Pierre Michon écrit son "Iliade" et c'est une épopée de désir et de littérature
Sur la quatrième de couverture de "J'écris l'Iliade", les éditions Gallimard préviennent le lecteur : Pierre Michon est tenu aujourd'hui pour l'un des plus grands écrivains français. Pourtant, l'ermite de la Creuse, le plus discret des auteurs, écrit sans bruit.
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Pierre Michon livre avec J'écris l'Iliade, paru jeudi 6 février dans la collection Blanche des éditions Gallimard, son autobiographie d'amoureux de la littérature, de la sensualité et du beau comme l'Antique.
Une autofiction aussi, où les amantes, les déesses grecques et le tracteur, un New Holland dernier cri des voisins de la Creuse, se croisent avec allégresse et érudition.
Qui est donc Pierre Michon ?
Pierre Michon est né en 1945, le 28 mars, soit quelques semaines avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il naît à Châtelus-le-Marcheix dans la maison de ses grands-parents maternels. Son père chef de gare file, sa mère institutrice l'élève. Il vit toujours dans ce village, dans sa ferme familiale du hameau des Cards, un certain sens de l'immobilité. Sa géographie, ce sont les livres et il déclarait en août 2024 au site consacré à la géopolitique le Grand Continent : "Évidemment, quand je lis les grands textes, je voyage mieux que sur place. Par exemple, j'ai refeuilleté (...) les géographes grecs Pausanias et Strabon ; on en apprend bien plus sur Athènes qu'en visitant le Parthénon." Ces lectures étant destinées à l'écriture de J'écris l'Iliade.
Sa deuxième naissance, en littérature, cette fois-ci, date de 1984, son premier livre, Vies minuscules, paraissant déjà chez Gallimard. Il aura donc fallu qu'il attende 39 ans pour que son écriture s'imprime. Mais il devient aussitôt un mythe, un mythe tardif, mais une reconnaissance qui, depuis, n'a pas failli. Chaque année, quand vient la saison du Nobel, juste avant l'hiver, son nom circule pour le Panthéon de la littérature. Il se dit que là-bas en Creuse, la récompense lui plairait.
Depuis Vies minuscules, une quinzaine de romans, des dizaines et des dizaines de textes. La Grande Beune en 1995 aux éditions Verdier, suivi de La Petite Beune en 2023 assoit sa notoriété. Une œuvre économe en volume, un style exigeant, ciselé, parfois à l'os, parfois lyrique, mais qui aime la rapidité des mots. Le rythme Michon est celui d'un auteur qui trousse son écriture comme il aime à chavirer les femmes dans ces récits. Mais méfiance en lui et son succès. N'écrit-il pas vers la fin de J'écris l'Iliade : "Ayant pris la voie de m'encenser, la critique n'en avait pas dévié et avait porté mes croûtes aux nues, comme elle avait fait mes chefs-d'œuvre. On m'admirait par pure convention, un ronron comme mes compères tortillards au long cours, Sollers ou Modiano." Voici bien un écrivain qui fait le boulot de critique.
Que raconte son "Iliade" ?
Mais cette fois-ci, nul doute qu'avec ce qui pourrait être, hélas, son ultime texte, Michon signe un grand et bel ouvrage. En 14 chapitres, il embarque le lecteur. Cela débute sur les quais de gare de l'Auvergne. Là, en 1971, la Mikado, machine à vapeur ancestrale, jouit d'être emplie d'eau. Une explosion de vapeur qui précède un accouplement dans le wagon entre le jeune Michon et une sensuelle Italienne de passage.
Puis, il nous embarque jusqu'à l'île d'Ios, dans les Cyclades. Ici, le vieil Homère dort et Hélène décide de le harceler et une dernière fois de le faire succomber. Le vieillard aveugle et édenté subira les assauts du verbe et de la chair. "Hélène aux bras blancs, aux cuisses de lait. Hélène aux longues robes. Hélène à la vulve souveraine. Pour lui ?", écrit Michon qui se délecte autant de la machine que de la fille de Zeus et de Léda. Mythologie, sexe et sentiments emplissent J'écris l'Iliade.
C'est aussi un va-et-vient des écrivains, entre le premier de tous, Homère, et "le monument Michon" comme le surnomme un certain Pierre Marceau, un confrère à lui. Au fil des 269 pages, Hugo et Chateaubriand, Sainte-Beuve et Baudelaire, Proust et Rimbaud, mais aussi le Grand auteur et le Lecteur difficile (personnages créés par Pierre Michon) circulent sur le papier. Jusqu'aux pages finales, grandioses de colère et d'apaisement. C'est osé comme est osé l'érotisme de Michon, c'est le sacrifice et le dernier tabou, c'est un autodafé de sa bibliothèque qui avait trop envahi son monde. Pour se libérer une dernière fois.
Pierre Michon voulait écrire, il voulait posséder et aimer, il voulait savoir et connaître, lire et marcher, à 79 ans, il offre son testament d'écrivain avec la verdeur du jeune homme.
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Extrait :
"Je la trouvai. Elle était dans le dernier wagon, un des rares compartiments d'où venait la pleine lumière du néon. Belle ou non, je ne sais plus. Très brune. Le double de mon âge. En jupe noire à grandes fleurs rouges, ses cuisses aux trois quarts découvertes, et me regardant fixement, comme je la regardais moi-même, accoudé à la porte. J'étais blond. Les coupe-coupe du train se déchaînaient pour nous, ils affûtaient notre œillade. Elle ne rabattit pas sa jupe sur ses genoux. Je fis durer le duel des regards jusqu'à ce qu'elle ait les joues en feu. J'entrai. Nous n'eûmes pas un mot. Quand je tirai le rideau du compartiment, éteignis le néon et allumai la veilleuse, j'entendis seulement, derrière mon dos, un murmure tomber d'une voix coupante comme un verdict : Cosi, puis un bruit de banquette. Je me retournai vers elle : elle s'était affalée, cambrée et exposée haut à la façon des bêtes, au milieu du siège où s'enfouissaient ses cheveux de suie sur lesquels sèchement, je rejetai sa jupe. Pas de temps perdu en paroles ou agaceries, l'extrême, vite. L'assaut, l'épouvante. Quand nos deux machettes se heurtèrent, la mienne pulsant dans le poil d'or." (page 19)
"J'écris l'Iliade" de Pierre Michon (Collection Blanche, Gallimard). 21 euros. 269 pages
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