"Amiante" de Sébastien Dulude : Un beau récit d'initiation sensible et magnétique qui enchante les paradis perdus de l’enfance
Dans ce premier roman scintillant, l’éditeur et poète québécois Sébastien Dulude revisite certains épisodes de sa jeunesse à l’ombre des terrils canadiens de la ville minière de Thetford Mines dans une langue à la merveilleuse puissance poétique.
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Parmi les belles surprises de la rentrée littéraire, il en est certaines dont la petite musique si particulière commence à composer ce qui ressemble fort à l’un des tubes de l’automne. C’est le cas d’Amiante du québécois Sébastien Dulude paru au mois d’août aux éditions La Peuplade et déjà présent sur la liste de plusieurs prix littéraires.
L’histoire : Eté 1986, à Thetford Mines, ville phare de l’industrie de l’amiante québécoise. Steve, neuf ans et Charlélie dit "le petit Poulin", dix ans, enquillent les journées au rythme des virées en BMX au pied des cratères à ciel ouvert qui bordent la ville, toujours à l’affût de ce qui pourrait agrémenter leur nouvelle cabane, nichée au cœur de l’immense forêt voisine d’érables et de pins. Les deux gamins deviennent vite inséparables, conjurant ensemble de longues plages d’ennui et de déroute familiale. Petit bonhomme anxieux, terrorisé par un père violent, Steve trouve en Charlélie plus qu’un ami, un double, un refuge. C’est alors qu’un accident totalement inattendu va bouleverser leur vie déjouant la belle harmonie.
C’est un livre tout en contraste, à la fois enchanteur et vénéneux à l’image de la topographie des lieux. Une mine d’amiante à ciel ouvert, gigantesque béance empoisonnée au milieu d’une vaste forêt. Un fantastique terrain de jeux dont la présence menaçante instille dès le début le sentiment d’une tragédie imminente.
Souvenirs d’une gémellité perdue
Dans ce récit construit en deux parties autour d’un gouffre, Sébastien Dulude nous embarque sur les rives d’une amitié magnifique, contée à hauteur d’enfant, dans une succession d’instantanés inondés de lumière, comme sur des polaroïds retrouvés intacts au fond d’une boîte. Souvenirs d’une gémellité perdue dont les traces émotionnelles persistent au travers d’une langue qui déploie d’authentiques petits trésors pour décrire ce lien si particulier quand le cœur s’ouvre "comme une pivoine".
On suit les deux enfants au gré de leurs expéditions, de leurs joies minuscules et des premiers émois dans les temps morts d’après-midi brûlants de fin d’été, "ivres de rien", des "gommes à la cerise" plein les poches. "Nous pédalions guidés par tout et rien, mus par notre seule symbiose, un essaim de deux. (...) Notre proximité était d’une plénitude à la fois nonchalante et immense, à la manière dont se rencontrent les cachalots, les cumulus, les nébuleuses."
Une colère émancipatrice
Une complicité toujours décrite en mouvement, comme une échappée provisoire pour fuir une violence familiale et sociale, autre grand thème du livre. Fuir un père ombrageux, "camionneur de mines", broyé par son boulot et l’angoisse de le perdre. Un père à la virilité écrasante, colérique, incapable de communiquer avec son fils autrement que par des humiliations ou des coups. "Mon père n’était pas méchant, il était fâché. Je pouvais le comprendre. Mon père ne me détestait pas : il ne m’aimait pas spécialement. (...) Moi j’en avais peur."
Mais ce qui est très intéressant, c’est justement l’évolution de ce petit garçon qui va se déployer dans la deuxième partie du livre malgré les accidents de la vie. Si sa peine le cloue un temps au sol, elle se transforme vite en colère émancipatrice. Et c’est la grande force de ce texte que Sébastien Dulude dédie à son fils Julien. Une force qui réussit à transcender tous les chagrins, la solitude et le sentiment de perte. Car si "aucune phrase n’embrasse l’absence, ni l’instable", l’écriture demeure le réservoir de tous les possibles.
"Amiante" de Sébastien Dulude, éditions La Peuplade, 210 pages, 20 euros.
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Extrait : "L'été, dans le terrain vague entre le chemin du Lac Noir et la forêt, des bosquets remplis de cigales offraient de petites fleurs en grappes que nous nommions raisins. Des vesces. Nous n'étions pas certains qu'elles étaient comestibles mais nous les mâchions. Leur petite pulpe explosait dans nos bouches, nous faisait des museaux frais pendant quelques secondes, ivres de rien, puis nous les recrachions. Le sable et le petit gravier que nous foulions s'inséraient entre nos orteils lisses et nos sandales de cuir noisette, comme les sacs d'école." (p.25)
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