Interview "J'ai eu envie d'essayer des tempos différents" : Étienne de Crécy surprend avec "Warm Up", une pépite de pop dansante

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le producteur et DJ Étienne de Crécy joue à la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques au Stade de France, le 8 septembre 2024, à Saint-Denis, près de Paris (France). (STEPH CHAMBERS / GETTY IMAGES EUROPE)
Le producteur et DJ Étienne de Crécy joue à la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques au Stade de France, le 8 septembre 2024, à Saint-Denis, près de Paris (France). (STEPH CHAMBERS / GETTY IMAGES EUROPE)

Le pionnier de la French Touch s'offre une parenthèse solaire très réussie avec un disque au tempo légèrement ralenti sur lequel il a convié une foule d'invités au micro. Alors qu'il poursuit sa tournée française, nous lui avons parlé.

Après des années de "house vénère" comme il dit, Étienne de Crécy revient là où tout a commencé pour lui : les samples et la simplicité. Avec ce nouvel album, le patron des séries Super Discount voulait juste retrouver le plaisir et l'innocence de ses premières compositions.

En compagnie de grands noms – Damon Albarn (Blur, Gorillaz), Alexis Taylor (Hot Chip), Olivia Merilahti (The Do) ou Peter Van Poehl – et d'une tripotée de jeunes talents qu'il a dénichés lui-même, ce pilier de la French Touch a concocté onze chansons d'électro-pop. Onze pépites qui réjouissent déjà le dance-floor mais sont à l'aise partout et se font de plus en plus attachantes au fil des écoutes – preuve en est : elles ont fait bondir son nombre d'auditeurs sur les plateformes de streaming.

Warm Up, avec sa pochette aux dégradés orange, est à la fois un clin d'œil aux débuts de soirée, à la mise en jambes, et une référence au réchauffement climatique. La tournée française d'Etienne de Crécy, qui passe par l'Olympia le 16 avril, fait en tout cas grimper le mercure et promet d'ambiancer les festivals cet été.

Franceinfo Culture. Ce nouvel album ne ressemble pas au reste de votre discographie récente. De quelle envie est-il né ?
Étienne de Crécy : J'ai débuté cet album au moment où les clubs étaient fermés, à la fin du Covid. Comme je n'arrivais plus à faire de la musique de club, je me suis mis à faire des morceaux down tempo. La référence, c'était Tempovision, un disque que j'ai réalisé à une époque [2000] où la musique électronique explorait tous types de tempos. Depuis, on s'est tous un peu spécialisés, et là, j'ai eu envie d'essayer à nouveau des tempos différents. La grosse différence avec mes derniers albums, c'est vraiment le tempo et le fait qu'il y a des chansons sur tous les morceaux. D'ailleurs, les retours du public que j'ai depuis le début de la tournée, c'est : "Super, le dernier album, on reconnaît ton style tout de suite !". Moi qui pensais avoir fait quelque chose de différent, je ne m'y attendais pas ! [rires]. Il faut croire qu'une constance se dessine dans ma musique.

Mais vous vouliez quand même vous surprendre un peu vous-même ?
Non, dans la musique, au contraire, j'avais surtout envie de ne pas me compliquer la vie et d'essayer d'être le plus spontané possible, d'aller assez vite dans un domaine que je maîtrisais bien. L'idée, c'était que ce soit plus un kif qu'autre chose, comme quand j'ai commencé à faire de la musique.

Vous qui faites habituellement tout en solitaire, qu'est-ce qui vous a poussé à faire entrer d'autres personnes dans votre processus de création ?
J'ai souvent eu des invités sur mes albums, mais le déclencheur, c'est l'album BED que j'ai fait avec Baxter Dury et Delilah Holiday [2018]. C'est un disque qui ne contient que des chansons et que j'aime écouter, contrairement au reste de ma discographie. Dès qu'il y a une intervention extérieure, ça rend ma musique plus sympathique à mes yeux. Cet album avec Baxter Dury, j'en suis super fier et il m'a donné envie de collaborer avec d'autres chanteurs.

Comment avez-vous choisi les invités que l'on retrouve sur Warm Up ?
Je n'ai demandé qu'à des gens dont je suis fan. J'ai pris mon top Spotify et j'ai envoyé des demandes aux vingt premiers. C'est la musique que j'écoute chez moi. Il y a eu beaucoup de refus aussi [rires]. Pour Damon Albarn, c'est différent : j'avais enregistré ce morceau avec lui, il y a vingt ans, pour un autre projet.

Parmi les invités, il y a des célébrités comme Damon Albarn ou Alexis Taylor, mais vous nous faites aussi découvrir des artistes méconnus, comme Sugar Pit ou Frank Leone.
Frank Leone est hyper fort, il faut aller écouter son album Fish [sorti en mai 2024], c'est à partir de là que je l'ai découvert. Moi, je suis un digger [qui fouille les magasins de disques et les plateformes en quête de pépites musicales], je cherche beaucoup de musique sur Spotify et je repère plein d'artistes qui ont 600 auditeurs par mois et qui font des albums que j'adore.

"En tant que DJ, c'est mon boulot de faire découvrir de la musique, et ça me semble une continuité de ma mission de le faire aussi pour des chanteurs."

Étienne de Crécy

à franceinfo Culture

Malgré tous ces invités, si différents les uns des autres, l'album reste cohérent. Comment avez-vous travaillé ?
Je me suis rendu compte que la cohérence de l'album vient de mon choix d'artistes, parce qu'il reflète mes goûts musicaux. Le processus a été assez simple. J'envoyais des instrumentaux aux invités, ils m'envoyaient des paroles, après, on retravaillait un peu. Avec certains, on a travaillé à distance, d'autres sont venus en studio. Mais je leur ai demandé à tous de ne pas construire les chansons en mode couplet-refrain pour que la musique ait sa place aussi. Je voulais avoir des ritournelles plus que des chansons, comme quand on samplait des voix et qu'on les répétait à l'infini, à mes débuts.

En 2021, vous me disiez : "Je trouve que le poids de l'expérience est quelque chose qui encombre pour faire de la musique électronique. (…) C'est tout un travail de faire croire que je suis encore innocent."
C'est toujours le cas. Quand je dis que j'ai essayé de ne pas me prendre la tête sur la musique de cet album, c'était en fait pour détourner ce poids de l'expérience. D'habitude, ma méthode, c'est d'acheter du matériel pour retrouver la surprise de jouer avec de nouveaux jouets. Si je garde un synthé dont j'ai trop l'habitude, il va falloir que je cherche longtemps pour faire avec une musique qui m'étonne, et ce n'est pas comme ça qu'on fait de la musique électronique fun. Il faut que ce soit fluide, que ce soit facile d'une certaine manière.

"Cette fois, la nouveauté, c'était les chanteurs. Mais je me suis interdit de trop retravailler la musique, je voulais garder le premier jet, le côté brut, presque maquette."

Étienne de Crécy

à franceinfo Culture

Sur scène, comment avez-vous adapté les chansons de l'album ?
En ce moment, la musique électronique va très vite, dans les raves, ils sont à 160 BPM, c'est très hardcore, ce que je trouve enthousiasmant, mais moi, c'est une proposition que je n'arrive pas à faire. Donc là, j'ai beaucoup ralenti les tempos, et au moment où j'ai préparé le live, j'ai décidé de ne pas changer les tempos des morceaux. Donc j'ai des morceaux à 118 BPM, des morceaux à 105. Je me suis dit, ce n'est pas grave, on va danser sur ces tempos-là, et je suis assez content parce que ça marche. J'ai un home studio sur scène, je n'ai pas de laptop, et j'ai réussi à me faire un petit setup qui sonne bien, pour que les gens soient obligés de danser.

Un "petit set-up" qui ressemble à quoi ?
Sur scène, j'ai un séquenceur hardware, un sampler, qui joue les samples déclenchés, deux synthés, une bassline et un mixeur avec des effets. C'est assez minimal, par rapport à tout ce que j'ai fait jusqu'à présent. C'est une des fois où j'ai le moins de matériel sur scène, mais ça m'a obligé à ne pas avoir trop de sons en live, et c'est plutôt payant.

Côté scénographie, vous nous avez toujours ébloui. Qu'avez-vous prévu cette fois ?
J'ai fait appel à Pierre Claude, [scénographe lumière pour les shows de Air, Phoenix, Rone, The Strokes ou Kavinsky] qui avait travaillé sur la tournée Super Discount 2. À la base, il ne voulait plus tellement faire de tournée, mais je l'ai convaincu en lui disant : "Pierre Claude, il n'y a que des lights, pas de médias, pas d'écran, et je ne voudrais que des X-bars (c'est un type de light qui fait comme des rideaux de lumière)." Ce brief l'a enthousiasmé. Ça reste comme mes lights d'avant, c'est-à-dire que chaque morceau a sa couleur et son identité visuelle, mais les lights viennent du sol, donc le public ne voit pas les sources lumineuses. L'inspiration, c'était James Turrell [artiste américain, figure de l'art contemporain et maître de la lumière], mais en concert. Et puis le théâtre aussi parce que je suis très impressionné par les lumières de théâtre, je trouve ça hyper beau.

La configuration concert doit vous changer par rapport aux soirées électroniques tardives...
Oui, c'est un truc très nouveau pour moi de commencer à 21h, je n'ai vraiment pas l'habitude. J'aime bien commencer à 2h du matin. J'aime cette énergie, quand les gens sont déjà un peu bourrés, qu'ils ont envie de déconner. La tournée se passe bien, mais à 21h les gens se lâchent moins, ils ont plus de recul. En club, on a parfois l'impression que tout le monde est fou ! Il y a une unité, une espèce d'osmose, on sent qu'on est tous dans le même bain sonore et c'est hyper enthousiasmant.

C'est pour ça que vous avez prévu de jouer au Rex Club, juste après votre concert à l'Olympia le 16 avril ?
Mais oui ! L'idée, c'était de se retrouver et de faire la fête après l'Olympia. Parce que c'est à Paris, et qu'il y aura tous les amis.

Album "Warm Up" (Pixadelic/Idol)
Étienne de Crécy poursuit sa tournée : 16 avril à Paris (Olympia puis Rex Club), 17 avril à Nantes, 14 mai à Laval, 27 juin à Bailleul, 4 juillet à Monteux (Green Fest), 11 juillet à Monts (Terres du son), etc.

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