"Brothers in Arms" de Dire Straits fête ses 40 ans avec un live inédit

On ne l'espérait plus, il est enfin là : un live officiel de la tournée 1985 de Dire Straits. Paru à l'origine le 17 mai de la même année, l'album "Brothers in Arms" fait l'objet d'une réédition agrémentée d'un concert enregistré à San Antonio, par un groupe alors au sommet de son succès.

Article rédigé par Jean-François Convert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Le groupe Dire Straits sur scène en 1985. De gauche à droite : John Illsley (basse), Chris White (flute, saxophone), Jack Sonni (guitare), Mark Knopfler (chant, guitare). (GABOR SCOTT / REDFERNS)
Le groupe Dire Straits sur scène en 1985. De gauche à droite : John Illsley (basse), Chris White (flute, saxophone), Jack Sonni (guitare), Mark Knopfler (chant, guitare). (GABOR SCOTT / REDFERNS)

Les années 1970 avaient vu l'essor des chaînes Hi-Fi, et le luxe pour audiophile consistait alors à pouvoir écouter ses albums "en stéréo". La décennie suivante a été celle du walkman, mais aussi et surtout celle du CD. Et si le disque étalon pour tester la qualité de sa platine vinyle était The Dark Side Of The Moon de Pink Floyd, alors on peut dire que celui de référence pour les nouveaux lecteurs laser commercialisés dans les années 1980 était sans conteste Brothers in Arms de Dire Straits.

Première production à utiliser la technologie numérique de bout en bout, depuis l'enregistrement jusqu'au support d'écoute, cet album a littéralement lancé le format CD, en même temps qu'il est devenu un succès phénoménal. Brothers in Arms demeure, à ce jour, la plus grosse vente du groupe, et l'un des plus vendus au monde, avec plus de 30 millions d'exemplaires écoulés. En France, l'album s'est vendu à près de 2 millions.

Pochette de l'album "Brothers in Arms" de Dire Straits. (MERCURY / UNIVERSAL)
Pochette de l'album "Brothers in Arms" de Dire Straits. (MERCURY / UNIVERSAL)

Cette association au disque laser, comme on les appelait à l'époque, et son avalanche de tubes calibrés pour les radios ont vite fait de classer l'album dans la catégorie "rock FM", avec une connotation "commerciale". Certes, la production ultra-léchée et le son (trop ?) parfait en font un candidat idéal pour ce qu'on a appelé plus tard le "soft-rock". Les ritournelles So Far Away, Walk of Life ou Your Latest Tick ont fait les beaux jours des radios et des soirées branchées.

Mais à l'inverse, le morceau titre est un brûlot écrit au sujet de la guerre des Malouines, tout comme Ride Across the River et The Man's Too Strong qui complètent ainsi un trio antimilitariste. Et surtout, le plus gros tube de l'album Money for Nothing est en réalité un pamphlet qui se moque de la chaîne musicale MTV, alors que celle-ci en a justement fait son morceau phare !

C'est un peu le paradoxe de cet album et de ce morceau en particulier : alors qu'il est estampillé tube des eighties et fleuron du pop-rock à l'anglaise bien dans le vent, calibré pour la radio et la télévision, on oublie souvent que la version présente sur l'édition CD présente une durée dépassant les 8 minutes. La plupart des titres du disque sont d'ailleurs rarement en dessous des 6 minutes et font tous preuve d'expérimentation sonore.

Un synthétiseur piloté par une guitare dans So Far Away, un timbre de guitare inédit sur Money for Nothing, des accords de guitare-synthé dans The Man's Too Strong, des atmosphères qui mixent ambiances folk, synthés new wave, percussions tropicales, cuivres jazzy, guitare slide à résonateur, basse fretless et orgue Hammond... Des prises de risques auxquelles on peut ajouter le clip vidéo novateur de Money for Nothing réalisé en images de synthèse, une gageure pour l'époque.

Un symbole des années 1980 malgré lui

Quant aux couleurs musicales, elles alternent arrangements feutrés sur Your Latest Trick et Why Worry, rythmiques légèrement off beat sur Ride Across the River ou The Man's Too Strong, voire limite funky sur One World, ambiances jazzy ou country-folk au groove subtil. Sans parler de la fameuse guitare National Steel qui orne la pochette, un instrument symbole du blues deep-south-delta de l'entre-deux-guerres. Autant d'éléments bien éloignés des clichés eighties présents dans l'inconscient collectif ou des courants musicaux en vogue à l'époque, que ce soit la new wave de Cure et Depeche Mode, la soul-pop de Michael Jackson et Madonna ou encore le rock épique de U2. Mais rien à faire, Brothers in Arms garde cette image d'album iconique des années 1980, et Dire Straits reste encore aujourd'hui perçu comme un groupe emblématique de cette période.

La faute peut-être aux accoutrements vestimentaires, mais surtout à l'incroyable succès de la tournée qui suit la sortie du disque. Plus de 200 dates à travers le monde, un son massif taillé pour les stades. Le quatuor des débuts était en effet devenu en 1985 une formation bien plus étoffée avec deux claviers et un saxophone venus compléter les traditionnelles guitares, basse et batterie. D'où des arrangements en concert qui étoffent considérablement les chansons.

Un style musical à contre-courant

Là aussi, le style Dire Straits se démarque de ses contemporains. Alors que la plupart des artistes se cantonnaient dans un registre formaté aux 3 minutes destinées à la radio, Mark Knopfler optait pour arrangements complexes et alambiqués qui rappelaient un peu l'esprit des grandes heures du rock progressif. Les morceaux s'enchaînent quasiment sans temps mort, des introductions sont spécialement composées, les passages instrumentaux s'étirent à loisir, les solos rivalisent de lyrisme... Un concert de Dire Straits dans les années 1980, c'était une grand-messe musicale parsemée d'envolées épiques et de clins d'œil aux grandes références du rock.

Avec cette réédition de Brothers in Arms, on peut enfin savourer un live de la tournée 1985-1986, la seule qui n'avait pas encore bénéficié de sortie officielle à ce jour. Toutes les autres avaient au moins eu droit à un morceau dans la discographie canonique, mais celle-ci demeurait le graal espéré par de nombreux fans.

L'édition 40e anniversaire de "Brothers in Arms". (MERCURY / UNIVERSAL)
L'édition 40e anniversaire de "Brothers in Arms". (MERCURY / UNIVERSAL)

Même s'il circulait depuis longtemps sous forme d'enregistrement pirate, ce concert à San Antonio le 16 août 1985 peut enfin s'apprécier à sa juste valeur. Le mixage effectué par le fidèle Guy Fletcher donne la part belle à la guitare et la voix de Mark Knopfler. Le son est clair, précis, aéré.

Les morceaux de bravoure sont légion. De l'ouverture Ride Across the River et sa longue intro où dialoguent guitare et flûte, jusqu'au final Going Home, tiré de la bande originale du film Local Hero, on passe par des contrées musicales diverses et variées : le rock'n'roll puissant d'Expresso Love, One World, Walk of Life, Two Young Lovers, Money for Nothing et Solid Rock, la quiétude sereine de Why Worry, le romantisme de Romeo and Juliet, l'ambiance film noir de Private Investigations, l'intensité dramatique de Brothers in Arms, et bien sûr les chevauchées épiques que sont les trois monuments Sultans of Swing, Wild West End et Tunnel of Love.

Les temps forts du concert à San Antonio

Le premier tube de Dire Straits, Sultans of Swing, avait déjà fortement évolué sur la tournée précédente couronnée par le live Alchemy, il prend ici encore un plus d'ampleur avec l'ajout du saxophone et un accord supplémentaire dans la progression harmonique finale.

La douce ballade Wild West End qui figurait en avant-dernier titre du tout premier album du groupe double sa durée avec d'abord une magnifique intro piano-saxophone, se poursuit en mettant en avant la guitare National Steel de Mark Knopfler, avant de se refermer sur un solo tonitruant du second guitariste Jack Sonni, décédé il y a peu.

Tunnel of Love, LE morceau de la tournée, c'est indubitablement celui-là. Déjà élaboré dans sa version originale de 8 minutes sur l'album Making Movies en 1980, il atteint ici une durée de 19 minutes ! La version connue la plus longue de Tunnel of Love est celle interprétée à Uniondale le 11 octobre 1985. Durant cette tournée, Mark Knopfler multiplie les citations musicales dans un long passage où il en profite également pour présenter les musiciens. La chanson évoquant la fête foraine Spanish City où il allait enfant, c'est l'occasion pour lui de faire référence à la musique de cette époque, qu'il écoutait en jouissant des attractions : The Animals, The Supremes, Johnny Cash, Del Shannon...

Des connexions musicales qui démontrent une fois de plus que Dire Straits était à part dans ce paysage pop-rock des eighties, et qu'il serait dommage de l'enfermer dans une fausse image d'illustration sonore de clips vidéo pour yuppies de l'ère Thatcher-Reagan.

Cette réédition de Brothers in Arms accompagnée de ce live flamboyant est justement l'occasion de redécouvrir un groupe un peu hors du temps, et qui se déguste comme une madeleine de Proust, à la fois emplie de nostalgie et malgré tout intemporelle.

"Dire Straits - Brothers in Arms, 40th Anniversary Edition" (Mercury/Universal), sortie le 16 mai 2025

Site officiel

Commentaires

Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.