Camille Kouchner signe avec "Immortels" un premier roman hypersensible sur une amitié prodigieuse
Quatre ans après l’onde de choc provoquée par "La Familia grande" qui dénonçait l’inceste commis sur son frère jumeau par leur beau-père, le politologue Olivier Duhamel, Camille Kouchner revient avec une fiction sur l’identité à travers la relation fusionnelle et cabossée de deux gamins dans la France des années 1980.
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Il aura sans doute fallu ce temps, quatre ans après l’immense retentissement de son premier livre, La Familia grande, avant que Camille Kouchner ne puisse reprendre la plume pour écrire ce qu’il lui restait à dévoiler de ces territoires perdus que sont l’enfance et l’adolescence. En dire les ravissements et les blessures. Dans Immortels, paru au Seuil le 4 avril, elle poursuit l’exploration d’un passé pas si lointain avec un récit touchant sur ce que grandir signifie malgré la violence des adultes, si invisible soit-elle.
K. se retrouve à la cinquantaine coincée sur un lit d’hôpital, juste après l’ablation de son sein droit. Peu de temps avant, elle a appris la mort de Ben, le garçon avec qui elle a grandi dans une atmosphère libertaire, au milieu d’une bande de parents intellos et passablement détachés. Jamais là pour veiller sur eux, ou si mal.
Avec Ben, elle a tout expérimenté, tout partagé. Il était comme un frère, un double, un "garde du cœur" ainsi qu’aurait pu le décrire l’intrépide Françoise Sagan. Jusqu’à ce que la vie les sépare au tournant de l’adolescence. L’annonce de sa mort brutale déclenche en elle une sensation d’effondrement, accentuée par l’opération qu’elle vient de subir. Un état second qui va faire remonter à la surface les moments lumineux de cette fusion fraternelle et les zones d’ombre d’un petit théâtre familial aux conséquences délétères…
Reconstituer une identité cohérente
A travers l’histoire d’une femme confrontée au sentiment déstabilisant de la perte, Camille Kouchner décrit le processus mental de quelqu’un qui cherche à reconstituer son identité, et peut-être donner un sens à ce qui lui arrive. "Je tente de retarder l’heure du bilan. Si je ne regarde pas, il n’y a pas de cancer. Il n’y a pas d’amputation. (..) Sur la carte mentale que ma conscience dessine, il n’y a que des images de toi. (..) Me souvenir de moi, c’est me souvenir de toi. Seule je n’existe pas. Pour me faire advenir, il me faut te chercher en vie."
Il y a dans la description de l’enfance de K., où chaque souvenir se confond avec la présence de Ben, l’évocation d’une relation refuge, vierge de toute agression extérieure, où nul "besoin de parents pour se sentir aimés" parce que "grandir à deux donne confiance. On partage tout. Sans craindre le manque." La romancière fait revivre à merveille ces périodes ensoleillées où seuls comptent les jeux et le fait d’être ensemble. "Des jours entiers pendant lesquels on ne se lâchait pas. Des jours entiers où l’on était l’un à l’autre, l’un pour l’autre, et le reste du monde n’existait pas." Versant étincelant du roman, l’héroïne puisant en elle avec beaucoup d’émotion ce que Nathalie Sarraute décrivait dans Enfance comme "les petits bouts de quelque chose d’encore vivant."
Environnement familial dysfonctionnel
Mais à l’adolescence, la bulle de protection des deux gamins cède sous le poids d’un environnement familial dysfonctionnel. Comment survivre à son éducation quand elle est pervertie par l’idéologie ? Que faire des "projections parentales" et du manque d’amour ? C’est l’autre thème majeur du livre. Face à cela, Camille Kouchner démontre qu’aucune stratégie d’évitement n’est capable de résister bien longtemps. "Gavés de leurs victoires passées, sûrs des avancées de la société, nos parents nous ont pris à témoin de leur sexualité. Ils se sont vantés de leur liberté et ont refusé de voir en face la réalité qu’ils nous imposaient. La méthode était simple : taire la violence, l’appeler autrement. Ne rien entendre, ne rien voir. "Chut ! Tais-toi !" Ni la peine, ni le mal."
Cette équation parentale ressemble à s’y méprendre à celle croisée dans La Familia grande, notamment quand K. esquisse le portrait de sa mère. Féministe gauchiste, hyper insécurisante à force d’abolir les limites et dont l’emprise n’a d’égale que l’obstination à ne jamais considérer sa fille comme une enfant. Une façon pour la narratrice de remettre les pendules à l’heure d’une génération où celles qui ont porté très haut les combats menant à leur libération l’ont parfois fait payer très cher à leurs enfants. Tels Ben et K., qui se perdent à l’orée de l’âge adulte dans un tunnel d’addictions pour lui, à défaut de (re)père, tandis que la jeune K. ferraille contre la haine d’elle-même et les relations toxiques.
Ces deux-là finiront pourtant par se retrouver au bout d’un long chemin, juste avant la disparition de Ben, scellant une dernière fois leurs destins. "Comme un récit intérieur partagé, une histoire qu’on aura été les seuls à se raconter. Notre langue "maternelle", celle de la naissance, la première." A l’image d’un lien immortel, dont la mémoire, selon la définition, doit durer toujours.
"Immortels" de Camille Kouchner, éditions du Seuil, 224 pages, 20 euros. "Immortels" paraît également sous la forme d’un audiolivre le 4 avril sous le label Cascades, enregistré par la comédienne Isabelle Carré.
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Extrait : "Pour nous c’était simple. Nous n’avions qu’un corps, une même existence. La main de Ben était la mienne. Mon pied était le sien. Sa tristesse me dévastait et ma douleur le faisait pleurer. Sa joie me faisait éclater de rire et mon bonheur le surexcitait. À cet âge, c’est vivre seul qui nous paraissait triste. Quand les adultes s’interrogeaient sur l’absence de nos parents, nous, c’était plutôt sur les enfants uniques qu’on se posait des questions. Grandir à deux donne confiance. On partage tout, sans craindre le manque. Quand l’un défaille, l’autre prend le relais. Quand le second se perd, le premier l’aide à se retrouver. Seule désormais, j’en fais le décompte. À deux, fille et garçon, j’étais au complet." (p.66)
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