Le spleen éthéré de Mélanie de Biasio, le Bach trafiqué d'Édouard Ferlet
Deux artistes partageaient l'affiche, lundi 8 septembre à la Cité de la Musique, dans le cadre de Jazz à La Villette. D'abord, le pianiste Édouard Ferlet et son étonnant travail autour de la musique de Bach. Ensuite, l'artiste belge Mélanie de Biasio, une révélation vocale de ces derniers mois, qui a entraîné le public dans son univers très particulier... De fait, la soirée fut bien étrange.
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D'abord, une déception. "Aucun photographe n'est autorisé ce soir pour le concert de Mélanie de Biasio", avertit l'attaché de presse à quelques heures du spectacle. On se débrouillera comme on pourra pour illustrer cette soirée très particulière de Jazz à La Villette...
"Des pièces de Bach un peu trafiquées..."
20h05. Un piano au centre de la scène éclairée de bleue. Édouard Ferlet, chemise et pantalon sombres, attaque son récital en jouant des percussions dans les entrailles de l'instrument avec des baguettes de vibraphone. Bientôt, il propose un mélange de rythmes syncopés de jazz, de contrepoint et de mélodies virevoltantes évoquant sans doute possible Jean Sébastien Bach.
C'est tout le défi - réussi - de son album "Think Bach", sorti en 2012 (Mélisse). Lundi soir, devant le public de la Cité de la Musique, Édouard Ferlet a expliqué avec humour son travail remarquable. "Ce sont des pièces de Bach un peu trafiquées... Au départ, j'ai posé un regard de graphiste sur les partitions. J'ai trouvé qu'elles étaient belles même sans les écouter ! Alors j'ai gommé, raturé, parfois ajouté des notes, fait des découpages... Et j'ai réalisé que Bach était toujours présent !"
Par la suite, le pianiste joue une Suite pour violoncelle "à l'envers", puis, injecte dans une autre partition des sonorités métalliques, électro, alors que la scène s'est nimbée de rouge... Enfin, il annonce avoir "coupé des notes" du célèbre Clavier bien tempéré... "Maintenant, quand on me demande de jouer du Bach normalement, je n'y arrive plus ! C'est embêtant..."
Tympans foudroyés
Chaleureusement applaudi, Édouard Ferlet offre en rappel sa propre lecture de la Suite pour orchestre n°3. Après deux expositions du thème, l'oeuvre de Bach subit une première déconstruction, préméditée par le pianiste... Le musicien n'ira pas plus loin. Un incident sonore spectaculaire plonge l'ensemble de la salle dans l'effroi. Un craquement de la sono, strident, d'une force et d'une intensité foudroyantes, a transpercé tout le monde. Gardant son flegme, Édouard Ferlet se lève, salue et s'éclipse.
"J'ai cru que c'était la fin du monde"
On est sous le choc, les tympans (durablement) endoloris, le coeur battant. La lumière s'est rallumée, les spectateurs se regardent. "J'ai cru qu'on allait tous mourir", murmure une jeune femme. D'autres racontent : "Moi, ça m'a éclaté les tympans"... "J'ai eu l'impression que c'était la fin du monde..."
Édouard Ferlet revient, contemple les hautes sphères de la salle. "Désolé pour cet incident technique. On a dû réveiller quelque chose... Ça ressemble à un coït interrompu ! On ne peut plus reprendre là où on en était, alors on va reprendre un autre coït !" Les rires allègent l'atmosphère, mais le son ne sera pas rétabli pour cet ultime rappel.
21h18. Mélanie de Biasio et ses complices, Pascal Mohy au piano, Pascal Paulus aux claviers et Dré Pallemaerts à la batterie, arrivent sur scène. Les premières notes du récital émanent du piano. Lumière tamisée bleue. La silhouette longiligne, androgyne, de la chanteuse-flûtiste, s'est postée à l'avant de la scène. Gros pull noir (la couleur vestimentaire du groupe) tombant sur son pantalon, cheveux courts, frange, yeux fermés pour les premiers mots. "I feel you..."
Le micro, au plus près de sa voix, en trahit toutes les inflexions. Cette voix nous enveloppe. La chanteuse trentenaire déroule le fil de son second album, "No Deal", salué par la critique, avec ses tableaux successifs qui posent les étapes inéluctables d'une histoire d'amour, de la révélation de l'inclination à l'annonce de la rupture. Point de pathos
Éclairés par le rayon ocre et lunaire d'un imposant projecteur placé derrière chacun d'entre eux, les musiciens apparaissent comme des silhouettes impassibles et mystérieuses, drappant l'atmosphère de percussions et d'effets électro, ou laissant le piano acoustique reprendre ses droits. La chanteuse est à peine plus expansive, seule la gestuelle de ses bras et de ses mains semblant trahir le cheminement des sentiments. Chez Mélanie de Biasio, point de pathos, pas la moindre emphase dans le discours qui se limite parfois à un murmure. La pudeur est extrême, la présence éthérée, le chant désincarné. Tout est en dedans.
Cette intériorité, cette impression de détachement, cette froide sensualité, peuvent laisser certains sur le bord de la route. Entre-temps, les morceaux s'enchaînent dans un climat onirique, voire hypnotique, laissant peu de pauses pour les applaudissements. Une chanson, juste accompagnée au piano, rappelle Kate Bush. Une autre évoque le rock progressif, un genre musical que la Belgique accueillit autrefois avec une ferveur jamais tarie. Là-bas, un univers comme celui de Mélanie de Biasio ne pouvait que s'épanouir en toute quiétude.
Dans la dernière partie du spectacle, sur une chanson au rythme plus soutenu, Mélanie de Biasio s'accroupit, se relève, danse. Une danse presque rituelle, mécanique, la main gauche cramponnée à sa flûte irisée par les spots. Le concert s'achève sur le fatidique "I'm gonna leave you" et sa rengaine oppressante "I don't need you. No more... No more..." "C'est la fin"
22h21. "C'est la fin", dit la chanteuse, qui offrira un quart d'heure de prolongation. "Tout doucement. On va vous ramener un peu de la même façon qu'on vous a pris." La dernière chanson de l'album "No Deal", "With all my love", décline et s'éteint après sa longue séquence panoramique sonore, un temps ponctuée par le son du glas. En rappel, Mélanie de Biasio offre une reprise très swingante du standard "Afro Blue". Tant pis pour les quelques spectateurs qui ont cru bon de s'éclipser dans les dernières minutes, pressés d'attraper un métro ou, peut-être, un peu décontenancés par cet univers dans lequel on ne pénètre pas avec désinvolture.
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