Vertiges de la mémoire : "Une fille, qui danse" de Julian Barnes
Booker Prize 2011, "Une fille, qui danse", le dernier roman de l'écrivain anglais Julian Barnes, raconte la plongée d'un sexagénaire dans les méandres de sa mémoire. Un livre saisissant, qui provoque une palette de sentiments troublants.
Une jeunesse dans les années 60
Le roman démarre sur la jeunesse de Tony, l'amitié de quatre adolescents à une époque où "les choses étaient plus simples : moins d'argent pas de gadgets électroniques, peu de tyrannie de la mode, pas de petites amies." Ils étudient, philosophent, se mesurent, "assoiffés de livres et de sexe". Adrian, le dernier arrivé de la bande, "d'une intelligence supérieure", y occupe une place à part.
Plus tard les quatre jeunes hommes se sont éloignés. "Et puis la vie a pris les choses en main, et le temps a accéléré. Autrement dit j'ai rencontré une fille", dit Tony. Avec Veronica, pas moyen de faire le "grand jeu". Tony s'en contente. Au bout de deux ans, ils mettent fin à une relation "stagnante". Plus tard, Tony apprend que Veronica sort avec Adrian. Il en éprouve de la rage et de la jalousie. Il le dit dans une lettre affreuse qu'il adresse aux amoureux. Quelques mois plus tard, Adrian se suicide. Fin du premier acte. Tony oublie toute cette histoire et vit sa vie.
Le passage du temps
Tony est devenu un vieil homme quand le passé le rejoint. Il est proche de la "fin de toute probabilité de changement dans cette vie". Et pourtant... la mère de Veronica est morte et lui a légué par testament le journal intime de son ami Adrian. Pourquoi ? Et pourquoi Veronica ne veut-elle pas le lui remettre ? Ce qui commence comme une enquête quasi policière tourne rapidement à l'introspection.
"Une fille, qui danse" est un livre sur le temps, la mémoire et l'histoire, "cette conviction issue du point où les imperfections de la mémoire croisent les insuffisances de la documentation." Ce temps aussi où chacun fait les comptes : "Ma vie s'était-elle accrue, ou seulement accumulée ?".
Entre drôlerie et mélancolie
Le roman de Julian Barnes se lit crescendo. En symbiose avec Tony, on commence la lecture avec une certaine indolence et un brin de passivité, en se demandant où l'auteur veut nous emmener. Puis au fil de la lecture, on est progressivement réveillé, comme Tony, par ce qui lui est révélé, et qui donne rétrospectivement un sens nouveau à sa vie.
C'est étourdissant, cette virtuosité discrète de Barnes, qui nous montre (l'air de rien) comment les choses ne sont pas toujours ce que l'on croit. Comme le narrateur, le lecteur se trouve piégé par les révélations du récit. En conservant le parti pris du point de vue exclusif de Tony, l'auteur nous oblige à encaisser avec lui les coups, à ressentir les remords, la honte, à éprouver la surprise.
On est sonné, abasourdi et pour finir, on se demande si Tony a lui aussi fait une relecture de l'événement qui clôt l'histoire, afin de n'avoir pas à inscrire en épitaphe sur sa tombe : "Tony Webster – Il n'a jamais pigé."
Une fille, qui danse de Julian Barnes (Mercure de France - Bibliothèque Etrangère)
Traduit de l'anglais par Jean-Pierre Aoustin – 193 pages - 19 €
"Moyen, voilà ce que j'avais été, depuis la fin du lycée. Moyen à l'université et au travail; moyen en amitié, loyauté, amour; moyen sans doute pour ce qui est du sexe. Il y a quelques années, un sondage a révélé que quatre-vingt quinze pour cent des automobilistes britanniques pensaient qu'ils étaient des conducteurs "meilleurs que la moyenne". Mais la loi des moyennes implique que la plupart d'entre nous sont voués à être moyens. Ce qui n'apportait certes aucun réconfort; le mot se répétait en écho : moyen dans la vie; moyen face à la vérité; moralement moyen. La première réaction de Veronica en me revoyant avait été de remarquer que j'avais perdu mes cheveux. C'était bien le moindre mal."
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