Liam et Noel Gallagher d'Oasis de retour : la saga des frères ennemis, géniaux et arrogants
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C'est Bono en personne qui le dit : "J'adore ce groupe. Ils ont brisé le côté précieux de l'indie avec leur arrogance, leur groove, leur rage. C'était le son de gars qui voulaient s'en sortir, sans fioritures. Ils ont dit : 'Je fais ce que je veux'."
Les fans les attendent aux grilles du Millennium Stadium de Cardiff. Vendredi 4 juillet, si tout se passe bien, après seize ans de brouilles entre frères, Oasis remonte sur scène. Une tournée, Oasis Live '25 Tour qui les conduira de la Grande-Bretagne au Brésil en passant par l'Australie.
Les deux frères Gallagher ont plusieurs talents. Mais le plus beau, le plus rock, le plus inutile, le plus détestable, mais aussi le plus romanesque et glorieux est bien leur sens de la mise en scène de leurs détestations. Au prix d'un public abandonné.
Retour sur Oasis, le groupe de deux frangins insupportables, parfois brillants, souvent belliqueux, mais qui laissera dans le panthéon du rock deux grands albums de la britpop et quelques baffes.
Le récit de la séparation
C'est une journée qui va bouleverser l'histoire du rock anglais... Enfin, la petite histoire du rock : 28 août 2009,18 heures 30, 19 heures, 40 000 spectateurs attendent impatients sur la pelouse du domaine de Saint-Cloud. Rock en Seine (RES) est le festival qui annonce la fin des vacances. La nuit est douce, la rentrée est prochaine, le public grappille quelques jours encore d'insouciance. Oasis, le groupe de Manchester, va monter sur scène. C'est la tête d'affiche du festival.
Backstage, quelques mouvements, quelques regards, la fébrilité monte d'un cran comme avant chaque concert... Il y a de quoi !
En 2008, un an avant, Amy Winehouse avait fait faux bond au festival. Un mauvais souvenir pour Salomon Hazot. Salomon est un homme de l'art. Depuis quarante-cinq ans, il organise des concerts, il produit des artistes du rock et de la pop (U2, Coldplay, Madonna, Red Hot Chili Peppers, Metallica) et en 2009, il est l'un des organisateurs du festival Rock en Seine.
Mais le 28 août 2009, tout est calme autour des loges du groupe Oasis : "La journée s'écoule tranquillement, le manager est là, le groupe est là, je décide d'aller dîner avant le concert tant attendu", raconte-t-il à franceinfo Culture.
Il poursuit avec le sens du suspens : "Je vais donc dîner avec mon associé de RES et, au bout d'un quart d'heure, des gens viennent me voir pour me dire : Salomon, y a eu un pet avec Oasis. Noel s'est barré, le concert n'aura pas lieu. Et là, je dis : les gars, elle est pas drôle, donc barrez-vous, laissez-moi tranquille, on rigole et je continue à vouloir dîner."
Le cauchemar de 2008 et de l'attente d'Amy Winehouse qui n'est jamais venue pourtant rôde. Mauvais humour ou présage ? Salomon poursuit le récit : "Et là, deux, trois personnes sont là et me disent : Salomon, c'est tout sauf une blague, Noel s'est barré." Mais pourquoi les deux frères habitués aux invectives et aux menaces en seraient-ils arrivés là ? "Liam a cassé la guitare de Noel, ils étaient tous les deux-là au pied de la scène et Noel est parti, il a pris la voiture et il s'est barré et là, catastrophe, c'était vrai", poursuit Salomon Hazot.
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Le groupe vient de splitter, comme on dit dans le milieu. Plus précisément, les deux frères viennent de se battre. Liam a cassé la guitare de son frère, la Gibson ES-355, comme on casse le jouet de l'aîné le lendemain de Noël.
Les versions ensuite divergeront. Liam voulait faire la pub de sa marque de fringues ? Noel a refusé. Liam a mis en doute la paternité de son frère ? Ultime répétition des frangins plus habitués aux claques qu'aux hugs.
Pour Salomon, c'est déplorable : "C'est des petits cons, c'est des gamins qui n'ont pas eu faim, c'est des gamins qui ont réussi comme ça parce qu'ils avaient une certaine forme de talent et c'est tant mieux mais par respect, jamais on fait ça, on ne casse pas la guitare de l'autre." À l'époque, Philippe Missonnier, directeur du festival, aura la formule précise : "Être rock'n'roll, c'est bien, mais à un moment, il faut aussi avoir un minimum de responsabilité vis-à-vis des organisateurs, mais surtout vis-à-vis des spectateurs."
Salomon Hazot, qui en a connu d'autres, pour une fois un peu fébrile, annonce l'annulation du concert pour cause de bagarre devant un public ahuri de la nouvelle. À la place de Mancuniens qui en sont venus aux mains, Madness, comme tant de groupes anglais détestant Oasis, se fera un plaisir de réchauffer l'âme et le cœur des 40 000 spectateurs dont 10 000 Britanniques. Sur la pelouse devant la scène, trois jeunes filles hilares hurlent : "On s'en fout, on a toujours préféré Blur".
La guerre Nord Sud
La célèbre bataille de Manchester entre les petites frappes pauvres du nord de l'Angleterre d'Oasis contre les chics Blur de Londres est donc relancée le temps d'une nuit d'été parisienne. JD Beauvallet, critique musical de référence, parfait connaisseur de la scène brit et auteur de Rock City Guide aux éditions GM, les a rencontrés, interviewés et défend toujours avec passion les deux frères ennemis.
Pour JD Beauvallet, les scènes de ménage et leurs surmédiatisations ont un sens social. "Ça permet de masquer beaucoup de choses.(...) Les réduire à ça, c'est réduire toute la population du nord-ouest de l'Angleterre. C'est ignorer cet art sacré de la vanne, c'est-à-dire que c'est une région où on se vanne tout le temps, sur tout, en permanence, donc ce n'est pas grave l'engueulade des frères, même si ça a pris des proportions démentes".
Salomon Hazot, lui, fulmine et il est bien plus sévère : "Dans ma longue carrière, il y a eu des accidents graves parfois sur des concerts, mais là, ça n'a rien à voir, c'est la volonté de deux frères qui se chamaillent et qui punissent 40 000 personnes et bien d'autres, puisqu'ils avaient d'autres dates de concert et de festivals après. Tout ça pour un problème qu'ils avaient ensemble."
Ce à quoi rétorquerait JD Beauvallet : " C'est des gens qui sont très attachants. Ça va paraître idiot, mais très bien élevés. Et très respectueux de leurs interlocuteurs. (...) Et un jour, j'avais fait la remarque à Liam, dans une interview, je lui dis : 'Pourquoi toutes ces vannes que tu viens de me balancer ? Elles étaient toutes très drôles, pourquoi tu n'en fais pas un one-man-show ?' Il m'a répondu : 'Parce que si je faisais un one-man-show, tu devrais payer pour le voir et ça serait moins intéressant pour toi...'
Les "brothers" chez Freud
Liam, né en 1972 de son vrai prénom William John Paul et Noel, né en 1967, sont les enfants de Peggy et Tommy. Tommy possède tous les qualificatifs détestables de mari violent et de paternel battant les frangins. Peggy finira par partir avec ses trois enfants sous le bras. On ne peut pas parler d'une enfance heureuse et déjà gamin, Liam traite son frère Noel de "maboul de la famille". Un sens aigu de la fratrie.
Les deux frères ont aujourd'hui 52 et 58 ans, il n'y a pas d'âge pour la bagarre dans la famille Gallagher. Nous pourrions aligner les bordées d'insultes et provocations pour écrire le manuel du savoir-vivre des bad boys Gallagher. Personne n'en est exclu. Surtout pas leurs anciennes gloires. Ni les Happy Mondays, ni Joy Division, ni même les rock stars. Pas d'idole, pas d'icône et surtout pas de totem, ni de tabou.
En 2022, sur le site Loudwire, Liam déclarait au sujet des rock stars : "Ceux qui pensent être des rock stars ne le sont pas, ils… vivent juste une putain de vie très ennuyeuse, et je pense que le rock'n'roll mérite un peu plus que de la simple musique, vous voyez ce que je veux dire ? Il faut débarquer et être soi-même, il faut vivre une vie excitante. C'est comme U2, ils se font passer pour un groupe de rock'n'roll, alors que, bon… Je n'ai jamais vu Bono ou aucun d'entre eux faire quoi que ce soit de vaguement rock'n'roll." Bono a dû apprécier, mais pas rancunier, aujourd'hui, il déclare à Apple Music : "J'adore ce groupe. Ils ont brisé le côté précieux de l'indie avec leur arrogance, leur groove, leur rage. C'était le son de gars qui voulaient s'en sortir, sans fioritures. Ils ont dit 'Je fais ce que je veux'."
Personne n'est exclu sauf les fans défendus par Liam quand les notables écossais s'inquiètent de la venue d'ivrognes en surpoids et d'âge moyen pour les trois concerts d'Edimbourg. Des propos qui ont suscité une réponse bien sentie de Liam Gallagher : "J'ai entendu ce que vous avez dit sur les fans d'Oasis et franchement, votre putain d'attitude pue. Je quitterais la ville ce jour-là si j'étais l'un d'entre vous", a-t-il écrit sur X. "J'aimerais voir une photo de tous ces élus, je parie qu'il y a parmi eux des individus vraiment impressionnants", a-t-il rajouté. Lutte des classes encore et toujours sur fond de brèves de comptoir des pubs de Manchester.
Personne n'est exclu, sauf leur mère Peggy. Et Peggy veille. À 82 ans, elle est à l'origine du retour du groupe et de la peut-être réconciliation des frères : "J'ai été l'instigatrice, c'est vrai. Mais bon, ça allait arriver tôt ou tard de toute façon, n'est-ce pas ?", a déclaré Peggy Gallagher au Mail on Sunday, journal irlandais. Elle poursuit : "Vous ne pouvez pas les forcer à faire des choses qu'ils ne veulent pas faire. Je leur ai dit qu'il fallait juste qu'ils s'y remettent."
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Une bonne mère qui voit ses gosses revenir au bercail est donc soulagée : "C'est formidable, parce que personne ne veut voir ses enfants se disputer, n'est-ce pas ?". Mais elle les connaît trop bien pour ne pas être au fond d'elle inquiète, les sachant indomptables : "Je serai contente quand tout sera fini parce que ça me rend trop anxieuse", a-t-elle confié.
Et si on parlait britpop ?
Réduire le retour d'Oasis à une mauvaise comédie shakespearienne serait ignorer les stades entiers qui ont frémi au son de leurs chansons. Ce serait rayer les millions d'ados qui ont imité Liam chantant Live Forever ou Cigarettes & Alcohol dans leurs chambres, micro en main face à la glace. Une scène qui a dû se répéter depuis 1994 dans toutes les villes de Grande-Bretagne et sûrement d'Europe. Ils voulaient tous être Liam.
JD Beauvallet, king de la punchline rock, résume leurs talents : "C'est des disques qui ont uni l'Angleterre, ce sont de rares moments où tout le monde communie, où tout le monde se retrouve ensemble dans les stades, lève les bras en l'air et oublie les problèmes sociaux, oublie les différences sociales. Donc, c'est un moment assez rare, surtout pour des chansons qui sont finalement que du Beatles volé chez Emmaüs."
"Du Beatles volé chez Emmaüs", encore faut-il avoir le talent de Noel, être un bon compositeur, avoir su écouter, s'imprégner, se plonger dans la pop des années 1970. Noel mélomane, travailleur et perfectionniste. JD Beauvallet rajoute : "Il a écouté des milliers de chansons et a compris comment cela fonctionnait. Il les a démontés pour les remonter et composer les siennes." Parfois, même Liam rend hommage au talent d'écriture de son frère.
Quant à Liam, un véritable front man, où l'arrogance devient une pose, il a su donner du souffle et du grain aux compositions et aux paroles de son frère ennemi.
Un retour en nostalgie
S'il est bien un comble pour ce retour sur scène et de cette histoire de drama familiale et de britpop, c'est que la nostalgie rode. Cette nostalgie pour les années 1990 ne touche pas seulement les quadras, mais aussi la Gen Z, les jeunes nés entre 1997 et 2012, raconte James Hannam à l'AFP. Il est enseignant en économie de l'industrie musicale de la Solent University à Southampton. Ses étudiants perçoivent ces années comme "moins stressantes" alors qu'"ils grandissent dans une période difficile, avec le changement climatique, plusieurs guerres".
Il a noté depuis déjà plusieurs années chez ses étudiants un retour de la mode des années 1990, avec les jeans baggy et les bucket hats, les bobs, un incontournable pour Liam Gallagher quand il était au sommet de la gloire. Plusieurs étudiants de James Hannam iront au concert d'Oasis. "Aussi bien les jeunes que les plus âgés aiment l'honnêteté des frères Gallagher en interview. Ils disaient des choses choquantes", chose difficile à imaginer avec les stars d'aujourd'hui et leur média training, observe James Hannam. Il n'y a pas que des inconvénients de briser la langue de bois.
Vendredi 4 juillet, backstage, en loges, dans le public, pour "mère Peggy Gallagher", pour le groupe composé de Gem Archer, de l'historique Bonehead à la guitare, Andy Bell et Joey Waronke à la batterie, le trac ne sera pas seulement de faire basculer le stade dans l'extase, de faire danser les dizaines de milliers de spectateurs mais la peur de voir au dernier moment, un ultime clash des frangins. God save Oasis !
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