: Interview "Une pièce d'archive, c'est un fragment d'histoire de la mode" : Paul Viguier, expert des enchères Rei Kawakubo & Comme des garçons
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Les ventes aux enchères consacrées aux créateurs de mode et à l'univers du luxe se multiplient. Si le phénomène n'est pas nouveau, il s'avère désormais – au même titre que l'art – un investissement aussi bien financier que personnel et sentimental.
Le 1er octobre, lors de la Fashion Week féminine présentant le printemps-été 2026, la maison d'enchères Piasa disperse l'une des plus importantes collections au monde dédiée à la créatrice japonaise Rei Kawakubo et sa marque Comme des garçons. Assemblée au cours des dix dernières années par le collectionneur japonais Hiroaki Narita, cette vente Rei Kawakubo & Comme des garçons regroupe des pièces datées de 1969 à 1999, issues des collections les plus emblématiques de la marque, telles Pirates (1981), Noir (1988), Metamorphosis (1994) ou Body Meets Dress, Dress Meets Body (1997), estimées entre 150 et 2 000 euros. La collection est exposée pour partie jusqu'au 30 septembre chez Piasa au 118 rue du faubourg Saint-Honoré, à Paris.
Tirant son nom de la chanson Tous les garçons et les filles de Françoise Hardy, Comme des Garçons a été créé par Rei Kawakubo en 1969. Après une décennie d'activité au Japon qui la positionne au firmament de l'avant-garde nationale, la marque fait son premier défilé à Paris en 1981 et acquiert une notoriété internationale, bien que la presse ait réservé un accueil mitigé à la collection, fustigeant son utilisation excessive du noir. Célébrée en 2017 par une rétrospective au Metropolitan Museum de New York, Rei Kawabuko est aujourd'hui une figure célébrée de la mode et Comme des garçons un empire. Toujours indépendante et détenue par Rei Kawakubo et son mari Adrian Joffe, la marque a su concilier haute couture et streetwear, en développant des lignes pointues tout en multipliant les collaborations avec des marques grand public, distribuées dans son réseau de boutiques et ses concept stores Dover Street Market.
Paul Viguier, expert de la vente et directeur adjoint du département design de Piasa, nous explique l'intérêt de cette vente de vêtements et d'accessoires.
Franceinfo Culture : Qui est le collectionneur japonais Hiroaki Narita qui disperse sa collection ?
Paul Viguier : Hiroaki Narita est un serial entrepreneur aux multiples vies. C'est surtout un acteur reconnu du marché du design historique au Japon : il a fondé une maison de ventes aux enchères pionnière sur ce marché au début des années 2000.
La marque Comme des garçons de Rei Kawakubo reste peu connue du public. Quels sont les potentiels acheteurs ?
Si la marque n'est pas aussi connue que les grands mastodontes du prêt-à-porter, sa notoriété s'est accrue depuis dix ans avec, entre autres, le lancement de la ligne Play (le petit cœur rouge). C'est une marque culte pour les amateurs de mode et c'est évidemment à eux que s'adresse cette vente. Compte tenu du fait que nous proposons une archive très complète avec une vocation historique, la vente s'adresse également aux institutions, musées et fondations, qui souhaiteraient enrichir leurs collections.
En quoi cette marque constitue un investissement puisque sa créatrice est encore vivante ?
Je ne pense pas qu'il faille raisonner en termes d'investissement. Acquérir une pièce d'archive de Comme des garçons, c'est acheter un fragment d'histoire de la mode à porter tous les jours et la plupart du temps à un prix inférieur à celui d'un vêtement d'une marque moyenne de gamme qui sera oublié au fond du dressing dans trois mois. C'est donc un investissement personnel, sentimental, pour vivre autrement sa manière de se vêtir.
Bien sûr, il peut y avoir un aspect spéculatif et les prix évolueront à coup sûr à la hausse. Mais la fonction première d'un vêtement est d'être porté. Nos clients collectionneurs de design s'assoient tous les jours sur leurs chaises, sans que cela n'impacte leur valeur.
La vente concerne des pièces datées de 1969 à 1999. Y a-t-il des périodes plus recherchées ?
Les pièces des années 1970 et 1980 sont évidemment très recherchées puisque beaucoup ont disparu et celles encore existantes sont rares. Ensuite, plusieurs collections des années 1990, notamment Dress Meets Body, Body Meets Dress, sont plébiscitées pour la manière dont elles ont marqué une évolution importante tant dans l'histoire de la marque que de la mode en général.
Quelles sont les pièces les plus emblématiques de cette vente ?
Il est difficile d'en extraire quelques-unes tant la collection est large, complète et homogène. On peut cependant donner quelques exemples comme le lot 36. Cette pièce datant des toutes premières collections de cette ligne montre l'extraordinaire maîtrise de la maille et préfigure l'esthétique grunge. Au sujet d'un modèle similaire de pull ajouré de la collection Holes de l'automne-hiver 1982, Rei Kawakubo déclara que "certains y verront des trous, mais ce sont des ouvertures qui donnent à la matière une autre dimension".
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Le lot 201, un manteau, est aussi un parfait exemple de la philosophie de Rei Kawakubo, consistant à créer des "objets pour le corps" plutôt que de simples vêtements. Quant au lot 386 qui comprend une quinzaine de pièces de la célèbre collection Body Meets Dress, Dress Meets Body, considérée comme l'une des plus importantes de l'histoire de la marque, en plus d'être la préférée de la créatrice, "la moins insatisfaisante" selon ses propres mots. Avec cette collection, Kawakubo poursuit son travail sur la morphologie, la transformation et la déformation du corps par des "objets pour le corps".
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Enfin, le lot 433, la collection New Essential du printemps-été 1999 rappelle l'importance et l'influence du tailoring traditionnel dans le travail de Rei Kawakubo, avec une réflexion sur les multiples étapes nécessaires à la construction d'un vêtement. Il en résulte des pièces déconstruites, asymétriques, jouant sur l'aspect "unfinished".
Combien de lots sont proposés ?
466, en grande majorité des vêtements, mais aussi des accessoires (chaussures, chapeaux) et des documents tels que des flyers et des revues.
La vente concerne-t-elle aussi les lignes secondaires et les collaborations ?
Non, il s'agit uniquement de la ligne principale, à l'exception de quelques modèles issus de ses marques satellites des années 1980 (Robe de chambre et Tricot) avant qu'on puisse parler de lignes secondaires.
Les ventes consacrées aux créateurs de mode, au luxe et aux bijoux se multiplient. De quand date ce succès ?
Paul Viguier : C'est un phénomène relativement récent qui accompagne l'avènement de la seconde main comme une nouvelle manière de consommer la mode face à la multiplication des acteurs du marché. C'est également une heureuse conséquence de la reconnaissance tardive de la mode comme un art majeur. Les créateurs ne sont plus considérés comme de simples faiseurs de vêtements au mode de vie fastueux, ce sont des artistes dont les créations, les réflexions et l'univers accompagnent l'évolution du monde.
Ce marché est-il devenu aussi porteur que celui de l'art ?
Nous sommes évidemment encore loin des chiffres du marché de l'art et de la manière dont il est structuré. Mais en termes d'engouement, c'est assurément un marché très dynamique, avec un fort potentiel de croissance.
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