 étoiles – Megan Stalter, Emily Ratajkowski, Andrew Scott et même Adèle Exarchopoulos – pour parler de ce qu'elle connaît le mieux, une jeune femme paumée et imbue d'elle-même. Une sortie qui a de quoi créer à nouveau l'événement.

C'est avec un scénario similaire que la réalisatrice avait connu, à seulement 26 ans, son premier grand succès. Diffusée sur HBO, entre 2012 et 2017, la série Girls faisait la chronique acerbe des mœurs de la jeunesse que Lena Dunham disséquait sans tendresse. Ses cobayes ? Quatre anti-héroïnes plus agaçantes les unes que les autres, avec comme figure centrale la narcissique Hannah Horvath, incarnée par Lena Dunham elle-même.

Cette manière de raconter la jeunesse sans embellie, à travers des figures antipathiques bien qu'attachantes, a très vite rangé l'œuvre de Lena Dunham dans le genre mumblecore. Mouvance cinématographique plus qu'école, le mumblecore (du verbe anglais to mumble, marmonner en français) éclôt au début des années 2000, et comme beaucoup de mouvements, son nom est tiré d'une moquerie. "Le concept a été forgé au festival South by Southwest à Austin où plusieurs films programmés avaient en commun de raconter des histoires d'amour d'adolescents qui avaient tendance à marmonner et au-delà de ça à être des gens sans volonté", raconte le journaliste Théo Ribeton, auteur de l'essai Le Mumblecore (Zinzolin, 2014).

Bien que différents, ces films ont été catalogués mumblecore par la critique qui notait des récurrences dans les thèmes abordés et leur traitement. "Les films parlent très souvent du passage de l'adolescence à l'âge adulte, mais il n'y a pas vraiment d'histoire, c'est plutôt une chronique détachée de l'impératif scénaristique", explique Théo Ribeton. "Les cinéastes mettent en scène des personnages qui cherchent à ce qu'il leur arrive quelque chose, mais en fait, il ne se passe pas grand-chose, voire rien dans leur vie", ajoute-t-il pour caractériser ce genre du cinéma indépendant.

Faire des films sur rien et avec rien, donc. Dans ce domaine, plusieurs cinéastes américains ont été considérés comme des figures de proues du genre. "Il s'agit de films très peu produits, donc de nombreux représentants du mumblecore ont périclité, même si certains ont réussi à s'insérer à la télévision et au cinéma". Parmi eux, nous connaissons Andrew Bujalski, Joe Swanberg, Noah Baumbach, Greta Gerwig (présidente du jury du Festival de Cannes 2024) et surtout Lena Dunham qui apparaît, avec Girls, comme une excellente chroniqueuse des mœurs de sa génération.

Chronique disruptive

Dans Girls, nous suivions la vie de Hannah Horvath, aspirante écrivaine, condamnée à devoir gagner sa vie lorsque ses parents lui coupent les vivres. Convaincue d'être "la voix de sa génération", la jeune femme de 24 ans assumait un narcissisme rare à l'écran qui a valu de nombreuses critiques à Lena Dunham injustement confondue avec son personnage. "Le mumblecore a documenté le vide vécu par une génération, à une époque où on parlait de fin de l'histoire, un moment de crise existentielle généralisée d'une jeunesse en quête de sens", souligne Théo Ribeton.

Les réalisateurs reprennent les codes de cette génération perdue dans leurs films. "À cette époque, il y a une démocratisation de l'intimité avec l'apparition de YouTube et de la webcam", explique le journaliste. Il n'est donc pas étonnant de filmer l'intimité sans retenue de telle manière que le spectateur semble épier la scène. Parfois, ces outils espions sont directement utilisés pour filmer, dans d'autres cas, ils sont intégrés à l'écran où l'on aperçoit les tout premiers iPhone. "Ce moment de rupture civilisationnelle de l'intimité a eu un écho de cinéma dans le mumblecore", conclut-il.

Dans ce contexte, la réalisatrice est rapidement critiquée pour son absence de pudeur. C'est dire à quel point Girls a révolutionné la manière de filmer les femmes et leurs corps, rejetant le regard masculin, aussi appelé malegaze. Une authenticité que l'on retrouve dans les thèmes traités, l'avortement, la sexualité, la drogue ou encore la santé mentale sont filmés sans jugement, mais plutôt comme une réalité à montrer qu'elle soit plaisante ou non à voir. "Lena Dunham a eu le courage d'emmener son personnage dans des terrains de folie assez forts qui ne sont pas dans les standards de la comédie romantique", souligne Théo Ribeton.

Comédie romantique inclusive

Avec Too Much, Lena Dunham choisit justement la comédie romantique pour explorer les travers de sa génération. Un tournant attendu lorsque l'on sait que les producteurs de la série sont aussi derrière les comédies romantiques à succès Love Actually, Coup de foudre à Notting Hill et Bridget Jones. Typique d'une romcom, Too Much commence par une rupture et se focalise sur la reconstruction de Jessica – l'héroïne interprétée par Megan Stalter – l'occasion de tourner en dérision les mœurs de notre époque. La réalisatrice abandonne donc l'acidité de Girls pour explorer sa fibre romantique, mais ne perd pas de son mordant.

Ce retour sur le petit écran rappelle la violence médiatique qui s'est abattue sur Lena Dunham à l'époque de Girls, jugée pour son entre-soi et son narcissisme. Avec Too Much, le répertoire de la réalisatrice gagne en inclusivité, une critique longtemps adressée à sa précédente série où le casting central est exclusivement composé de nepobabies à commencer par elle, fille d'artistes. Dans cette nouvelle série, il n'est plus question de construire des histoires sur le vide existentiel de la jeunesse, au contraire le ton léger de la romcom est adopté dès le premier épisode, sans pour autant favoriser une histoire superficielle. Désormais obsolète, son style mumblecore survit à travers l'authenticité du scénario, loin de romantiser la vie de l'héroïne pour satisfaire le public.

Ce retour salué par la critique laisse penser que Lena Dunham est bien "la voix de sa génération", celle d'une jeunesse qui a trouvé dans ses figures d'anti-héroïnes des personnages identificatoires très puissants. "Au début, les victoires féministes à la télévision consistaient à inclure des personnages féminins, puis à les rendre puissants et moins sexualisés en gagnant sur le terrain des hommes avec la vogue des avocates", analyse Théo Ribeton. "La série Girls a été déterminante pour populariser le personnage de la casse-couilles et briser le stéréotype misogyne autour de ce qu'on appelait, à l'époque, les attachiantes", conclut le journaliste qui observe une démocratisation de ce genre de personnages y compris dans le cinéma français avec les actrices Laure Calamy et Laetitia Dosch.

Rebelote avec Too Much, Lena Dunham donne à voir un personnage féminin peu aimable, cette fois-ci dans une romcom. Que ce soit avec Hannah ou Jessica, Lena Dunham parvient toujours à séduire le public grâce à son regard affûté et son ton inimitable, et la réalisatrice n'est pas près de s'arrêter. Cet été, elle dirigera Natalie Portman dans une romance tournée à New York, et s'est aussi associée à la chanteuse Carly Rae Jepsen pour mettre en scène la comédie romantique Dix bonnes raisons de te larguer dans un musical à Broadway.

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