"Wanted" de Philippe Claudel : quand les maîtres du monde deviennent fous
L'écrivain et président du Goncourt s'amuse à mettre en scène Trump, Musk et Poutine dans une dystopie burlesque sur les dérives d'une hyperpuissance devenue incontrôlable. Stimulant.
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Que peut la fiction quand la réalité a depuis longtemps pulvérisé toutes les lignes rouges de l'imagination ? Force est de constater que depuis l'avènement du 47e président des États-Unis, pas un jour ne passe sans la désagréable impression que l'Amérique a donné les clés du camion à une équipe sous acide, menant le monde au bord du chaos. Une situation déjà bien suffisamment anxiogène pour ne pas avoir besoin de pousser le bouchon encore plus loin. C'est pourtant exactement l'option choisie par Philippe Claudel pour son dernier roman intitulé Wanted qui paraît le 14 mai aux éditions Stock. Une pépite dystopique à l'humour grinçant sur les dérives autoritaires d'une Amérique illibérale face à des démocraties apathiques et déboussolées.
Six mois après sa réélection à la Maison Blanche, Trump convoque une conférence de presse dans le Bureau ovale, flanqué de l'incontournable Elon Musk. La guerre en Ukraine n'étant toujours pas réglée, Musk a une importante annonce à faire. Devant un parterre de journalistes médusés, le géant de la tech offre 1 milliard de dollars à qui assassinera Vladimir Poutine. Stupéfaction mondiale. Le Conseil de sécurité de l'ONU aura beau voter toutes les résolutions possibles, les chancelleries s'agiter dans tous les sens, rien ni personne ne pourra empêcher la mécanique infernale de se mettre en place. Pas sûr que l'humanité s'en porte beaucoup mieux...
Retour au Far-West
À travers cette fable totalement déjantée mettant en scène le duo Trump-Musk bien décidé à débarrasser la planète de l'autocrate russe comme au bon vieux temps du Far-West, il y a chez Philippe Claudel cette idée que le monde est en train de basculer vers une grande régression. Un retour en arrière terrifiant qui, sous prétexte du seul critère de l'efficacité, voit le triomphe de la brutalité et de l'argent au détriment des fondements communs de nos démocraties. À commencer par l'État de droit et les règles élémentaires de la diplomatie au profit d'intérêts privés et du désir de puissance d'un petit nombre.
Une thèse qui résonne particulièrement avec le dernier essai de Giuliano da Empoli, L'Heure des prédateurs, paru chez Gallimard le 3 avril dernier, et dans lequel l'ancien diplomate ne dit pas autre chose. Dans Le Monde du 21 avril, Giuliano da Empoli déclarait à ce propos : "Nous assistons au retour sur la scène de figures de prédateurs politiques sans scrupules qui s'affranchissent de toute règle et affirment leur emprise par des actions brutales qui sidèrent leurs adversaires. (...) Mais, d'un autre côté, ces figures bénéficient du soutien de la machine surpuissante des seigneurs de la tech. Ils ont décidé de balayer les vieilles élites."
Un futur décrit par Claudel comme l'avènement d'un nouveau monde voué à la voracité de puissances dérégulées. Ainsi imagine-t-il l'Ukraine devenant après la guerre " une terre où les géants des BTP, les fournisseurs d'énergie, les autoroutiers, les extracteurs de minerai, les monstres de la grande distribution, les chaines de fast-food, les discounters de produits bas de gamme et les enseignes de marques de luxe se précipitaient. Beaucoup était à reconstruire, et tout à exploiter."
Inquiétante impuissance des démocraties
Mais la charge la plus dérangeante de ce scénario catastrophe concerne peut-être les grands absents du récit – les démocraties traditionnelles de la vieille Europe – qui font la démonstration de leur impuissance. À l'image des contre-pouvoirs (telles les organisations internationales ou les médias) littéralement vitrifiés par les outrances du binôme Trump-Musk. Question centrale du livre. Comment les démocraties peuvent résister et sauver ce qui reste du monde libre, quand la diplomatie est à ce point supplantée par l'intimidation et la brutalité ? Une stratégie, hélas déjà à l'œuvre et récemment théorisée par Trump face à un journaliste du Wall Street Journal qui l'interrogeait sur sa réaction à une éventuelle intervention militaire à Taiwan, le président américain répondant sans ciller : "Je n'aurai pas à le faire car Xi Jinping me respecte et sait que je suis… un putain de cinglé."
Et l'on ne peut que partager l'inquiétude de Philippe Claudel quand il écrit très justement que dorénavant "toutes les déclarations de Trump étaient prises au sérieux, même les plus démentes, car on savait que l'homme ne se contentait pas de dire des choses : la plupart du temps, il les faisait aussi, à l'inverse de bien de ses homologues." Critique à peine voilée de décennies d'impuissance politique, responsable en partie d'une situation dont l'auteur nous rappelle ici qu'elle peut échapper à tout contrôle, à tous moments, si l'on reste les bras croisés.
"Wanted" de Philippe Claudel, éditions Stock, 137 pages, 16,90 euros.
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Extrait : "Depuis la fin du XXe siècle, on avait assisté à l'effritement du pouvoir politique dans les pays démocratiques au bénéfice du pouvoir économique détenu par quelques figures majeures du capitalisme. Si on conservait les apparences, la machinerie avait quelque peu changé. Et le phénomène permit en quelques décennies à ceux auxquels le capitalisme avait donné des pouvoirs de super-héros d'agir non seulement sur la politique de leur pays d'origine, mais aussi sur celle de la planète entière. Ils le firent au départ avec un souci de discrétion, sans intervenir à visages découverts, mais par le biais de chantages discrets, de pressions exercées au plus haut niveau, de déplacements de capitaux ou de sites de production, jouant avec les travailleurs comme avec des pions, se souciant davantage de la colonne des profits pécuniaires plutôt que de celle de pertes humaines." (page 98)
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