Rentrée littéraire : les dix romans étrangers à ne pas rater

De "Lincoln Tragédie" à "Fleurs de nuit", en passant par "Le Fou de Dieu au bout du monde" ou encore "La Forêt de flammes et d'ombres", voici notre sélection de livres étrangers de cette rentrée 2025.

Article rédigé par Mohamed Berkani
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 12min
Librairie Le Merle moqueur, à Paris, le 5 juin 2025. (MOHAMED BERKANI / FRANCEINFO CULTURE)
Librairie Le Merle moqueur, à Paris, le 5 juin 2025. (MOHAMED BERKANI / FRANCEINFO CULTURE)

Dix romans, dix pays, ce tour du monde littéraire nous emmène dans des contrées extraordinaires et vers des horizons inattendus, aussi bien par les thèmes abordés que par le talent des auteurs. Comme toute sélection, celle-ci est totalement subjective et nécessairement non exhaustive.

"La Forêt de flammes et d'ombres" d'Akira Mizubayashi : sous les bombes, l'art

Chapitres courts, phrases concises, style épuré… Akira Mizubayashi, tel un peintre, superpose des couches pour élaborer un tableau saisissant. Le plus français des écrivains japonais revient avec un livre pacifiste d'une rare intensité poétique. Nous sommes à Tokyo en décembre 1944, la guerre du Pacifique n'a pas encore pris fin. Trois étudiants (Ren Mizuki le peintre, Bin le violoniste et Yuki ("neige" en japonais) peintre qui veut apprendre le français) font connaissance dans un centre de tri postal où ils travaillaient en intérim. De cette rencontre naissent des amours et des amitiés exceptionnels. À ces trois personnages, vient s'ajouter un quatrième : Hanna, une chienne qui traverse tout le long du roman avec une remarquable présence. En mai 1945, Ren est envoyé en Mandchourie. Il en revient mutilé et atrocement défiguré. Comment peindre en étant amputé des deux mains ? Comment vivre sans passion ? L'art suffit-il à faire face à l'adversité ?  La Forêt de flammes et d'ombres, un roman indispensable, résonant étrangement avec l'actualité. Coup de cœur.

"La Forêt de flammes et d'ombres", Akira Mizubayashi, Gallimard, 275 pages, 21 euros

Couverture du livre "La Forêt de flammes et d'ombres" d'Akira Mizubayashi. (EDITIONS GALLIMARD)
Couverture du livre "La Forêt de flammes et d'ombres" d'Akira Mizubayashi. (EDITIONS GALLIMARD)

"Le Fou de Dieu au bout du monde" de Javier Cercas : et le paradis dans tout ça ?

Le 31 août 2023, Javier Cercas embarque à l'abord de l'avion qui conduit le pape François 1er en Mongolie. L'écrivain espagnol, athée, anticlérical, laïc, est très surpris par la proposition du Vatican d'accompagner le pape et de disposer d'une liberté totale pour interviewer son entourage. Il accepte à une seule condition : avoir un entretien privé avec lui. Et "Voilà donc un fou sans dieu poursuivant le fou de Dieu jusqu'au bout du monde." L'auteur a une question personnelle : "Demander au pape François si ma mère verrait mon père après sa mort, et pour transmettre sa réponse à ma mère." Dans ce livre hybride, qui englobe réflexions existentielles, reportage et introspection, Javier Cercas arrive à prendre le recul nécessaire pour évoquer des questions essentielles, qui font écho, avec une grande sincérité. Le fou de Dieu au bout du monde, un livre habité par l'humanité. Captivant.

"Le Fou de Dieu au bout du monde", Javier Cercas, traduit par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon, Actes Sud, 480 pages, 24,50 euros

Couverture du livre "Le Fou de Dieu au bout du monde" de Javier Cercas. (EDITIONS ACTES SUD)
Couverture du livre "Le Fou de Dieu au bout du monde" de Javier Cercas. (EDITIONS ACTES SUD)

"Partout le même ciel" de Hajar Bali : Alger, mon amour

C'est un roman sur une société empêchée, un désir de liberté étouffé. Partout le même ciel est un livre à tiroirs qui aborde de nombreux thèmes avec délicatesse et élégance. Grâce à son écriture poétique, raffinée, Hajar Bali décrit les exils intérieurs et les rêves fracassés par conformisme. Elle dit les révoltes avortées et les aspirations matraquées. Alger années 2010, Wafa et Adel, jeunes adolescents désargentés, rêvent grand et s'aiment comme on s'aime à cet âge-là. Leur extraordinaire rencontre avec un jeune quadragénaire désabusé, Slim, va bouleverser leur vie. De cette rencontre naît une exigence d'émancipation et d'accomplissement. En ouvrant les jeunes ados à la philosophie, le cinéma et la littérature, Slim sort lui-même de son isolement. Reste une question essentielle : que faire pour que le destin se plie à leurs désirs ? Partout le même ciel, un roman raffiné sur l'intime et le politique.

"Partout le même ciel" de Hajar Bali, Belfond, 316 pages, 21 euros

Couverture du livre " Partout le même ciel" de Hajar Bali. (EDITIONS BELFOND)
Couverture du livre " Partout le même ciel" de Hajar Bali. (EDITIONS BELFOND)

"Lincoln tragédie" de Karen Joy Fowler : père et fils

Le choix de l'autrice est assumé. Au lieu de narrer l'histoire de l'assassin d'Abraham Lincoln, Karen Joy Fowler s'est intéressée à sa famille. Cela débute avec Junius Brutus Booth, célèbre acteur shakespearien qui a fui l'Angleterre et les accusations de bigamie, qui hante particulièrement ce roman familial et historique. Aussi attachant que violent, il exerce une forte emprise sur ses proches. Adulé par le public, il peut se montrer d'une grande cruauté en privé. Nous sommes au début du XIXe siècle. Junius Brutus Booth s'installe avec sa maîtresse Mary Ann dans une maison isolée. Dix enfants y naîtront, seuls six survivront. Certains suivront les traces de leur génial et maudit géniteur et l'assisteront dans ses moments de défaillance. L'un de ses fils deviendra tristement célèbre pour avoir assassiné le président Lincoln. Lincoln tragédie, une fresque qui se lit comme un thriller et qui tend un miroir à la société américaine. Addictif.

"Lincoln tragédie" de Karen Joy Fowler, traduit par Karine Laléchère, Les Presses de la Cité, 528 pages, 25 euros

Couverture du livre de "Lincoln tragédie" de Karen Joy Fowler. (LES PRESSES DE LA CITE)
Couverture du livre de "Lincoln tragédie" de Karen Joy Fowler. (LES PRESSES DE LA CITE)

"Dans la nuit solitaire" de Vasugi V. Ganeshananthan : l'amour en temps de guerre

Les guerres civiles sont des tombeaux pour les rêves et les ambitions, celle qui a déchiré le Sri Lanka au début des années 1980 ne fait pas exception. Le conflit fratricide, qui aurait fait entre 80 000 et 100 000 morts, opposait le gouvernement du Sri Lanka dominé par la majorité cinghalaise bouddhiste et les séparatistes tamouls. C'est dans un pays en ruine que Sashi, 16 ans, rêve de devenir médecin. Un désir broyé par les événements. Sashi se retrouve dans un hôpital de campagne tenu par les séparatistes mais l'assassinat d'un professeur de médecine va bouleverser sa vie. Chacun est sommé de choisir son camp. La guerre fait irruption dans la famille de Sashi. Que pèse un individu devant le fracas des armes et la radicalité collective ? Pourtant Sasha fait le choix de la vie. Contre tous. Dans la nuit solitaire, un tableau saisissant et sensible d'une époque révolue, mais pas si lointaine, qui a vu des frères et sœurs se dresser les uns contre les autres.

"Dans la nuit solitaire" de Vasugi V. Ganeshananthan, traduit par Johan-Frédérik Hel-Guedj, éditions Autrement, 480 pages, 23,90 euros

Couverture du livre "Dans la nuit solitaire" de Vasugi V. Ganeshananthan. (EDITIONS AUTREMENT)
Couverture du livre "Dans la nuit solitaire" de Vasugi V. Ganeshananthan. (EDITIONS AUTREMENT)

"Le corbeau qui m'aimait" d'Abdelaziz Baraka Sakin : le cri silencieux

Peut-on survivre à l'exil, la petite mort ? Qui ne porte pas avec lui ou elle son passé et son pays ? Certains s'en libèrent, temporairement, le temps que la vie antérieure vienne réclamer son dû. Nour et Adam, deux amis, deux frères, ont quitté le Soudan pour l'eldorado européen. Ils n'avaient pas le choix. Le premier "réussit", le second beaucoup moins. Quand, des années après leur arrivée en Europe, Nour croise Adam, drogué, ce dernier ne le reconnaît pas. Adam souffre-t-il du manque de son pays au point de vouloir y retourner ? Il est retrouvé mort, quelques jours après la rencontre. Qui était donc Adam, l'homme qui parlait aux corbeaux ? Par une série de témoignages, on voit se dessiner les interstices d'un homme tourmenté, complexe, et le sort des migrants dans la jungle moderne. Le corbeau qui m'aimait, un roman poignant et juste.

"Le corbeau qui m'aimait", Abdelaziz Baraka Sakin, traduit par Xavier Luffin, éditions Zulma, 176 pages, 18 euros

Couverture du livre "Le corbeau qui m’aimait" d'Abdelaziz Baraka Sakin. (EDITIONS ZULMA)
Couverture du livre "Le corbeau qui m’aimait" d'Abdelaziz Baraka Sakin. (EDITIONS ZULMA)

"Fleurs de nuit" de Peace Adzo Medie : saga Africa

Roman à deux voix, deux amies, deux sœurs, porté par une plume délicate et engagée, Fleurs de nuit est l'une des belles surprises de cette rentrée. L'histoire commence à la fin du siècle dernier au Ghana. Selasi et Akorfa, deux cousines nées le même jour, entretiennent une amitié fusionnelle jusqu'au jour où leurs chemins se séparent à cause d'un décès dans la famille. L'une part aux États-Unis, réaliser son rêve de devenir médecin et l'autre reste au Ghana. Une bifurcation qui aura beaucoup de conséquences sur la vie des deux anciennes amies. Que sont devenus les rires d'antan, les amitiés évidentes, l'affection tendre entre deux jeunes filles une fois devenues adultes ? L'autrice de Sa seule épouse nous plonge avec cette saga familiale dans un univers complexe et mouvant. Fleurs de nuit, un roman résolument féministe et politique d'une grande sensibilité.

"Fleurs de nuit", Peace Adzo Medie, traduit par Benoîte Dauvergne, éditions de L'Aube, 440 pages, 22 euros

Couverture du livre "Fleurs de nuit" de Peace Adzo Medie. (EDITIONS DE L'AUBE)
Couverture du livre "Fleurs de nuit" de Peace Adzo Medie. (EDITIONS DE L'AUBE)

"Caledonian Road" d'Andrew O'Hagan : grandeur et décadence de Campbell Flynn

L'écrivain écossais revient avec une satire sociale au vitriol sur les dérives de la société britannique actuelle, une fresque acerbe sur la déliquescence d'un monde qui n'en finit pas de se désagréger. Avec un humour tout British, l'auteur de Les Éphémères décrit la capitale anglaise comme une nouvelle Babylone, rongée par ses contradictions et paradoxes. Le nouveau monde ressemble furieusement à l'ancien. À travers le personnage de Campbell Flynn, historien de l'art qui vient de connaître un succès inattendu avec sa biographie de Vermeer, on voit défiler la faune londonienne, les riches et les pauvres, les détenteurs d'un pouvoir illusoire et les laissés-pour-compte, les artistes et les influenceurs… Caledonian Road, un roman social féroce et corrosif. Addictif.

"Caledonian Road", Andrew O'Hagan, traduit par Céline Schwaller, éditions Métailié, 656 pages, 24,50 euros

Couverture du livre "Caledonian Road" d'Andrew O'Hagan. (EDITIONS METAILIE)
Couverture du livre "Caledonian Road" d'Andrew O'Hagan. (EDITIONS METAILIE)

"L'Appel. Histoire d'une femme argentine" de Leila Guerriero : le destin de Silvia Labayru

Leila Guerriero continue de regarder dans les yeux la société argentine. Dans ce livre hybride, elle revient sur les années noires de son pays à travers le portrait de Silvia Labayru, militante d'un groupe armé. En 1976, elle a été arrêtée et séquestrée à l'Esma (École de mécanique de la marine), l'un des pires centres clandestins de détention d'Argentine. Silvia Labayru avait 20 ans et était enceinte de cinq mois. Sa fille naît en prison. Comme toutes les opposantes à la dictature militaire, elle subit la torture et le viol à répétition. Elle est libérée au bout de presque deux ans. À sa sortie, elle fait face à la méfiance, sinon à l'hostilité de ses anciens camarades. Comment a-t-elle survécu ? Pourquoi ? Elle est perçue comme une collabo. Roman non fictionnel captivant.

"L'Appel. Histoire d'une femme argentine", Leila Guerriero, traduit par Maïra Muchnik, éditions Rivages, 542 pages, 24 euros

Couverture du livre "L'Appel. Histoire d'une femme argentine" de Leila Guerriero. (EDITIONS RIVAGES)
Couverture du livre "L'Appel. Histoire d'une femme argentine" de Leila Guerriero. (EDITIONS RIVAGES)

Le Garçon venu de la mer" de Garrett Carr : Moïse en Irlande

"Nous étions résilients, nous avions grandi face à la mer". Nous, la communauté du Donegal. Des pêcheurs qui affrontent les éléments depuis longtemps, qui savent qu'il y a sûrement des endroits plus beaux et plus cléments ailleurs. Un jour de 1973, un bébé, tel Moïse, arrive par la mer dans un tonneau. Qui est-il ? Les habitants, intrigués, sont fascinés par ce mystère. Adopté par un pêcheur local et sa femme, l'enfant grandit et suscite des réactions contrastées. Pour son premier roman, Garrett Carr signe une saga familiale captivante sur deux décennies. L'auteur irlandais interroge l'altérité et la modernité avec beaucoup d'humour.

"Le Garçon venu de la mer", Garrett Carr, traduit par Pierre Bondil, éditions Gallmeister, 432 pages, 24 euros

Couverture du livre "Le Garçon venu de la mer" de Garrett Carr. (EDITIONS GALLMEISTER)
Couverture du livre "Le Garçon venu de la mer" de Garrett Carr. (EDITIONS GALLMEISTER)

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