"J'étais roi à Jérusalem" : la romancière Laura Ulonati raconte au son mélancolique du oud, une ville qui connut un temps la paix
Alors que le Proche-Orient vit une tragédie hors du commun, un livre en cette rentrée littéraire nous emporte dans un passé empli de musique, de saveurs, de conversations et de vie, dans les rues d’un Jérusalem disparu.
/2021/12/14/61b8b98a721f3_christophe-airaud.png)
/2025/09/01/2025-l-ulonati-2-68b56dafd28fc132040326.jpg)
Il fait bon vivre dans les 150 premières pages de J'étais roi à Jérusalem (Actes Sud), roman remarqué de Laura Ulonati dans cette rentrée littéraire. Comme il faisait bon vivre dans le Jérusalem de Wasif Jawhariyyeh. C'est une histoire vraie. Il fut un grand musicien, considéré à l'époque comme l'un des meilleurs joueurs d’oud. "Oud en arabe, cela signifie un bout de bois". Il est né en 1897, dans une famille orthodoxe installée dans la vieille ville alors sous domination ottomane.
Une naissance : "Pendant que Theodor Herzl préparait le premier congrès sioniste et mon père, ce dessert beaucoup trop sucré," lui fait dire Laura Ulonati. Le ton est donné comme en musique : l'histoire de cette parcelle du Moyen-Orient et la vie de Wasif vont se croiser durant tout le récit. L'homme est mort en 1972 à Beyrouth.
L'histoire. Il est musicien, buveur, coureur et croyant incertain, ainsi l'autrice dépeint Wasif, bouffeur de vie comme des maqqluba de sa mère, ces millefeuilles épicés de viande et d'aubergine. Il sillonne Jérusalem sous le pouvoir ottoman. Avec l'enfant Wasif, courant derrière son père et son âne, on parcourt cette ville fascinante au destin tragique. Une cité hantée par les religions mais où résonnera toujours dans ses pierres le mystère de la vie des hommes. Il fut donc un temps où chrétiens, musulmans et juifs faisaient ville ensemble. Avec Wasif adulte, on revit la destruction d'un paradis perdu. Avec Wasif, vieillard et exilé, on touche à la douleur d'un Jérusalem tragique.
Wasif Jawhariyyeh, un homme qui rit
Laura Ulonati est partie à la recherche d'un personnage de l'histoire de Jérusalem et de la musique. Wasif Jawhariyyeh a traversé le siècle. Il se déclare mauvais fils, mauvais mari, mauvais père et mauvais patriote. N'en jetez plus, mais "Moi je suis surtout un homme qui rit, un homme qui joue. Moi, Wasif, fils de Jiryis Jawhariyyeh, j'étais le roi à Jérusalem", déclame-t-il. Il est solaire, Wasif, ce prénom qui signifie celui qui adore, jusqu'au jour où l'Histoire le contraint à quitter sa ville bien aimée pour l'exil. Direction Beyrouth.
Laura Ulonati confie à Franceinfo Culture qu'elle se reconnaît dans cette tumultueuse existence : "Ce que j'aimais bien chez Wasif, c'est qu'on se ressemble. Voilà un homme du commun. Pas de la grande histoire. J'ai l'impression qu'on écrit souvent sur des gens très courageux, pas que Wasif soit un lâche. Mais, il est embarqué finalement dans la grande histoire." Et elle rajoute avec le sourire : "C'est un peu le type dont vous regrettez d'être amoureuse". C'est le dernier roi d'un dernier royaume disparu, le dernier témoin du vivre ensemble à Jérusalem.
/2025/09/01/010-arp18a15-243-2-68b576b979fec189907648.jpg)
Le roman se lit comme un manuel d’histoire sur cette époque parfois oubliée. Avant le mandat britannique, avant la création d'Israël, avant... Il y a toujours un avant à Jérusalem. Mais quand vient l'exil, la mélancolie d'une vie fracassée, elle compare son héros ordinaire à ce que chacun aujourd'hui peut ressentir face au conflit entre Israël et le Hamas. Elle nous dit : "Il réagit comme il peut. Et c'est ce que j'aime chez lui et je suis un peu aussi comme ça face aux événements qu'on traverse tous, on est un peu bringueballés. Il ne comprend pas pourquoi ce n'est plus possible de vivre la vie qu'il a toujours connue."
Écrire aujourd'hui
L'écriture de ce roman était en marche depuis quelques années mais les événements récents ont donné un éclairage nouveau à l'histoire de Jérusalem. Laura Ulonati revient sur ces drames et l'escalade de la violence : "Ecrire m'a permis de respirer et le refuge dans le passé permet face aux explications faciles et trop rapides, au campisme, d'amener un peu plus de complexité", nous dit-elle. Du passé ne faisons pas table rase. L'autrice, passionnée de la géographie de cette ville fascinante, l'a sillonnée.
A la question de comment faire écriture sur cette géographie tragique, elle rajoute : "C’est vrai qu’après l'attaque du 7 octobre 2023, et puis la mort de Dominique Bernard le 13 octobre (...) ça m'est apparu évident qu’à ce moment-là, Wasif peut représenter quelque chose d’universel, c'est un grand mot, universel mais le roman est une ouverture possible pour faire dialoguer peut-être un peu mieux toutes les facettes, tous les questionnements qu'on peut avoir sur ce sur ce Moyen-Orient".
Cuisine et musique
Pour raconter que l'on peut malgré tout s'asseoir à table ensemble, pour réunir les amis quelle que soit leur croyance, autour d'un plat préparé avec amour, Laura Ulonati écrit saveur et parfums de la cuisine avec une gourmandise rare. Une réparation aux drames et aux conflits. Elle écrit : "Kebbeh, moujadara, cuisses de poulet ; c'était un banquet digne d'un mariage auquel se joignaient d'autres chrétiens orthodoxes, mais aussi des familles musulmanes du quartier." Et elle nous explique : "Tous les gens qui ont l'expérience de l'exil, ont ce rapport au sacré autour de la cuisine. On trouve refuge dans ces petites choses, la cuisine de l'ordre du partage, le dernier refuge de l'âme".
Pour porter le deuil de ce paradis perdu, la musique du oud résonne tout le long des pages. Une mélodie amoureuse, solaire et lunaire. "L'oud peut dire toute la vie, les jours heureux ou douloureux, la mélancolie. (...) Mieux que des mots, le son du oud fait revivre la voix de Jérusalem, sa sensualité faite de hanches et de peaux", écrit Laura Ulonati. L'oud mêlant musique arabo-andalouse, airs venant de Syrie et des chants sépharades, représente une Babel musicale, conclut l'écrivaine. J'étais le roi à Jérusalem, à lire bercé par la musique de Wasif Jawhariyyeh.
Extrait :
« Jérusalem est comme un oignon. Le meilleur, c’est le cœur : les Juifs aussi sont des connaisseurs ! »
Mustafa al-Mitra éclate de rire, je suis content de moi. Gloire à Dieu qui m’envoie quelque chose pour plaisanter, il sait me consoler. Mustafa al-Mitra me tend le centre de l’un de ces saints légumes. Quelle récompense, ça c’est de l’amitié ! Couche après couche, il venait patiemment d’y arriver. Je le plonge dans l’assiette de houmous posée devant nous ; peut-on imaginer plus beau lien entre deux personnes ? Mes dents croquent dedans, je les ai toujours fortes pour mon âge. Ce n’est pas rien de pouvoir encore sourire, de pouvoir encore sentir le doux sous le piquant. Vieillir, c’est savoir se réjouir de ces choses quotidiennes, infimes, qui sont les plus importantes : être assis en face d’un ami, avaler tout rond son morceau favori. Mon père disait ainsi. En pensant à lui, ma gorge se serre. Ou peut-être est-ce à cause de ce jeune homme qui m’invective ? Je tousse un coup pour ne pas m’étrangler. »
"J'étais un roi à Jérusalem" de Laura Ulonati aux éditions Actes Sud 292 pages. 22 euros
/2025/09/01/9782330209261-couv-300-ok-68b5b78768ddb154534411.jpg)
À regarder
-
Grandir à tout prix
-
Cédric Jubillar : 30 ans de prison pour meurtre
-
Mal de dos : comment le soigner
-
Faire des têtes au foot, c'est stylé, mais...
-
En Chine, le plus haut pont du monde est devenu une attraction touristique
-
Quand t’es collé en forêt
-
À Marseille, la Bonne Mère retrouve sa couronne
-
Meurtre de Lola : ce qu’il s’est passé
-
Chili : un miracle dans le désert
-
Faux diplômes : tricher pour se faire embaucher
-
Vignes : des algues pour remplacer les pesticides
-
Du Maroc au Népal, en passant par Madagascar, la génération Z structure ses luttes sur Discord
-
À Londres, le café c'est dans les toilettes
-
De la propagande russe dans nos infos locales
-
Ordures ménagères : une taxe toujours plus chère
-
Temu, Shein... ça va coûter plus cher ?
-
C'est très compliqué dès qu'on parle de la France
-
Départ anticipé d’E. Macron : “La seule décision digne qui permet d’éviter 18 mois de crise”
-
Donald Trump : le Venezuela dans sa ligne de mire
-
Hommage à Samuel Paty : des minutes de silence "inutiles" pour sa sœur.
-
Avion low cost : payer pour incliner son siège
-
Otages français en Iran : l'appel de détresse de leurs familles
-
Cédric Jubillar : ses défenseurs passent à l'attaque
-
Salomé Zourabichvili : "La Russie utilise la Géorgie comme test"
-
Se faire recruter dans l’armée par tirage au sort ?
-
La détresse de Cécile Kohler et Jacques Paris, otages en Iran
-
Le fléau des courses-poursuites à Los Angeles
-
Se soigner risque-t-il de coûter plus cher ?
-
Bac sans calculette : les conseils de Lucas Maths
-
Menace des drones : la France déploie ses armes
Commentaires
Connectez-vous ou créez votre espace franceinfo pour commenter.
Déjà un compte ? Se connecter