Dans "Tressaillir", Maria Pourchet prend la tangente pour faire la peau à ses terreurs intimes
Après le succès de "Western" (prix de Flore 2023), la romancière revient, pour son huitième roman, avec un récit corrosif sur les ravages d’une séparation et le lent apprentissage de la liberté.
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Les histoires d'amour finissent mal, en général. Rien de nouveau sous le soleil, mais juste après, comment ça se passe ? Il y a quelques décennies de cela, Philippe Djian avait bien résumé l'affaire dans un texte destiné à Stephan Eicher. "On ne refait pas sa vie, on continue seulement." Oui, sauf quand on n'y arrive pas. C'est le sujet du dernier roman de Maria Pourchet, Tressaillir, paru chez Stock le 20 août, et dans lequel – après avoir diablement radiographié les soubresauts de la passion amoureuse et du désir dans Feu (Fayard) et Western (Stock, prix de Flore 2023) – elle trace ici l'itinéraire d'une femme en cavale, de sa chute abyssale post-rupture aux balbutiements d'une renaissance. Un livre en forme de thriller psychanalytique jouissif, qui figure déjà sur les premières listes des prix Goncourt et Femina.
En apparence, Michelle a tout pour être heureuse, une famille (un compagnon Sirius, une fille de 6 ans, Lou) et une passion, l'écriture de livres pour la jeunesse. Mais au bout de huit ans, rien ne va plus. Sa vie de couple tombe en lambeaux, un peu comme sa peau qu'un vilain eczéma déchire méthodiquement de manière de plus en plus voyante. Il faut dire qu'avec Sirius, l'amour a depuis longtemps laissé la place à l'expédition des affaires courantes. Alors un beau jour, sans crier gare, Michelle s'en va. Elle s'installe dans un hôtel tout proche, le temps, pense-t-elle, de trouver un appartement. Au lieu de quoi, tout s'effondre en elle. Prostrée pendant des semaines, la jeune quadra est incapable de faire face au sentiment d'arrachement qui la saisit, terrassée par la peur des lendemains. "Je me suis arrachée de l'essentiel. (...) Et la différence entre partir et s'arracher, c'est que l'un des verbes est une boucherie." Commence alors un long travail de réparation, aidée par Ariel, jeune psychiatre aux méthodes peu orthodoxes. Une plongée en elle-même qui va la conduire sur ses terres natales Vosgiennes, aux sources du mal, où l'attendent les secrets de traumatismes enfouis…
Récit gigogne
Il y a deux livres et peut-être même un troisième dans ce récit gigogne très personnel d'une femme qui tombe. Comme un monologue intérieur tissé de motifs autobiographiques évidents (la lettre M du prénom de l'héroïne, les origines vosgiennes, l'écriture, une séparation, un enfant…), même si l'autrice se défend d'avoir cédé à l'autofiction.
Dans le premier mouvement du livre, Maria Pourchet traite les conséquences de la séparation de Michelle, d'un souffle court, syncopé. Des passages semblables au cri lancinant d'un animal blessé, privé de son petit, saisi par l'effroi de son geste. Analogie habile pour exprimer le manque irrépressible de l'enfant, fait d'émotions primales admirablement décrites lors d'interminables moments de latences entre deux visites. "Soit dit à ceux qui n'ont jamais quitté le tableau, à ceux qui subissent et qui se demandent, à ceux qui resteront à tout prix dont je me dis à cet instant, le poing dans la bouche, qu'ils ont raison, c'est pas humain." Parce que rompre ne signifie pas seulement quitter un homme qu'on n'aime plus, c'est faire le deuil de sa famille, "ce continent premier". C'est subir aussi pour la plupart des femmes une forme de déclassement social. Sur tous ces éléments, la romancière pose un regard d'une lucidité absolue, bouleversant, à rebours de la fable trop facilement ressassée d'une liberté de mouvement retrouvée comme par magie.
Dissoudre la peur
Le deuxième mouvement quitte les rivages du chagrin pour plonger dans l'introspection et la reprise en main. Car avant de "refaire sa vie", autre poncif que Pourchet s'amuse à déchiqueter avec l'humour qu'on lui connaît, Michelle comprend vite qu'il va d'abord falloir dissoudre cette peur qui tétanise toutes ses tentatives, hors les murs du foyer. C'est la partie la plus dense du récit, passionnante séquence analytique au cours de laquelle Ariel, son psychiatre, l'aide à gravir la face nord de ses tourments, creusant dans les déterminismes familiaux les raisons pour lesquelles elle ne cesse de croire qu'elle ne sait rien faire "sans un homme". Au fur et à mesure, le chemin s'éclaircit, mais le mystère sur son incapacité à continuer à vivre par elle-même demeure.
Michelle devra retourner dans ses Vosges natales, à la faveur d'un atelier d'écriture au sein du lycée même qui l'a vue grandir, pour trouver ses ultimes réponses, fouillant les souvenirs d'une mémoire traumatique effacée par le temps. Moment où la peur cède enfin un peu de terrain à l'émancipation.
À l'issue de ce formidable récit d'une femme en quête d'autonomie, nous revient alors en mémoire ces mots de Nina Simone quand le documentariste Peter Rodis lui demandait en 1970 dans le film Nina : A historical perspective, quelle était sa définition de la liberté. "No fear!", répondit-elle sans ciller. Aucune peur !
"Tressaillir" de Maria Pourchet, éditions Stock, 325 pages, 21,90 euros.
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Extrait : "À la fin, c'est la chair qui décide. Le mois dernier, ça m'a pété dans les mains, ça leur a pété à la gueule et, selon le terme consacré, je suis partie. Partir, c'est pour la galerie. En vérité, on s'arrache. Je me suis arrachée de l'essentiel. De ma fille, de son père, corps irritant mais fraternel, âme distante mais sœur. Et la différence entre partir et s'arracher, c'est que l'un des verbes est une boucherie. Les derniers jours, on m'a dit d'accord, à la fin, retourne dans tes forêts. Casse-toi. T'as trois jours. Trois jours, c'était trois jours pour trouver une autre maison. J'ai dit impossible. L'argent, Paris, le temps, les forces, ma fille, trois jours, comment faire. On m'a répondu, ravagé et soutenu par une science immonde et séculaire dont toutes cherchent encore le nom : c'est le prix de la liberté." (page 27)
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