Interview "Sur scène, il y aura souvent quatre guitares en même temps" : The Limiñanas s'apprêtent à partir en tournée avec leur excellent nouvel album "Faded"

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 13min
Marie et Lionel sont The Limiñanas. Ici, à Paris, le 6 septembre 2024. (MATHIEU ZAZZO)
Marie et Lionel sont The Limiñanas. Ici, à Paris, le 6 septembre 2024. (MATHIEU ZAZZO)

Le groupe de garage rock catalan, qui fédère autour de lui toute une internationale du rock indé, reprend la route avec de nouveaux musiciens et un album impeccable. Nous les avons rencontrés.

À eux deux, ils sont le trésor garage rock frenchy que les anglo-saxons nous envient. The Limiñanas, c'est Marie la douce à la batterie et Lionel le passionné à la guitare. Un couple singulier et attachant, qui compose, enregistre et produit en toute autonomie, à domicile, au sous-sol de sa maison de Cabestany, proche de Perpignan. Avec une approche basique, humble et primitive de la musique, absolument revendiquée, qui fait toujours mouche. Au point que le groupe catalan est devenu en dix ans une sorte d'aimant attirant tout ce que la planète compte de figures du rock indé.

Depuis Shadow People, leur précédent album en tant que Limiñanas paru en 2018, Lionel et Marie se sont démultipliés : ils ont réalisé une pelletée de bandes originales de films (Le Bel été, The Devil Inside Me et Thatcher's Not Dead, notamment), sorti un album en collaboration avec Laurent Garnier (De Pelicula) et un autre, sous le nom de L'Épée, avec Emmanuelle Seigner et Anton Newcombe du Brian Jonestown Massacre. Ils ont aussi produit deux disques des Wampas et réalisé le dernier album de Brigitte Fontaine, Pick Up.

Nourri de toutes ces expériences, leur nouvel album, le très réussi Faded paru le 21 février, élargit encore leur galaxie avec une tripotée d'invités parmi lesquels le chanteur de Primal Scream Bobby Gillespie, Jon Spencer (du Blues Explosion), mais aussi les Français Rover, Anna Jean de Juniore, et le désormais fidèle Bertrand Belin. Mélange de garage rock et de mélancolie psychédélique, avec une pointe de pop, l'album est aussi irrigué de cinéma noir – Lionel et Marie sont de grands cinéphiles –, le fil rouge de Faded étant le destin tragique de tant d'actrices oubliées, sitôt considérées fanées.

À quelques jours de reprendre la route pour une longue tournée française et européenne qui débute le 28 mars à Perpignan et passe par l'Olympia le 10 avril (complet), Lionel et Marie Limiñana nous ont raconté la réalisation de l'album, leur hâte de le défendre en tournée avec de nouveaux musiciens, mais aussi leur visite chez Iggy Pop à Miami.

Franceinfo Culture : Les innombrables projets que vous avez menés depuis 2018 ont-ils nourri votre nouvel album ?
Lionel : Effectivement, tout s'est un peu croisé. Disons que l'instrumentarium des uns et des autres s'est mélangé au nôtre sur le disque. Faded a bénéficié notamment de sons de claviers, de sons virtuels qu'on utilise sur les bandes originales de films. Ce qui explique le côté cinématographique de l'album.

Il y a deux reprises sur l'album, "Louie Louie" et "Où va la chance" de Françoise Hardy.
Lionel : Notre éditrice américaine nous a proposé de faire une reprise d'un classique anglo-saxon, comme ça se faisait couramment dans les sixties. A priori, l'idée ne nous intéressait pas. Sauf que dans la liste des titres proposés, il y avait Louie Louie, ma chanson préférée de tous les temps. Alors l'idée qu'on puisse en faire notre propre version avec Marie en réécrivant un texte, qui vaut ce qui vaut mais qui est le nôtre, c'était un truc à saisir. La reprise de Françoise Hardy, Où va la chance, c'est la chanson que je préfère et qui m'émeut le plus de tout son répertoire. Ce n'est pas un hommage posthume, puisqu'on l'a enregistrée avant qu'elle parte. Et comme le thème global du disque, c'était le fantôme des actrices oubliées, et que Louie Louie, c'est aussi une histoire d'abandon, on s'est dit que notre version avait vraiment sa place sur le disque.

Comment vous est venue l'idée de ce fil rouge des actrices qui disparaissent des écrans au fil du temps ?
Lionel : On a commencé à enregistrer le disque dans une période assez sombre et mélancolique pour tous les deux. En gros, on a perdu beaucoup de gens dans un court moment.
Marie : Quand on a commencé à travailler sur l'album, on regardait beaucoup de films. Parce que la tournée était terminée, on était beaucoup à la maison.
Lionel : L'idée est venue de deux choses : d'une chanson du Velvet Undergound qui s'appelle New Age (qui parle d'une actrice) et du constat, plus on regardait des films des années 1950 à 1980, que les actrices iconiques disparaissent l'âge venant, parce que les producteurs les laissent tomber. On a commencé à réfléchir autour de cette idée et on a invité sur l'album plein de gens qu'on adore à travailler là-dessus.


Il y a beaucoup d'invités sur cet album, dont Bobby Gillespie de Primal Scream et Jon Spencer. Comment vous êtes-vous retrouvés à travailler avec ces deux-là ?
Lionel :
À la fin d'un de nos concerts à Paris, il y a deux ans et demi, on va boire un coup au bar et on croise Thibault de Third Man Records France, le label de Jack White. Il nous dit, en ce moment, je bosse avec Bobby Gillespie et Jon Spencer, ça vous dit que je vous les présente ? On s'est connus comme ça. Sauf que Bobby parlait de nous depuis des années dans les médias comme Mojo. Quand on avait joué chez Rough Trade, il était là aussi. Et puis Bobby, on connaît son boulot depuis qu'il était batteur de Jesus & Mary Chain. Jon Spencer, c'est pareil, on l'écoute depuis l'époque où il était sur les labels Crypt et Matador, il y a mille ans. Les autres invités, c’étaient des gens qu'on croisait souvent comme Anna Jean de Juniore. Sur ce disque, on avait envie d'inviter beaucoup de gens parce qu'on l'imaginait comme un film à sketchs à l'italienne, avec des petites histoires autonomes.

Tous ces invités, est-ce que ce n'est pas une façon aussi pour Lionel d'éviter de tenir le micro ?
Lionel : Oui, oui, absolument. [sourire]
Marie : Ah bon ? [rires] Mais c'est aussi parce qu'on aime partager le travail.

Vous aimez collaborer mais vous travaillez souvent à distance. Était-ce encore le cas cette fois ?
Lionel : Oui, mais franchement, je crois que c'est préférable pour tout le monde. On ne tient pas à travailler dans la même pièce, on préfère laisser l'autre libre de faire ce qu'il veut, ne pas lui imposer la pression de notre regard et de nos attentes. Ces jours-ci, par exemple, on était en studio avec Bobby Gillespie, à Londres, c'était génial, mais nous, on était flippés de l'avoir avec nous. La distance, ça relaxe tout le monde.

Comment procédez-vous avec vos invités ?
Lionel : On enregistre d'abord la musique avec Marie. Puis, on envoie à chacun un ou deux tracks, c'est le cas avec tous, même avec Bertrand Belin. Ensuite, on les appelle et on leur dit : "Voilà, ça parle des actrices oubliées, tu fais ce que tu veux." Puis, ils nous renvoient leur version. Mais on ne retouche jamais rien et on ne suggère jamais de modifications. Parce que moi, quand je renvoie un truc, j'y ai vraiment passé du temps, j'ai fait du mieux que je pouvais faire et j'imagine que c'est pareil pour eux. Alors quand on reçoit des bandes, on est toujours hyper excités à l'idée de voir ce que le bébé est devenu. Je touche du bois, jusqu'ici, ça a toujours été bien. On essaye de ne pas se tromper sur les gens.

Vous avez été signés au départ sur un label américain et les anglo-saxons, en général, vous apprécient beaucoup. Comment l'expliquez-vous ?
Lionel : C'est vrai que les premiers retours qu'on a eus pour les Limiñanas sont venus des États-Unis, puis des Anglais. Chez nous, je pense que les Anglo-Saxons apprécient d'abord l'aspect bricolé du truc. S'ils voyaient comment on enregistre, ils seraient horrifiés ! L'album, on l'enregistre avec un seul micro au centre, sauf la batterie. [rires] Le fait qu'on chante en français et qu'on n'essaye pas de cacher notre accent terrifiant quand on chante en anglais, peut-être que ça leur plaît ? [rires] En tout cas, on n'essaye pas de les imiter. De toute façon, on n'a pas le niveau, techniquement, on est nuls. Mais par contre, on fait le maximum avec les trois accords qu'on connaît.

La tournée s'annonce longue. Vous êtes prêts ?
Lionel : On va fignoler le show dans les jours qui viennent. Sauf que cette fois, c'est flippant parce qu'on débute chez nous, à Perpignan, où on connaît tout le monde. Mais oui, il me tarde de partir maintenant.
Marie : On aime bien les voyages, et les rencontres avec les gens. Personnellement, je rêve d'aller jouer en Asie.
Lionel : Il me tarde de retrouver les gars de l'équipe aussi. Parce qu'il y a un truc primordial dans notre espèce d'organisation, c'est qu'on ne bosse qu'avec des gens qu'on est heureux de retrouver le matin. Ce ne sont que des gens extrêmement cool, bienveillants, avec qui on se marre, il n'y a rien de toxique. Les techniciens par exemple, ce sont les mêmes depuis hyper longtemps et on les adore. On aurait arrêté depuis longtemps les tournées si ça se passait mal.

Le line-up du groupe pour la tournée a d'ailleurs changé…
Lionel : On a embauché Keith Streng, le guitariste des Fleshtones dont on est fan depuis qu'on est mômes. Avec Marie, quand on allait voir les Fleshtones, on se mettait du côté de Keith, c'était notre "Beatles" préféré. On le connaissait un tout petit peu, mais on l'a vraiment rencontré dans les loges à un concert des Wampas. Et puis un jour qu'il était en vacances dans le Sud, il a déboulé à la maison une première fois. Comme on a un studio, il a dit : "Si vous voulez, on enregistre des trucs."
Marie : Et puis, une amitié est née avec lui.
Lionel : Donc, on l'a embarqué avec nous. Comme chanteur principal, on aura l'Anglais Tom Gorman, l'ancien chanteur de Killed the Young. Clémence Lasme tiendra la basse. Alban Barate, qui est avec nous depuis longtemps, jouera du Mellotron, des claviers et de la guitare électrique.

Ça fait combien de guitares, tout ça ?
Lionel : Plein. D'autant que Tom jouera aussi de la guitare en chantant. Il y aura souvent quatre guitares en même temps et pas mal de claviers. On a aussi prévu des projections derrière nous. Ça sera différent de la précédente tournée, parce qu'on s'efforce de ne pas proposer la même chose aux gens qui viennent nous voir à chaque fois.

Vous êtes allés voir Iggy Pop chez lui à Miami, il y a quelques années. Qu'est-ce que ça a donné ? Avez-vous enregistré quelque chose avec lui ?
Lionel : Iggy, c'est notre héros absolu. On avait déjà eu un premier contact avec lui parce qu'il passait nos tracks dans son émission sur la BBC. Juste avant le Covid, on avait prévu d'aller aux États-Unis avec notre gamin, Marie lui a écrit et il nous a invités à passer le voir. En fait, on a maquetté un track ensemble, mais il n'est pas utilisable parce qu'il a chanté dans son téléphone et qu'il y avait du vent. Mais le morceau est cool. Il était OK pour qu'on fasse 3-4 morceaux ensemble mais depuis, entre le Covid, sa tournée puis la nôtre, le projet est en stand-by. Si ça ne se fait pas, ce n'est pas grave. Déjà, le simple fait d'avoir pu passer deux heures avec lui, à discuter, à boire un café, à parler de culture française, qu'il connaît très bien, et de cinéma, c'était déjà suffisamment hallucinant. Il était vraiment coolissime.

Album "Faded" (Because Music)
Toutes les dates de la tournée ici

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