De The Strokes à LCD Soundsystem : l’épopée rock new-yorkaise du début du millénaire racontée par ceux qui l’ont vécue dans le livre "Meet Me In The Bathroom"
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Fruit de centaines d'heures d'entretiens avec plus de 160 personnes, ce livre de la journaliste américaine Lizzy Goodman est un document exceptionnel qui nous plonge dans le renouveau de la scène rock new yorkaise du début des années 2000. Un régal pour tout amateur de rock.
De The Strokes à LCD Soundsystem, New York a été au début des années 2000 l’épicentre d’un renouveau du rock fertile qui a essaimé et inspiré des dizaines de formations à travers le monde, à commencer par The Libertines à Londres.
Pour Meet Me In The Bathroom, son formidable livre choral sous-titré "New York 2001-2011 : une épopée rock", la journaliste Lizzy Goodman, qui fréquentait ce milieu, a longuement interviewé plus de 160 protagonistes de l’histoire, musiciens, producteurs, manageurs, tourneurs, responsables de labels et journalistes, et ce sur plusieurs années. Le résultat, enfin traduit en français et publié par une petite maison d'édition, Rue Fromentin, est un document exceptionnel et passionnant. Il nous plonge tête la première dans le quotidien, la créativité et l'effervescence qui s’empara alors de la Grosse Pomme.
Qui a ouvert la voie au renouveau rock ?
The Strokes, donc, mais aussi Jonathan Fire Eater qui ouvrirent la voie, Interpol, The Yeah Yeah Yeahs, LCD Soundsystem, The Rapture, TV On The Radio, The Killers, Vampire Week-end et Kings of Leon, témoignent et racontent non seulement l’avènement d’une scène mais aussi en filigrane celui d’une époque, et les métamorphoses d’une mégapole, New York.
Dans les années 90, New York était une ville "anarchique". L’héroïne était partout. "Il n’y avait pas de scène rock alternative" car "tout le monde avait les yeux rivés sur Seattle". "Les jeunes et les vieux se rejoignaient sur les Beastie Boys. Tout le monde les adorait. Mais tous les autres trucs qu’on écoutait dataient vraiment", comme le Velvet Underground, racontent des protagonistes de l'histoire. Et puis "Jonathan Fire Eater a débarqué. Leur musique était sexy, viscérale, tranchante. Grâce à eux, le rock est redevenu cool". Une voie royale pour l'entrée en scène peu après du gang de Julian Casablancas.
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Aux premières loges de l'ascension des Strokes
The Strokes qui rallumèrent la mèche du rock new yorkais, sont au cœur du livre. Tous ses membres témoignent avec une honnêteté parfois désarmante sur la genèse du groupe, des premiers temps de l’innocence où ils assuraient eux-mêmes leur promotion à coups de flyers, jusqu’à leur consécration. Leurs propos, parfois délicieusement contradictoires, sont croisés avec ceux d’autres témoins de leur folle ascension.
On apprend en chemin que leur modèle était Moony Suzuki, un groupe tombé dans l’oubli ; on assiste à leurs premiers concerts "phénoménaux", notamment au Mercury Lounge en décembre 2000 (voir l'extrait en bas de page) ; on entend de la bouche de leur manageur Ryan Gentles quelle fut sa stratégie payante pour ses poulains ; on se retrouve à bord de leur bus de tournée ; on assiste à leurs premières dissensions et aux excès (drogue et alcool coulaient à flots) des uns et des autres, y compris en compagnie de Moby, très pote avec Julian Casablancas et Albert Hammond Jr.
Certaines descriptions sont de petits tableaux inoubliables. "Ils regardaient la télé, au lit tous les six, avec Ryan [leur manageur]. Ça sentait assez mauvais. Ils étaient tous pieds nus. Une odeur de rock stars", se souvient leur attaché de presse Jim Merlis, faisant irruption dans leur chambre d’hôtel durant leur première tournée. "Ils m’ont dit : On veut faire ça pour le restant de nos jours. C’était adorable".
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LCD Soundsystem, les Yeah Yeah Yeahs... et le 11 septembre
Autre gros morceau du livre, le label DFA fondé par l’Américain James Murphy et le producteur britannique Tim Goldsworthy, et sa genèse, emblématique des mutations souterraines à l’œuvre à New York au début du millénaire. On comprend en particulier comment James Murphy, qui ne jurait que par le punk, s’est retrouvé conquis à son corps défendant par la dance anglaise du label Mo’Wax qui samplait tous les disques qu’il aimait, de Liquid Liquid à Can. Et on assiste à sa conversion en direct, lorsqu’il se laisse convaincre un soir de prendre de l’ecstasy, une drogue, qui l'a, dit-il, "libéré" et fait danser sans inhibition pour la première fois. Longtemps homme de l'ombre, en particulier pour The Rapture, il était prêt à entrer en pleine lumière avec son propre groupe, LCD Soundsystem, fer de lance du punk-funk, catapulté en première ligne dès son premier single paru en 2002, l'ironique et increvable Losing My Edge.
Les Yeah Yeah Yeahs, propulsés par la phénoménale Karen O., icône féminine de cette scène, ainsi que les membres du groupe Interpol, font partie des autres interlocuteurs récurrents de ce livre qui palpite à chaque page. Une épopée percutée de plein fouet par la secousse du 11 septembre 2001. Au début, après les attentats du World Trade Center, "il fallait essayer de trouver de la joie ou un sens à sa vie, parce que tout était détruit autour de nous", analyse Tunde Adebimpe de TV On The Radio. Après l’abattement, les groupes se sont relevés, plus décidés que jamais à enregistrer. Les jeunes avaient envie de faire la fête et la créativité s’en est trouvée décuplée. C’est à ce moment-là que la notoriété des Strokes a explosé à l'international. Après ça, tout le monde voulait son groupe new yorkais.
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Les mutations de New York et l'accélération d'une époque
On admire avec quelle adresse l’autrice Lizzy Goodman réussit à rendre cohérent le puzzle de ces centaines d’heures d’interviews, sur le modèle de l'indétrônable ouvrage Please Kill Me sur le punk new yorkais. Elle parvient à garder l’intérêt du lecteur tout du long, grâce aux confidences et médisances des uns et des autres, à l'humour, la passion et aux multiples anecdotes réjouissantes racontées de différents points de vue sur le bourgeonnement et l’éclosion d’une scène.
Un régal qui dépeint en creux la transformation et la gentrification d’une ville, dont le cœur battant se déplaça du sud de Manhattan à Brooklyn où les loyers étaient moins chers, mais qui témoigne aussi de l’accélération d’une époque avec l’arrivée d’internet. D'un côté Napster, qui mit l’industrie du disque au bord de la banqueroute, et de l'autre l’incidence de la bulle internet, beaucoup de jeunes millionnaires ayant fait fortune dans la tech ouvrant des bars à New York et fondant des maisons de disques à ce moment-là. Une époque pas si lointaine où les réseaux sociaux et les smartphones n’avaient pas encore envahi nos vies.
"Meet Me In The Bathroom" de Lizzy Goodman (Editions Rue Fromentin, 640 pages, 29 euros)
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Extrait P.179 :
On est en décembre 2000 et les Strokes donnent un de leurs premiers concerts à New York, au Mercury Lounge.
ROB SHEFFIELD [Journaliste à Rolling Stone] : Puis les Strokes sont montés sur scène. Au Mercury Lounge, les groupes doivent traverser la foule. Généralement, ça ne plaisait pas trop aux artistes, qui se faisaient le plus discret possible, comme s'ils savaient qu'ils avaient l'air ridicules. Je n'avais jamais vu un groupe traverser la salle avec autant d'aplomb. Ils ont fait ça à chaque concert, en traversant le public avec leurs guitares au-dessus de la tête.
FABRIZIO MORETTI [Batteur des Strokes]: Au départ, j'ai trouvé ça génial. La salle était comble et on rejoignait la scène depuis l'entrée du club. C'est la première et la dernière fois que j'ai trouvé ça cool.
ROB SHEFFIELD : Ils ont été phénoménaux. Absolument géniaux. Ils étaient à fond, complètement passionnés. La presse disait d'eux qu'ils étaient blasés ou distants, mais leur musique était tout l'inverse. Ils étaient enthousiastes, spontanés, juvéniles, sexy. Pendant qu'ils jouaient Last Nite, Julian toisait le public et a dit à une personne du premier rang : "Arrête de bailler !" C'était à mourir de rire. J'aime bien l'idée d'être pris pour cible par le groupe si tu montrais des signes de fatigue à leur concert.
MARC SPITZ [Journaliste à Spin]: Julian voulait que les concerts soient excellents, comme tout musicien sérieux. Il ne jouait pas à la rock star, il ne voulait pas que ça soit une fête. Ça ressemblait plus à une compétition sportive. Il s'était entraîné. Quand le public réagissait mal, ça le déprimait.
ADAM GREEN [Chanteur de The Moldy Peaches qui assuraient la première partie] : Il y avait une hystérie que je n'avais jamais ressentie à aucun concert auparavant. Je n'avais jamais vu le public devenir dingue devant des groupes de mon âge.
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