Interview "Mon but ? Faire revivre la musique de la fin du XVIIIe siècle, mais d'une manière contemporaine" : le Concert de la Loge de Julien Chauvin célèbre ses dix ans

L'année des dix ans de l'ensemble du violoniste et chef d'orchestre Julien Chauvin démarre par un grand concert de gala mercredi au théâtre des Champs-Élysées avec la participation de grandes voix lyriques, comme Philippe Jaroussky, Marina Viotti ou Stanislas de Barbeyrac.

Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 10min
Le musicien Julien Chauvin dans les locaux du Concert de la Loge, en décembre 2024. (LCA / FRANCEINFO CULTURE)
Le musicien Julien Chauvin dans les locaux du Concert de la Loge, en décembre 2024. (LCA / FRANCEINFO CULTURE)

Parmi les artistes classiques français, Julien Chauvin est l'un de ceux qui ont durablement marqué, ces dernières années, la scène baroque – mais pas que – s'illustrant aussi bien comme violoniste soliste que comme chef d'orchestre. Le Concert de la Loge, son ensemble créé en 2015 en référence à un prestigieux orchestre du XVIIIe siècle, s'est hissé parmi les incontournables. Il célèbre aujourd'hui ses dix ans avec notamment un gala au théâtre des Champs-Élysées mercredi 15 janvier.

Pour en parler, nous avons rencontré Julien Chauvin dans les bureaux de l'ensemble, situés à Paris, dans un quartier emblématique dans l'histoire de la musique, rue Rameau, dans le 1er arrondissement.

Franceinfo Culture : Pourquoi célébrer les dix ans d'un ensemble classique ?
Julien Chauvin : Quand on crée un ensemble, forcément, il est voué à grandir, à vivre des choses. En dix ans, on a peut-être atteint un certain stade de maturité.

Le lieu où nous nous trouvons, au cœur du Paris musical de la fin du XVIIIe siècle, est déjà un clin d'œil à votre démarche historique...
Au niveau du patrimoine, la situation est exceptionnelle, c'est dans ce quartier qu'il y avait tous les éditeurs de musique, les luthiers, c'est ici qu'habitaient aussi les compositeurs. Surtout, on est à deux pas du théâtre Louvois, où il y avait l'opéra, et où le Concert de la Loge a donné des concerts à la toute fin du XVIIIe siècle. Et puis on est en face de la Bibliothèque nationale de France, où se nichent évidemment tous les secrets, tous les trésors de l'histoire de France.

Vous avez créé votre ensemble pour redonner vie à ce qui s'appelait autrefois le Concert de la Loge olympique, né en 1783. Peut-on parler d'une sorte de voyage dans le temps que vous avez entamé il y a dix ans ?
Oui, c'est un voyage dans le temps, et pour moi une sorte de chasse au trésor. C'est vrai, je suis totalement fasciné par cette période, entre 1770 et la Révolution française, qui a vu éclore tellement de nouveautés musicales. Il y a eu tellement d'échanges avec des compositeurs qui venaient d'Italie, d'Allemagne, de Belgique, et Paris devait être un lieu d'effervescence absolue valorisant la créativité, l'émulation et l'estime des autres.

L'estime des autres ?
Oui, puisque le sous-titre de l'orchestre du Concert de la Loge, c'est l'"Olympique de la parfaite estime". C'était le lieu dans lequel on avait le plus d'estime et de reconnaissance pour l'autre : c'est la fin de ce siècle des Lumières. La faire revivre d'une manière contemporaine, pour moi, ça avait vraiment un sens. C'était une mission : on ne vient pas avec des pantoufles, toutes pleines de toiles d'araignée. On s'inspire de cette époque, on s'en imprègne, mais on le transmet d'une manière nouvelle, originale et contemporaine.

Dix ans après, cet esprit est-il intact ?
L'esprit est tout à fait intact, on est en contact très régulier avec des musicologues, des historiens et on trouve encore. On s'inspire même de choses qui paraissent parfois insignifiantes – un instrument, un objet, une médaille, une partition – pour créer notre projet contemporain de 2025.

On a parlé de voyage dans le temps. Comment vous situez-vous par rapport à la démarche dite "historiquement informée" [fidélité aux textes, interprétation sur instruments d'époque, etc.] qui a été dominante auprès des musiciens du renouveau du baroque ?
On a un devoir de s'adapter et de s'inspirer de ce qui se fait en ce moment, de ce que le public aime, tout en gardant notre exigence, notre intégrité musicale, ça, c'est vraiment le plus important.

Alors parlons justement de cette "programmation audacieuse" qui est revendiquée par l'ensemble. Ça veut dire quoi pour vous ?
Ça veut dire par exemple, pendant cette année où l'on célèbre nos dix ans, qu'on peut proposer un projet des Quatre saisons de Vivaldi avec des danseurs de breakdance. Mais également réaliser le premier enregistrement sur instruments d'époque d'Iphigénie en Aulide de Gluck, qui est un opéra ultra célèbre et important pour l'histoire de la musique, dans son intégrité. Mais aussi organiser notre festival itinérant Osez Haydn !, parce qu'on pense que ce musicien est incontournable dans la vie d'un musicien et doit l'être dans celle du public. Et enfin commencer l'année de nos dix ans avec un répertoire nouveau qui va nous emmener à la frontière du XIXe siècle : ce sera un opéra de Rossini qu'on va donner au théâtre des Champs-Élysées.

Revenons à la collaboration avec le chorégraphe Mourad Merzouki pour le spectacle Les Quatre saisons avec des danseurs hip-hop. Qu'est-ce qui ressort de ce dialogue ? Peut-on parler d'une sorte d'expérience musicale "enrichie" ?
Oui, c'est ça, c'est l'idée de ce projet : avoir une sensation "augmentée" autant pour le public que pour les artistes. On a réussi à toucher et réunir dans une même salle des publics qui ne venaient pas pour le même objet : des gens qui venaient pour écouter de la musique baroque, d'autres pour voir des danseurs hip-hop. Côté artistes, l'originalité du projet est d'arriver à mêler les deux, à faire qu'on s'inspire les uns des autres, et qu'on remette en question notre pratique aussi : les danseurs, ça remet en question leurs pratiques de danse, et nous, notre langage du corps et notre liberté musicale.

Pour le spectacle, la musique de Vivaldi a-t-elle dû être quelque peu déformée ?
J'ai voulu avoir la plus grande intégrité possible par rapport à l'œuvre. Les gens venus pour la musique ont été servis parce que c'est proposé en acoustique, par un orchestre en grand effectif. Il y a 2 ou 3 transitions qui sont faites pendant le spectacle, mais on reconnaît les Quatre saisons. On sait de quels mouvements il s'agit et on n'a pas déformé la musique pour coller à la danse. Chacun reste dans son domaine de prédilection, d'intégrité et d'exigence, mais on arrive quand même à fusionner. Évidemment, on a fait des pas l'un vers l'autre, mais l'œuvre est donnée.

Au-delà de cette expérience, quelle est selon vous la manière de toucher en musique classique le plus grand nombre ? C'était déjà l'ambition du Concert de la Loge olympique, à la fin du XVIIIe siècle…
Il faut être dans une situation d'écoute par rapport au public. Cela veut dire trouver les œuvres qu'on souhaite jouer et les mots pour les expliquer. Cela veut dire réfléchir non pas à comment interpréter la musique, mais comment la transmettre. Donc ça a un impact aussi sur l'interprétation, sûrement, mais le plus important, c'est sous quelle forme on a envie de la servir. La musique, bien sûr, s'écoute, mais elle se voit également. Et ainsi, on peut voir où va la musique.

C'est-à-dire ?
Ça m'intéresse de voir comment les compositeurs ont construit leur musique. Le public a envie de voir par exemple comment Mozart, dans sa composition, fait en sorte qu'une phrase commence au hautbois, puis elle passe au basson, et elle termine à la flûte, et le tout sur un tapis de cordes. Tout ça, j'ai envie de le montrer, de l'imager donc. C'est un peu ce qu'on a réalisé avec cette production de Don Giovanni à l'Athénée où on avait l'orchestre sur scène et le public pouvait suivre la musique et son propos avec les chanteurs.

Parlons du gala des dix ans le 15 janvier : y seront présents des artistes lyriques célèbres avec lesquels vous avez collaboré, de Sandrine Piau à Philippe Jaroussky, en passant par Karina Gauvin, Marina Viotti ou Stanislas de Barbeyrac. Mais au-delà des stars, que révèle son programme de votre ensemble et de votre démarche musicale ?
Très clairement, ce gala raconte une grande partie de "notre" histoire, c'est-à-dire beaucoup d'œuvres qui sont liées à notre orchestre au XVIIIe siècle. On va faire ainsi une recréation d'un oratorio très court de Antonio Salieri [compositeur contemporain de Mozart], qui avait été écrit pour la Loge olympique. Recréation également d'une œuvre de François-André Danican Philidor [compositeur français, 1726-1795] pour cœur et soliste. Ce concert, c'est vraiment : regardez ce qu'on a fait comme opéra, comme tragédie lyrique, d'Antonio Sacchini [1730-1788], de Christoph Willibald Gluck [1714-1787], ou ce qu'on a fait dans le domaine instrumental avec des concertos. Donc il y aura beaucoup de choses : quelques tubes bien sûr, mais aussi des découvertes. Ça me semble important pour un gala que les gens puissent être surpris : ah oui, y a une Ouverture de Démophon de Johann Christoph Vogel [1756-1788], qui était un tube absolu à l'époque, qui a été créé par la Loge olympique. Et cette pièce, on va la redonner pour la première fois, ça n'a jamais été rejoué ! Ça me semble très important comme démarche.

Le Concert de la Loge, gala des dix ans, le 15 janvier 2025, au théâtre des Champs-Élysées, 15 avenue Montaigne, 75008 Paris

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