: Interview Au nom de tous les siens, Véronique Mougin honore les villageois de la Drôme qui ont aidé sa grand-mère à survivre pendant la Seconde Guerre mondiale
Marguerite était hongroise, réfugiée en France et juive. Dans un roman très autobiographique, sa petite-fille reconstitue un à un les maillons d'une chaîne de solidarité qui lui a permis d'échapper à la déportation, de vivre libre et d'avoir une descendance.
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À propos d'un village oublié, paru en mars 2025 chez Flammarion, est un livre qui fait du bien malgré son sujet terrifiant. L'histoire que Véronique Mougin nous conte est celle de sa grand-mère, Margit, rebaptisée Marguerite par les Français. Une femme originaire de Hongrie, juive, au nom imprononçable. Traquée par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, elle quitte Paris et s'enfuit en zone libre, dans la Drôme, pour se rapprocher de son mari, un Tchécoslovaque interné dans l'un des Groupes de travailleurs étrangers créés par Vichy. Elle survivra grâce à une multitude de petits gestes et d'actes discrètement héroïques des habitants d'un village.
C'est le quatrième livre de Véronique Mougin, autrefois journaliste (L'Express, Marianne, Marie-Claire, Elle, Femme Actuelle...), qui se consacre à l'écriture depuis une dizaine d'années. À 49 ans, elle signe ce roman touchant et tendre pour exprimer la gratitude de toute sa famille envers ces gens de toutes sortes "qui ont enrayé la machine à broyer ", appliquant sans le savoir ce précepte tiré du Talmud : "Qui sauve une vie sauve l'humanité toute entière".
Franceinfo culture : Est-ce un livre que vous portiez en vous depuis longtemps ?
Véronique Mougin : Ce qui est sûr, c'est que j'ai grandi avec cette histoire qui m'a été transmise par ma grand-mère. J'ai eu la chance de la connaître longtemps puisqu'elle est morte en 2012, à 103 ans. Son histoire m'a constituée. J'ai vu le monde à la lumière de ces gens solidaires, empathiques et altruistes dont elle me parlait. Je suis toujours surprise quand je rencontre la haine de l'autre ou l'indifférence. Pour moi, le monde est câblé comme ces gens qui ont aidé ma grand-mère.
Dans quelle intention avez-vous écrit ce livre ?
L'intention vient après. Dans une période sombre, de montée de l'antisémitisme, de catastrophe politique et écologique, j'ai d'abord eu envie de me baigner dans cette histoire de fraternité et d'entraide. Je pense qu'à un niveau personnel, cela me faisait du bien. C'est ce qui m'a donné l'impulsion en plus de la certitude d'avoir affaire à une bonne histoire. J'ai tenté de décrypter cette chaîne du sauvetage qui a mené ma grand-mère, comme 75% des juifs de France, à la survie, à la non-déportation. La France est l'un des pays occupés ayant le plus fort taux de survie. Le poète René Char disait : "Il faut souffler sur quelques lueurs pour faire de la bonne lumière". J'ai pensé qu'il y avait de bonnes lueurs sur lesquelles je pouvais souffler, ces personnes qui ont existé. Je me dis qu'en soufflant sur leur souvenir, on pourrait se réchauffer nous-mêmes.
"Je me dis qu'en soufflant sur leur souvenir, on pourrait se réchauffer nous-mêmes."
Véronique MouginÀ propos d'un village oublié
Avez-vous mené une enquête comme la journaliste que vous avez longtemps été ?
Cela m'intéresse effectivement de faire des recherches, de trouver les derniers témoins et les enfants de ceux qui ont nourri, aidé, apprécié mes grands-parents. Je suis allée trois fois dans la Drôme, trois ans d'affilée. J'avais aussi envie que, dans sa forme, le livre soit représentatif du sauvetage, que l'histoire soit racontée comme une chaîne. Chaque chapitre représente une personne qui a joué un rôle décisif dans la vie de Marguerite, par un acte héroïque ou simplement par sa gentillesse. Chaque chapitre incarne un acte de bonté.
Comment avez-vous retrouvé des témoins dans la Drôme ?
Ma famille n'a pas de maison ou d'attaches là-bas mais j'ai retrouvé un des fils des fermiers qui ont hébergé Marguerite pendant neuf mois et l'ont cachée alors qu'elle avait survécu à la rafle d'août 1942, qui a touché particulièrement les juifs étrangers en zone libre. J'ai revu les enfants de ses voisins, qui l'ont beaucoup aidée également, la petite-fille du maire qui l'avait logée... J'ai vu les lieux, l'ambiance et j'ai bien sûr fait des recherches bibliographiques et historiques.
Vous avez fait du porte-à-porte ?
Non, parce que les noms de ces gens se sont conservés dans ma famille. Il suffisait de trouver leurs descendants. Mes propres parents avaient déjà fait ce "pèlerinage". On pouvait aborder cette histoire de façon journalistique ou accomplir un travail d'historien. Mes outils à moi, c'est le livre et la fiction. Si l'on passe un peu à côté de l'exacte vérité, si l'on prend quelques libertés avec la réalité historique, on arrive à restituer le sens du sauvetage grâce aux personnages, en plongeant dans leurs émotions, leurs motivations. Je crois qu'un récit de fiction bien sourcé peut avoir une efficacité et qu'il a un vrai rôle à jouer dans la sauvegarde de ces histoires de sauvetage qui ont été nombreuses en France.
Pourquoi votre livre est-il présenté comme un roman sur sa couverture ?
Entre 1940 et 1945, ma grand-mère a été hébergée, cachée, soutenue, elle a donné naissance dans trois villages qui se tenaient dans un mouchoir de poche : Allex, Aouste et Blacons. Pour faciliter la lecture, j'ai transformé ces trois villages en un seul : Mirabelle. Je me suis vraiment attachée à présenter des actes de bonté bien réels comme les diamants qu'ils sont. Il y avait de la poussière dessus. On souffle un peu sur cette poussière, on raconte au présent, on réinvente peut-être quelques paysages ou des traits de caractère des personnages mais l'acte de bonté qui a été posé, lui, a réellement existé. Je le présente comme tel pour en montrer la puissance et la beauté.
"Je me suis vraiment attachée à présenter ces actes de bonté bien réels comme les diamants qu'ils sont."
Véronique Mouginà franceinfo Culture
Quelle est la part d'autobiographie dans ce livre ?
Elle est très importante. Les grandes étapes de l'histoire que je raconte sont vraies et l'écrasante majorité des personnages a réellement existé. Il y a vraiment eu un médecin qui a offert des consultations médicales à ma grand-mère en sachant qu'elle était cachée, pauvre et que son enfant était gravement malade. Il est venu à plusieurs reprises, sans jamais la faire payer, et il a sauvé son fils, mon oncle. Je n'ai pas réussi, malgré mes recherches, à l'identifier. Je sais qu'il y avait plusieurs médecins dans la zone qui aidaient les migrants et les résistants. Ce qui m'importait, c'était de faire briller cet acte de bonté de sauver gratuitement quelqu'un qui était en danger.
Comment ont réagi les personnes que vous avez rencontrées dans la Drôme ?
C'était un exercice de gratitude pour moi et des moments très forts. Notamment lorsque j'ai rencontré un des enfants des fermiers qui cachaient ma grand-mère. Il avait plus de 80 ans mais se souvenait très bien d'elle et de cette période-là. J'ai pu visiter la ferme, voir où mon oncle était caché pendant l'année 1942-1943. Il m'a raconté énormément de choses. Je suis heureuse, avec mon livre, de pouvoir leur rendre hommage. En revanche, quand j'ai proposé d'aller plus loin et de remplir un dossier pour que ces personnes aient, à titre posthume, le titre de "Juste parmi les nations" [décerné, au nom de l'État d'Israël, par le Mémorial de Yad Vashem], j'ai senti que cela coinçait. Il y a certainement une volonté de rester fidèle à la modestie de ces gens qui ont aidé de manière totalement désintéressée.
Est-ce une forme de pudeur ?
Derrière chaque sauvetage, il y a une nébuleuse du cœur. Pour ma grand-mère, outre les fermiers qui l'ont cachée, il y a la personne qui lui a fabriqué de faux papiers, une autre qui lui a donné des cartes d'alimentation, un laitier qui l'a emmenée à la maternité, le maire, etc. Sur les 38 personnes qui forment les 38 chapitres de mon livre, il n'y a qu'un couple de boulangers, qui a reçu la médaille de '"Juste parmi les nations". En France, il n'y a que 4 200 Justes reconnus.
Quel type de relation aviez-vous avec votre grand-mère, Margit alias Marguerite ? Une grande proximité ; elle me gardait souvent quand j'étais enfant. Elle parlait bien français mais avec un fort accent. J'ai glissé, entre les chapitres, des dialogues que j'ai imaginés avec elle, par pur plaisir de la ressusciter. Elle a connu mes enfants. Elle était très gaie. Elle a rencontré le pire comme le meilleur de l'humanité.
Cette forme de résistance est-elle suffisamment reconnue ?
Cette résistance civile était surtout une résistance de femmes. Leur rôle a été considérablement amoindri dans la mémoire de la Résistance parce que ce n'étaient pas des actions combattantes, comme celles qui ont été célébrées après la guerre. La mobilisation des femmes est sous-estimée notamment parce que leurs actions ont laissé peu de traces : on ouvre sa porte, on fait silence, on cache, on fournit de la nourriture, de l'affection... Ces petits gestes, à haut risque de disparition, je suis heureuse de pouvoir les sauver. Je fais le sauvetage du sauvetage.
"La mémoire de la Résistance, elle est aussi genrée."
Véronique Mouginà franceinfo Culture
Si je compare avec l'histoire de mon grand-père, dans cette même région, je constate qu'il n'y a pas de traces écrites pour elle mais beaucoup plus pour lui. Il a été prisonnier dans un camp de travail, a pris le maquis et a été résistant. On a ses ordres de mission, ses comptes rendus de combat, des médailles, des livres et des articles où il est cité. Il y a une énorme différence de traitement. La mémoire de la Résistance, elle est aussi genrée. Dans la Drôme, une évaluation a établi le nombre de femmes résistantes à 600. Seules 250 ont demandé la Carte de combattant volontaire de la Résistance. Très peu l'ont obtenue car leurs actions ne correspondaient pas à celles qui étaient prises en compte.
Y a-t-il eu des choses moins reluisantes dans l'histoire de vos grands-parents ?
J'ai fait le choix d'insister sur les actes altruistes qui les ont sauvés mais il y a par exemple des gens qui ont hébergé ma grand-mère en profitant certainement de sa situation pour lui louer des taudis, par pur intérêt. Une juive traquée et pauvre était la locataire idéale. J'ai aussi découvert qu'elle avait été dénoncée. Je ne sais pas si elle l'a su ou si elle n'a pas voulu le penser.
Que sont devenus vos grands-parents après la Libération ?
Après quelques mois dans la Drôme, ils sont revenus à Paris et se sont rendu compte qu'ils étaient les seuls survivants de leur famille. Ma grand-mère a perdu ses parents, trois frères et une sœur. Pendant des décennies, ils sont retournés passer leurs vacances d'été dans la Drôme auprès de ceux qui les avaient sauvés et de leurs héritiers. Attachés à jamais à cette région magnifique.
"À propos d'un village oublié" par Véronique Mougin (Éditions Flammarion, 20 euros)
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