Printemps de Bourges 2025 : un voyage en "terre sacrée" au cœur de l'univers d'Oum Kalthoum avec le concert "La Voix des femmes"

Natacha Atlas, Camélia Jordana, Souad Massi ou encore Maryam Saleh… Ces grandes voix se sont réunies pour ce projet qui célèbre l'"Astre de l'Orient", Oum Kalthoum, cinquante ans après sa disparition. Un concert où se mêlent sonorités contemporaines et traditions musicales.

Article rédigé par Paul Dubois
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8min
"La Voix des femmes", un concert en hommage à Oum Kalthoum, au Printemps de Bourges 2025. (MATHIEU FOUCHER)
"La Voix des femmes", un concert en hommage à Oum Kalthoum, au Printemps de Bourges 2025. (MATHIEU FOUCHER)

"La beauté du chant arabe réside dans la sincérité de l'expression." Comment débuter sans évoquer celle qui, cinquante ans après sa disparition, continue de rassembler des artistes du monde entier ? Ces mots, projetés en arrière-plan de la scène, sont ceux d'Oum Kalthoum, et ils incarnent parfaitement le ressenti de cette heure et demie de concert, hors du temps et de l'espace.

Jeudi 17 avril, le projet La Voix des femmes, imaginé en hommage à Oum Kalthoum – il y a tout juste cinquante ans, en 1975, s'éteignait l'"Astre de l'Orient" – s'est produit pour la première fois à Bourges. La salle Gabriel Monnet, pleine à craquer, a vibré au rythme de cette célébration dans l'enceinte de la Maison de la culture.

Une scène, des voix et deux orchestres à l'unisson

La scène s'ouvre ainsi : à droite, un quatuor d'instruments traditionnels – percussions, violons, qanûn, et bien sûr un oud, emblème vibrant de la musique arabe. À gauche, Zeid Hamdan, maître de cérémonie et figure incontournable de la scène underground libanaise, entouré de sa guitare, de ses synthés et de son complice rythmique, le batteur virtuose Uriel Barthélémi.

Deux univers musicaux, deux mondes que tout semble opposer, réunis autour d'une seule femme. Et ce sont des voix multiples, éclectiques, qui s'élèvent – différentes, mais liées dans une même harmonie. Pendant une heure et demie, les larmes ont coulé, les mains ont frappé, et le tarab, cet état d'extase émotionnelle face à l'art, a enveloppé l'auditoire.

Portée par une introduction musicale, une première voix s'élève, habitée par l'esprit d'Oum Kalthoum. Maryam Saleh, artiste égyptienne qui rappelle la grandeur de la diva, ouvre la scène et la refermera, tel un long poème musical, dans cette tradition hypnotique dont Oum Kalthoum détenait le secret (des morceaux duraient près d'une heure), laissant affleurer l'âme profonde de la musique arabe et bien au-delà.

Une série de morceaux alternant entre l'expérimental et le traditionnel se succèdent avec un travail de lumière qui habille la salle. De l'oud envoûtant d'Oussama Abdelfattah et les autres musiciens aux sonorités presque noise de Zeid Hamdan, deux orchestres dialoguent, se défient et finissent par fusionner en une harmonie respectueuse et équilibrée. Sur scène, la star internationale Natacha Atlas, Danyl, Camélia Jordana, Souad Massi, Rouhnaa et Oussama Abdelfattah ont prêté leurs voix pour ressusciter l'"Astre de l'Orient". Pionnière du panarabisme, son œuvre a résonné de l'Atlas aux rives du Jourdain et s'est exportée à l'international, comme elle le prouve aujourd'hui. "Oum Kalthoum fait partie du patrimoine mondial, elle transcende les frontières par sa musique et tout le monde doit la connaître. Ce spectacle est une invitation à entrer dans son univers," explique Maryam Saleh.

"Elle a un groove incroyable !"

Cette alchimie subtile entre les voix et la musique, nous la devons à Oum Kalthoum. Plus de cinquante ans après, elle continue de défier les musiciens et de chanter plus fort "qu'aucun homme". "J'appréhendais les quarts de ton, pensant que cela ne fonctionnerait pas, mais en réalité, elle a un groove incroyable ! La voix d'Oum Kalthoum s'est parfaitement intégrée à mes rythmes," s'enthousiasme Zeid Hamdan. Les arrangements, d'une justesse remarquable, sont le fruit du talent des musiciens présents sur scène.

Les artistes, qui se sont rencontrés seulement quelques jours avant le premier spectacle, ont trouvé une harmonie parfaite. Que ce soit Natacha Atlas ou Maryam Saleh, chacune mélange les genres, adaptant des classiques européens en arabe ou fusionnant musique électronique, rock et traditionnelle. Tout s'est merveilleusement bien assemblé, comme en témoigne la performance d'hier. Le spectacle sonne juste, dans une création à la fois audacieuse et respectueuse. "C'est une école de travailler sur Oum Kalthoum, j'ai toujours essayé de faire un mélange entre les musiques orientales et occidentales, c'est un nouveau défi !", explique la chanteuse belge Natacha Atlas.

"On est sur une terre sacrée"

"On a essayé de ne pas trop faire de blasphème, on est sur une terre sacrée." À en croire Zeid Hamdan, la réalisation du spectacle a été compliquée. Et les critiques ont fusé, des rappeurs ? Sacrilège pour une musique aussi sacrée "On était sceptiques", confie Zeid Hamdan. Et pourtant. Rounhaa et Danyl qui semblaient loin du style ont offert des performances d'une justesse impressionnante. Au premier rang, deux adolescents. Ils étaient là pour eux, dès l'entrée du premier, les téléphones sont sortis et ils ont rappé en chœur sur les musiques de la diva dans un ensemble d'une respectueuse modernité.

Les artistes avaient carte blanche pour choisir leurs chansons, ce qui a donné lieu à des anecdotes savoureuses. "Pour être honnête, je pensais que chanter Oum Kalthoum serait difficile. Mais en voyant un film humoristique où un comédien interprétait l'une de ses chansons, je me suis dit : 'Si lui peut le faire, alors moi aussi !'", raconte avec amusement Souad Massi, chanteuse franco-algérienne qui, comme Oum Kalthoum, navigue entre rock et chaâbi.

Tout comme avec la musique, chacun a une histoire avec Oum Kalthoum, ou pas, mais tout le monde se souvient de sa rencontre, souvent originale, avec la diva. Parfois même, le souvenir d'une époque que beaucoup n'ont pas connue. Que ce soit la musique de leurs grands-parents ou une découverte totale, chacun a son propre rapport personnel avec la chanteuse.

"Je l'ai découverte il y a cinq ans à peu près. Elle ne faisait pas particulièrement partie de mon environnement musical ou familial, mais un jour, une amie a placé une photo d'Oum Kalthoum devant son visage et s'est mise à danser pendant l'écoute de mon dernier album. J'avais l'impression qu'elle était là, devant moi ! Depuis, elle fait partie de ma vie quotidienne. Il était important de lui rendre "femmage" aujourd'hui par sa dimension et son engagement," confie la chanteuse française Camélia Jordana.

"Un acte de résistance"

Oum Kalthoum incarnait une femme engagée, féministe, productrice et libre pour son temps, des valeurs que partage l'équipe du projet. "Ce projet est un acte de résistance contre les stéréotypes sur le monde arabe, mais aussi une dénonciation des violences à Gaza, au Liban ou au Yémen. Elle est la meilleure ambassadrice pour dénoncer les injustices," souligne Zeid Hamdan. Les artistes ont été particulièrement touchés par la discrétion de l'engagement d'Oum Kalthoum, qui s'exprimait sans mots. "Ce que j'admire chez elle, c'est son soft power. Elle prenait des positions fortes sans jamais être frontale. Cela se manifeste à travers son indépendance et sa musique, et c'est quelque chose que je respecte et à quoi j'aspire également," confie Danyl, rappeur et participant au projet.

Cet engagement s'est pleinement exprimé pendant le concert, notamment après un solo saisissant du batteur Uriel Barthélémy. Mon voisin Alain, visiblement bouleversé, m'a soufflé : "J'ai jamais vu ça, c'est fou la manière dont il tape." Puis, comme un message transmis par la musique elle-même, ces mots ont résonné : "Le vrai son des drones à Gaza et au Liban". Un silence chargé d'émotion a suivi… avant que n'éclatent des applaudissements de soutien. L'engagement, il en sera question cet été puisque le spectacle se produira au Festival d'Avignon le 14 juillet dans la cour d'honneur du palais des papes.

"La Voix des femmes", idée originale du Printemps de Bourges, Crédit Mutuel ; coproduction Printemps de Bourges, Crédit Mutuel, Maison de la culture de Bourges, Institut du monde arabe ; représentation en partenariat avec France Médias Monde

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