"L'Ami Louis" de Sylvie Le Bihan : pour ne plus oublier Louis Guilloux, écrivain méconnu et ami d'Albert Camus
En cette rentrée littéraire, certains écrivent sur leur mère, sur leur famille, sur leurs amours. Sylvie Le Bihan préfère raconter la vie d'un auteur, Louis Guilloux, et son amitié avec Albert Camus, pour le faire revivre dans un délicat et nostalgique roman.
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Avec Les Sacrifiés en 2022 aux éditions Denoël, Sylvie Le Bihan nous embarquait sur les traces de Federico Garcia Lorca, de Picasso ou du torero Ignacio Sánchez Mejías. Une épopée douloureuse dans l'Espagne au temps de la montée des fascismes. Avec L'Ami Louis, elle nous entraîne vers la pluvieuse Bretagne et le Saint-Germain littéraire sur les traces de Louis Guilloux, écrivain aujourd'hui perdu de vue. Nous revenons avec elle dans les années 1950 et 1960 qui furent les Trente Glorieuses des idées, des débats et des intellectuels. L'Ami Louis est en librairie mercredi 20 août.
L'histoire : Ils sont trois dans le roman de Sylvie Le Bihan. Elisabeth, fille de son père, tyran domestique et charcutier qu'elle déteste, et d'une mère qui ignore l'affection. La jeune femme se réfugie dans la littérature pour rendre sa vie plus lumineuse. Elle écrit, elle fuit vers Londres. Avec Elisabeth, nous sommes dans les années 1970 et 1980. De passage à Paris, elle est embauchée par Bernard Pivot pour préparer une émission hommage à Albert Camus. C'est ainsi qu'Elisabeth part à la recherche de Louis Guilloux, "l'ami Louis", meilleur ami de Camus.
Deuxième personnage : Louis Guilloux, écrivain breton, parfois mésestimé, rebelle aux expositions médiatiques, mais que la jeune femme va découvrir. Guilloux, fils de cordonnier, antimilitariste, homme d'amitié et de valeurs morales, finira à bas bruit par se confier à la jeune Elisabeth. Camus les réunira. Un jour, Guilloux lui confesse : "Tu vois, Albert et moi, on ne s’est pas connus, on s’est reconnus. Il m’a sauvé… car il est arrivé dans ma vie à un moment où je croyais le bonheur impossible". Avec Louis, nous traversons le XXe siècle.
Le troisième par ordre d'apparition est Albert Camus. Enfant d'une famille modeste d'Algérie, écrivain, philosophe, militant, épris de justice, de révolte et d'humanisme, dans les années 1950 et 1960, Camus est la figure de l'intellectuel libre et engagé. Louis Guilloux et Sylvie Le Bihan nous font entrer discrètement dans l'intimité du prix Nobel disparu tragiquement.
Les retrouvailles d'un voisin et ami
Certaines lectures d'enfance ou d'adolescence changent la vie. Les années de jeunesse rodent toujours dans les rayons de nos bibliothèques. Cela ne se dément pas pour Louis Guilloux et Sylvie Le Bihan. L'autrice confie à Franceinfo Culture sa volonté de remettre par ce roman la lumière sur cet écrivain : "Guilloux était un voisin de ma famille paternelle et mon père est devenu un de ses amis puisqu'il écrivait des pièces de théâtre en marge de son métier de professeur et de diplomate. J'ai été élevée avec les livres de Guilloux, comme avec ceux de Maupassant, de Nerval (d'où mon prénom) et des grands écrivains allemands et russes."
Ces lectures peuvent éclairer sur son goût littéraire pour les drames de la vie. Surtout lorsqu'elle ajoute avec sincérité et humour : "C'est donc un apprentissage d'une lecture sombre et dramatique plutôt que celle d'une littérature jeunesse...".
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Elisabeth, partant à la recherche de Guilloux, devient une passeuse pour le lecteur. En côtoyant cet homme à la fois discret et profond, elle nous permet de découvrir un écrivain qui mérite mieux que son absence dans les canons de la renommée. Sylvie Le Bihan nous dit : "J'ai voulu rendre hommage à cet homme que j'ai croisé plusieurs fois, à ses engagements, à son parcours et à ses amis."
Prix Renaudot en 1949, Louis Guilloux n'est pas un inconnu. Le Sang noir, paru en 1935 chez Gallimard, fait de lui un écrivain de la douleur, un écrivain des petites gens, des oubliés, un écrivain de la colère sociale. A sa sortie dans les librairies, un bandeau entoure le roman : "La vérité de cette vie, ce n'est pas qu'on meurt, mais qu'on meurt volé."
L'amitié de deux enfants de la pauvreté
L'écrivain vivra entre sa fidèle Bretagne et Paris. Dans les plus belles pages du livre, dans les rues pluvieuses de Saint-Brieuc, ou dans le bureau de l'écrivain qui donne sur le cimetière, Sylvie Le Bihan trace, avec passion et finesse, le portrait de cet homme vouant sa vie à l'écriture. Ainsi, sa dernière épouse, Françoise, résume le bonhomme : "Mais je dois vous prévenir que Louis, si bienveillant et charmant qu'il puisse paraître et il l'est profondément, peut aussi se révéler très dur."
Et survient dans le récit Albert Camus. Sylvie Le Bihan raconte leur rencontre, ce coup de foudre amical. Les deux hommes se comprennent instinctivement. Leurs racines, leur fidélité à ce monde des déshérités, nobles et travailleurs, font de leurs discussions des échanges riches et amicaux. Louis Guilloux est, pour Camus, "le romancier de la pauvreté". Ne pas être des héritiers les rapproche, explique Sylvie Le Bihan. L'écrivaine invente cette forte formule : "Le fétichisme des racines".
Les hasards des familles, des secrets, l'écrivaine les sème le long des pages passionnantes où on espère en savoir plus sur l'ami Louis. Si on songe que ce roman aurait pu prendre la forme d'une biographie, tant le texte est documenté et nous entraîne dans le sillage de Guilloux et Camus, Sylvie Le Bihan nous confie que "pas une seconde" elle n'a "hésité à faire une biographie". "J'aime faire revivre les gens que j'aime et apporter ainsi un miroir avec une vie plus contemporaine, puisque l'on n'apprend rien des erreurs des vies passées..."
L'amitié, l'amour, la mort
Avec ses trois personnages et leur traversée de la vie, Sylvie Le Bihan nous raconte l'amitié, l'écriture, les racines, l'engagement et les amours cachés. Dans ce Paris de Saint-Germain-des-Prés, on vagabonde à la poursuite des Malraux, des Char, des Gallimard aux terrasses du Flore, puis, peu à peu, le roman s’obscurcit. Apparaît pour chacun un amour impossible ou vaincu, le souvenir d'une fugue en bord de mer, de lettres cachées dans un tiroir secret.
Avec L'Ami Louis, Sylvie Le Bihan construit la fresque des vies et leurs chaos, fait renaître un écrivain, au point pour le lecteur de vouloir se précipiter en librairie pour retrouver ses livres. Plongez donc dans Le Sang noir et dans Coco perdu de Louis Guilloux, et la rentrée littéraire sera réussie.
"L'Ami Louis" de Sylvie Le Bihan, aux éditions Denoël, 22 euros, 432 pages.
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Extrait : "En attendant le jour de mon rendez-vous avec Char, je faisais de longues balades dans cette Provence écrasée de chaleur. Au milieu des vignes et des oliviers, au détour de ruelles sinueuses aux pavés inégaux, à la fraîcheur des fontaines, sur les placettes ombragées, je marchais chaque jour dans les pas de Camus jusqu’au château du XVe siècle qui se trouvait à cinq cents mètres du village. Auprès de vieux habitants du bourg, j’appris que Camus avait acheté sa maison après avoir longtemps loué des mas dans le coin et que René Char l’avait aidé dans la recherche d’un nid d’où il pourrait embrasser les collines et la garrigue. Je n’avais aucun mal à imaginer le sentiment de paix qui avait dû l’envahir dans ce paysage car, sous ce ciel sans nuages, entre les chants de la terre d’été, le silence me parlait enfin.
Or le week-end apporta une nouvelle vague de vacanciers. Les cymbales des cigales et le bourdonnement des abeilles qui avaient caressé les herbes hautes et bercé mes flâneries s’étaient mués en une cacophonie de cris stridents et dissonants.
En ce matin d’août, je m’étais installée à la terrasse du café, sous la glycine qui courait le long de la façade jusqu’aux persiennes closes des chambres. Plongée dans la lecture de mes notes sur Camus, je ne levai pas le nez quand le serveur débarrassa mon assiette, où je n’avais laissé que quelques miettes du gibassié, la fougasse sucrée à l’huile d’olive que me préparait Paulette chaque matin."
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