"Tant mieux" : Amélie Nothomb explore l’enfance, la douleur et l’amour maternel avec une touchante intensité

Article rédigé par Paul Ripert
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
L'écrivaine Amélie Nothomb au Centre de Culture Contemporaine de Barcelone, le 2 février 2022 à Barcelone, en Catalogne, Espagne. (Europa Press News / Europa Press / Getty images)
L'écrivaine Amélie Nothomb au Centre de Culture Contemporaine de Barcelone, le 2 février 2022 à Barcelone, en Catalogne, Espagne. (Europa Press News / Europa Press / Getty images)

La romancière signe une œuvre poignante et intime où fiction et réalité se confondent, dressant le portrait bouleversant de sa mère et d’une enfance en résistance.

Comme chaque année depuis 1992, la romancière belge Amélie Nothomb publie son nouveau roman à la fin de l'été, à l'occasion de la rentrée littéraire : Tant mieux (Albin Michel) est en librairie mercredi 20 août. Après avoir évoqué son père dans deux ouvrages récents, Premier sang (2021) et Psychopompe (2023), la lauréate du prix Renaudot en 2021 raconte ici l’histoire d’un autre membre de sa famille jusqu'alors jamais évoqué. 

Mais Tant mieux n'est pas une biographie, c'est un roman. On découvre la jeune Adrienne, fille de quatre ans au début des années 1940, vivant un été difficile chez sa méchante grand-mère maternelle, Bonne-Maman de Gand. Cette dernière épouvante sa petite fille, qu'elle force à réingurgiter son vomi après que celle-ci ait mangé avec dégoût des harengs au vinaigre au petit déjeuner. Adrienne se retrouve avec "ce monstre" face à “l’évidence de sa perte”. Un seul terme, salvateur, lui vient alors à l'esprit, qu’elle répète sans cesse tel un mantra : tant mieux.

L’été interminable devient plus agréable lorsque la petite fille découvre, caché, celui qui règne en maître chez Bonne-maman : Pneu, le chat. Dès lors, voyant l’attendrissement d’Adrienne devant l’animal, la méchante grand-mère s'adoucit et desserre son étreinte. Mais s’il y a bien une personne qui n’aurait pas réagi pareil, c'est Astrid, mère d’Adrienne et fille de Bonne-maman. Cette dernière déteste les chats, souvenirs de son enfance malheureuse où sa mère préférait nourrir les bêtes que s’occuper de ses filles. Cette blessure s’est muée en une haine des félins. Une fois de retour à Bruxelles, Adrienne se rend compte que les chats du quartier disparaissent mystérieusement. Dès lors, la petite fille soupçonne sa mère…

La duplicité de son être

L’histoire, qui dresse le portrait d’Adrienne de son enfance à sa vie adulte, est avant tout une affaire de double identité. Chaque personnage a deux versions, deux pendants de sa personnalité. La grand-mère de Gand est dure avec sa famille mais douce avec son chat, quand Astrid, la mère, est agréable avec Adrienne mais d’une grande méchanceté avec ses autres filles et les bêtes. Adrienne aussi vit un dédoublement, nécessaire pour s’adapter à des situations difficiles. 

Ce changement de comportement, cette joie malgré tout, sont exprimés à travers une idée : tant mieux. Ce double du tant mieux lui permet de continuer à aimer les gens qui lui font du mal, les situations qui la blessent. Ce n’est pas qu’elle se ment à elle-même, c’est de l'adaptation, de la survie. 

“Tant mieux. C’est inexpiable. Tant mieux. Tant mieux ne consistait pas à se voiler la face mais à faire triompher la vie, la vitalité. Tant mieux.”

Amélie Nothomb

"Tant mieux", page 109

Ses parents ont des amants dont ils ne se cachent pas et ne s'aiment plus : tant mieux. Sa mère tue les chats du quartier, même Bishop le beau chat de sa meilleure amie Margareth : tant mieux. La seule distraction que lui autorise Bonne-maman, une cuillère en bois nommée Maïzena, ne peut pas venir avec elle à Bruxelles à la fin de l'été : tant mieux. Mantra implacable, Adrienne surmonte tout. 

Histoire de sa mère

Ode à l’acceptation, à la débrouillardise et à l'indépendance, le nouveau roman d’Amélie Nothomb est comme une longue lettre d’amour à cette petite fille, Adrienne. Les dialogues sont léchés et caractérisent parfaitement les personnages haut en couleur, avec la guerre à l'intérieur des murs, mais aussi à l'extérieur, les soldats allemands rodant dans les rues belges.

Les sentiments d’Adrienne sont si purs, si limpidements expliqués, qu’arrivée la moitié du roman, un doute s’immisce : et si Tant mieux n’était pas une fiction, mais la réalité. L’idée s’implante encore un peu plus avec l’avant dernière partie du roman, traitant de l’amour naissant d’Adrienne pour un jeune homme, qui est expédiée en quelques pages seulement. 

Le roman s’emballe, jusqu’au point de rupture. Amélie Nothomb, dans une dernière partie écrite à la première personne, révèle la supercherie. L’histoire d’Adrienne n’est en rien inventée, c’est le récit de la mère de l'autrice. Seul le nom a été modifié. Celle-ci, que l’on surnommait "Madame Tant mieux”, est décédée le 11 février 2024 à 86 ans. Au départ incapable de parler de cette perte, c’est des années après que l’autrice se décide à évoquer celle qui lui répondit, un jour où la petite Amélie attendait une déclaration d’amour de sa mère : “Séduis-moi.”

Le roman sonne alors comme une déclaration et un hommage magnifique qui touche en plein coeur. La vie d’Adrienne, passée de fiction à réalité, prend une autre dimension et devient plus belle, plus puissante. Tant mieux.

"Tant mieux" d'Amélie Nothomb, Editions Albin Michel, 216 pages, 19,90 euros.

Couverture du roman "Tant mieux" d'Amélie Nothomb, publié le 20 août 2025. (EDITIONS ALBIN MICHEL)
Couverture du roman "Tant mieux" d'Amélie Nothomb, publié le 20 août 2025. (EDITIONS ALBIN MICHEL)

Extrait : "Ce que l'enfant avait découvert au sujet de sa mère portait un nom qu'elle ignorait : la duplicité. Maman était double, une part d'elle lui échappait. Pour la rejoindre en des régions aussi ténébreuses, une phénomène identique se produisit en elle ; une autre surgit qu'elle ne conaîtrait jamais, qu'elle ne rencontrerait jamais. Le double naquit en Adrienne la nuit de son acceptation de la duplicité maternelle." (page 82).

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