"La Nuit au cœur" de Nathacha Appanah : une plongée vertigineuse dans l'enfer des violences conjugales
À travers les destins croisés de trois femmes victimes de la violence de leur compagnon, la romancière de "Tropique de la violence" explore les mécanismes destructeurs de l'emprise dans son récit le plus personnel. Bouleversant.
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C'est un livre dont on ne sort pas indemne. Une plongée au cœur de la sauvagerie ordinaire. Un texte douloureux qui suinte la peur, la honte, le désespoir. Avec La Nuit au cœur qui paraît jeudi 21 août chez Gallimard, l'écrivaine et journaliste mauricienne Nathacha Appanah se lance dans une enquête magistrale sur les traces de victimes d'une barbarie masculine dont elle fut elle-même l'objet. Contre l'effacement et l'oubli.
Quand elle apprend la mort atroce de Chahinez Daoud, brûlée vive par son mari en pleine rue près de Bordeaux, en 2021, Nathacha Appanah comprend qu'elle ne pourra repousser plus longtemps les fantômes de sa jeunesse.
"Partir à la quête des mortes comme si elles étaient vivantes"
Cette affaire fait en effet remonter à la surface la mort tragique de sa cousine Emma, elle aussi tuée en 2000 par son compagnon sur l'île Maurice. Comme elle fait resurgir les six années passées auprès d'un premier amour violent et dominateur, dans les années 1990, et qui une nuit, a bien failli la tuer.
Naît alors le besoin de "partir à la quête des mortes comme si elles étaient vivantes", interrogeant sa propre mémoire, avec l'objectif de décortiquer les mécanismes de l'emprise pour chacune d'entre elles. Dans un récit qui fonctionne en cercles concentriques, Nathacha Appanah procède d'abord par introspection pour comprendre comment elle a pu, entre 17 et 25 ans, tomber dans les filets d'un homme aussi dangereux.
Lente domestication psychologique
D'une plume d'où filtre une colère froide, la romancière porte un regard sans concession sur la jeune fille qu'elle était. Si ses rêves d'écriture, sa naïveté et la volonté de fuir un milieu familial étriqué ont contribué à la jeter dans les bras d'un pervers narcissique, écrivain installé de trente ans de plus qu'elle, elle ne s'explique pas comment elle a peu à peu laissé cet homme contrôler chaque geste de sa vie, la transformant en bête traquée.
Elle décrit sans fard ce qui lui arrivé : la terreur permanente, la violence des coups, l'isolement et la lente "domestication" psychologique. Manière d'extirper le mal, de l'avaler, de le digérer. Une période sombre de sa vie où elle n'écrit plus. Dépossédée d'elle-même. "Il y a tant de façons de mourir et il y a tant de manières d'avoir peur", assène-t-elle peu de temps avant cette nuit où son bourreau la roue de coups alors qu'elle tente de s'enfuir une énième fois. Une scène où la sensation de mort imminente est littéralement palpable. À quoi doit-elle son salut ? À quelque chose qui survit en elle, du fond des âges. Un instinct, une miraculeuse "envie de vivre" que cet homme n'a pas réussi à lui prendre.
Révéler les reliefs de ces vies volées
Chahinez Daoud et la cousine Emma n'auront pas autant de chance. Pour retracer leurs parcours, "tricoter une sororité", Nathacha Appanah se rapproche des familles, des amis, des voisins, des lieux, révélant les reliefs et les zones d'ombre de ces vies volées. Non, ces femmes n'étaient pas uniquement des victimes. Le récit devient alors "reconstruction", pour éviter qu'à l'effacement se substituent des versions altérées d'elles, déformées par les rumeurs, les clichés médiatiques, les non-dits familiaux sédimentés dans le temps.
En ce sens, l'autrice fait brillamment œuvre utile quand elle rassemble les témoignages des proches, retranscrit un quotidien, et ravive les identités de celles dont elle donne à entendre le rire, "un son de joie pure qui fait ensuite pleins de bulles en cascade." Elle s'efforce aussi de démontrer toute la complexité de situations qu'elle apparente à "un terrorisme intime", démontant cette idée répandue qu'il aurait simplement fallu partir. Et découvre au passage à quel point les défaillances de la justice, des services sociaux, de certains policiers ont pu accélérer ces tragédies. Toute une chaîne de responsabilités en somme qui oblige la société dans son ensemble. En France, 137 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint en 2024. Un chiffre qui malheureusement ne baisse pas.
"La Nuit au cœur" de Nathacha Appanah, éditions Gallimard, 283 pages, 21 euros
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Extrait : "Quand je me suis tenue en bas de l'escalier de la maison de mes parents avec cette valise chargée de quelques livres et de quelques vêtements et que ma mère est apparue en haut des marches et qu'elle a dit "C'est comme si tu rentrais d'un grand voyage", j'ai pensé que c'était le genre de voyage que je ne raconterais jamais. Je ne possède par ailleurs aucune photo de moi entre l'âge de 19 et de 25 ans. C'est l'angle mort de ma vie." (page 86)
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