: Interview La haute couture de Julien Fournié vue par Audrey Fleurot, Marina Viotti, Ashley Scott, Cédric Le Gallo et Wilfried Bernard

"Cela a toujours été une fête de faire un défilé !". Julien Fournié a célébré ses 50 ans, avec un peu d'avance (c'est un natif d'avril) lors de son défilé haute couture printemps-été 2025, mardi 28 janvier, au théâtre Mogador, à Paris. Une collection intitulée First Circus, "car j'ai l'impression que ma vie est un grand cirque. Aujourd'hui, un couturier est sur des roller custer, surtout s'il est indépendant !"

"Enfant, j'adorais mes personnages de super-héros, de comics et de Disney. Cette saison, ils sont sur le podium car fondateurs de l'ADN de ma maison." La collection avec des moments dansés présentait cinq thèmes comme des tableaux vivants : les leaders du futur, les Starship Troopers et les aliens, Alice et les animaux fantastiques, le sombre cirque de Julien Fournié et Zeus et le nouvel Olympe. "Je voulais me relier avec l'esprit des années 1990, avec ces shows qui ont marqué nos esprits, cette couture festive un peu outrancière qui me manque. Aujourdhui, la haute couture est rentrée dans des rails de business et de marketing : mon but est d'être un créatif, d'avoir un rêve, de le dessiner et de le réaliser."

Dans cette collection, 31 looks, dont 10 masculins, portés par 17 mannequins féminins et 9 masculins dont 6 muses en looks iconiques de la maison ainsi que 6 danseurs en tenues haute couture, soit 38 personnes sur la scène du théâtre Mogador. On a aimé tout particulièrement la robe ensanglantée évoquant la femme sur laquelle on lance des poignards au cirque, les smokings croisés asymétriques masculins en crêpe montés sur une base de veste à l'intérieur, la veste masculine du joker clown avec une somptueuse broderie gâteau d'anniversaire sur le devant ainsi que les perruques japonaises cosplay, les maquillages brodés sur du tulle et un final détonant !

Les mannequins ont côtoyé des personnalités du monde de la culture comme Audrey Fleurot, Marina Viotti, Ashley Scott, Cédric Le Gallo et Wilfried Bernard qui reviennent pour franceinfo Culture sur ce moment suspendu.

La comédienne Audrey Fleurot

Ils se sont rencontrés en 2017 lors du film La Fête des mères de Marie-Castille Mention-Schaar dans lequel elle campait la présidente de la République française et pour laquelle le couturier a composé son vestiaire. Souvent habillée en Julien Fournié pour les tapis rouges, il a habillé son double de cire en 2023 au musée Grévin. Habituée des défilés de haute couture, elle est, pour la première fois, sur le podium bien que pendant le Covid, elle jouait un personnage dans le film de sa collection First Squad automne-hiver 2021-2022.

"Julien et moi avons toujours partagé une admiration mutuelle. C'était une opportunité extraordinaire de participer à ce show, et cette fois, pas en tant que spectatrice : il m'a proposé de devenir une partie vivante de son univers et cela va bien au-delà de porter une tenue, c'est incarner une vision. C'était irrésistible, une façon de mélanger nos expériences. Ici, je ne joue pas un personnage dicté par un scénario, je deviens une extension d'une de ses créations. Mon rôle est de sublimer sa vision, de donner vie à son travail. C'est moins une performance dramatique qu'un dialogue silencieux entre le vêtement, un corps et le public. Je suis une magicienne dans un moment théâtral et explosif et je participe aussi au tableau final, une sorte d'apothéose. Mon look incarne la puissance et la grâce, un mélange d'audace et d'élégance. J'adore son approche artisanale et narrative : chacune de ses créations raconte une histoire. Il y a une théâtralité dans ses lignes mais toujours avec une sophistication qui ne sombre jamais dans l'excès. Ses tenues sont à la fois des œuvres d'art et des alliées, elles font briller celles qui les portent. C'est une haute couture qui marie tradition et innovation : Julien est un alchimiste qui sait préserver les savoir-faire ancestraux tout en insufflant une modernité audacieuse. Ses créations sont comme des contes de fées contemporains, où la femme est une héroïne, forte et sublime : c'est de la poésie en mouvement."

La chanteuse lyrique Marina Viotti

Marina Viotti, chanteuse lyrique (mezzo-soprano) franco-suisse, est une habituée de Musiques en fête, lauréate des Victoires de la musique classique en tant qu'artiste lyrique de l'année en 2023, elle mélange ses passions lors de la cérémonie d'ouverture des JO 2024 à Paris aux côtés du groupe Gojira en performant une adaptation métal de la chanson révolutionnaire Ah ! Ça ira, intitulée Mea Culpa et incluant un extrait de L'Amour est un oiseau rebelle. Elle est nommée cette année aux Grammy Awards pour cette performance.

"J'ai accepté de participer car Julien, c'est un peu ma bonne fée, toujours là lors de mes événements importants. On s'est rencontré grâce à un ami commun metteur en scène, Pierre-Emmanuel Rousseau et quelques semaines plus tard on faisait un photo shoot. Il a composé plusieurs de mes tenues de scènes pour mes récitals depuis 2019 : il devient presque un costumier et me crée la robe qui me met en valeur et me rend unique avec le savoir-faire, la créativité et la magie des ateliers haute couture. Quand je l'ai rencontré, je venais du métal, du rock, j'étais toujours en noir et en cuir. Julien m'a fait découvrir un aspect de ma personnalité en tant que chanteuse d'opéra, toujours rock mais avec de la modernité et un côté plus féminin que je ne soupçonnais pas en moi. Cela m'a fait grandir autant en tant qu'artiste que femme. Ses défilés sont souvent toujours un peu du spectacle et, en tant que chanteuse d'opéra, j'aime la scène. Cette occasion, c'est quelque chose de familier et de nouveau. Ce n'est pas une première sur un podium : il y a très longtemps, j'ai été modèle pour des marques gothiques quand j'étais dans un groupe de métal et j'ai défilé à la Japan Expo. Ici, je participe au thème des divas sorcières chargées de chasser avec une baguette magique les paparazzis. Je suis une espèce de diva goth opéra en très grande robe noire très féminine, incroyablement magnifique, avec un corset à manches courtes, plusieurs jupons et des tatouages. C'est très volumineux et lourd et c'est un défi de marcher en hauts talons et de rester un peu gracieuse, mais Julien, c'est la féminité qui vous rend plus forte."

La sculptrice Ashley Scott

L'Américaine Ashley Scott, basée à Berlin (Allemagne), explore dans son travail de sculptrice la féminité à travers sa propre histoire et ses expériences. Elle a acquis une collection de 800 ensembles de prêt-à-porter de luxe et de haute couture pour constituer ce qu'elle appelle son "musée personnel".

"La première fois que je l'ai rencontré, c'est sur Instagram : il m'a envoyé une vidéo de coulisses d'un défilé et je ne savais même pas qu'il suivait mon compte. J'ai alors dit, il me faut cette tenue : sa couture est un choc électrique. C'est un honneur énorme : ce qui me fascine, c'est que c'est un show complet avec de la danse, de la mode, de la haute couture et plein de disciplines qui se mêlent. Jamais je ne pensais que cela allait m'arriver, d'être plus qu'une spectatrice ! Ici, je fais partie d'un intermède : j'ai des pouvoirs magiques, je suis un de ses boucliers qui le protège avec ma baguette des paparazzis. Je porte une tenue que j'ai acquise de la collection automne-hiver 2022 : c'est un body très structuré à manches longues et mes chaussures Salomé. C'est une de mes tenues favorite et iconique pour moi car la technique qu'il utilise pour coudre le vêtement me rappelle une technique que j'utilise en tant que sculptrice : il mélange des fils de Lurex de différentes couleurs comme je le fais aussi. C'est comme si je portais une sculpture ! J'aime combien il est innovant dans ses techniques, j'adore comment, lors des essayages, Julien sculpte les corps et essaye par les tissus et les couleurs utilisés de mettre la lumière sur son personnage."

Cédric Le Gallo, scénariste, réalisateur et acteur

Avant d'être réalisateur, Cédric Le Gallo a été reporter pour des chaînes de télévision et comédien. En 2019, il coécrit et coréalise avec Maxime Govare Les Crevettes pailletées avec une équipe amateur de water-polo gay, dont il fait partie. Le film remporte le Prix du jury au Festival international du film de comédie de l'Alpe d'Huez 2019 et le Prix du public au Festival de Tübingen-Stuttgart. En 2022, il réitère avec Maxime Govare avec La Revanche des crevettes pailletées.

"C'est une grande première et très excitant de défiler à un show haute couture. Après avoir proposé à mon compagnon Pierre d'y participer – quand Julien a compris qui j'étais – il m'a aussi contacté. Il est fan de mon film. J'aime beaucoup la mode et j'ai dit oui : il nous a montré des croquis et j'ai adoré cette évasion dans un monde féerique. Ses tenues sont entre le super-héros, le dessin animé de notre enfance, la créature mythologique, nous avons des références communes ! J'aime bien l'extravagance et je trouve que dans le vestiaire masculin, on s'ennuie un peu : c'est rare des tenues haute couture, des pièces fortes pour l'homme. J'incarne Zeus : je porte des leggings richement brodés, un body en mesh avec des broderies et une veste avec des éclairs. C'est des codes féminins mais en même temps, on se sent extrêmement masculin car il a un côté armure, guerrier, on se sent puissant et un peu super-héros... et puis les paillettes, forcément j'adore ! Je crois que la mode est faite pour s'amuser et Julien l'a bien compris en proposant ce spectacle. Je pense qu'il y a une similitude entre le monde du cinéma d'où je viens et celui de la mode : dans les deux, on raconte une histoire, à travers un film, à travers un costume comme les shows de Mugler et Jean Paul Gaultier qui racontaient des histoires. N'oublions pas que ces créateurs de mode se sont lancés ensuite dans le spectacle !"

Wilfried Bernard, danseur et chorégraphe

Actuellement en tournée mondiale avec la comédie musicale Notre-Dame de Paris, Wilfried Bernard a travaillé notamment avec le Cirque Phénix, Disneyland Paris, le Cirque de Shanghai et participe au spectacle de l'actrice Noémie de Lattre. Il est aussi dans le processus de création de sa compagnie pour développer son univers au travers d'un langage chorégraphique contemporain.

"Ayant entendu parler de mon travail, Julien m'a appelé, il y a quelques mois, pour organiser une rencontre pendant laquelle nous avons vite compris que nous parlions le même langage scénique. Il a souhaité des images fortes passant par la danse pour dépoussiérer la haute couture des ors du Second Empire, la sortir d'un certain carcan et l'inscrire dans une esthétique actuelle. Cet artiste pluridisciplinaire à l'enthousiasme communicatif voulait que son défilé soit aussi un spectacle. Lors des répétitions, les danseurs l'ont accompagné et encouragé grâce à leur énergie communicative. Hormis lui donner confiance en lui, il se débrouille bien et ne craint pas de danser, il adore ça : il était enthousiaste à l'idée de préparer cette surprise à son public. Les chorégraphies sont construites de manière à ce que la sensation qu'elles apportent aux spectateurs soit comparable à celles de petites bulles de champagne qui explosent en bouche. Nous avons répété deux fois avec Julien puis nous avons eu trois sessions de répétitions avec l'équipe pour que je puisse créer les tableaux. Il y a quatre passages de six danseurs, dont le casting reflète un maximum de diversité, un excellent bagage technique et une forte personnalité."