Au Salon du livre de Francfort, la censure croissante dans l'édition aux États-Unis inquiète

Les initiatives pour interdire des livres jugés trop "progressistes" concernent de plus en plus de bibliothèques publiques et scolaires aux États-Unis, Floride en tête, et inquiètent les éditeurs qui étaient réunis à Francfort cette semaine.

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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Temps de lecture : 4min
Des exemplaires de livres censurés aux États-Unis, montrés le 24 mars 2023 au Capitole, à Washington (États-Unis). (KEVIN DIETSCH / GETTY IMAGES / AFP)
Des exemplaires de livres censurés aux États-Unis, montrés le 24 mars 2023 au Capitole, à Washington (États-Unis). (KEVIN DIETSCH / GETTY IMAGES / AFP)

Les tentatives de retrait des ouvrages abordant des thèmes liés à la communauté LGBTQ+ ou à la question raciale explosent dans les bibliothèques américaines, ont alerté éditeurs et défenseurs de la liberté d'expression cette semaine à la Foire du livre de Francfort, où le sujet a suscité de vifs débats.

"C'est une mission idéologique menée par des gens de droite", a déclaré à l'AFP Jon Yaged, directeur général de Macmillan Publishers, dont plusieurs livres ont été visés par ces campagnes. "C'est simplement la dernière manifestation en date de la haine qui s'exprime dans la culture", a-t-il ajouté à Francfort, où se déroulait le salon du 15 au 19 octobre.

Des interdictions en forte hausse

Menées par des groupes conservateurs proches de la droite dure, les initiatives pour interdire des livres jugés trop "progressistes" concernent ces dernières années de plus en plus de bibliothèques publiques et scolaires des États-Unis.

En 2020, un peu moins de 300 titres avaient fait l'objet de "contestations" – c'est-à-dire de demandes de restriction ou de retrait – dans tout le pays, selon l'American Library Association (ALA). Ce chiffre a explosé l'année suivante pour atteindre plus de 9 000 en 2023, indique l'ONG, dont le département en charge de la liberté intellectuelle suit ces signalements depuis 1990.

Le phénomène s'inscrit dans une tendance mondiale à la hausse des interdictions de livres et de la censure, observe l'organisation PEN International, évoquant une "augmentation spectaculaire" de ces pratiques, de l'Afghanistan à la Russie. Aux États-Unis, les groupes conservateurs et certains responsables politiques rejettent les accusations de censure, affirmant vouloir protéger les mineurs de contenus jugés inappropriés.

Racisme et genre particulièrement visés

Depuis plusieurs années, la droite américaine mène une bataille culturelle dans le domaine de l'éducation, soutenue par l'administration de Donald Trump. Selon l'ALA, les principales raisons invoquées en 2024 pour contester des livres étaient des accusations d'obscénité, la présence de personnages LGBTQ+ ou le débat de thèmes comme le racisme.

Parmi les ouvrages les plus visés figurent Le bleu ne va pas à tous les garçons de George M. Johnson, qui évoque son expérience de jeune homme noir et homosexuel aux États-Unis, L'œil le plus bleu de Toni Morrison, et Pas raccord de Stephen Chbosky.

Si les militants conservateurs et les élus locaux, notamment dans les États dirigés par les Républicains, exercent souvent des pressions sur les conseils scolaires pour faire interdire des livres, les tentatives de retrait prennent des formes de plus en plus variées, selon la branche américaine de PEN.

La Floride a recensé le plus grand nombre de livres scolaires "interdits" l'an dernier, selon PEN, sous l'impulsion du gouverneur républicain Ron DeSantis, qui a également interdit les temps d'échanges sur la sexualité et le genre en classe.

Pour le groupe conservateur Moms for Liberty, "contester la présence de matériaux obscènes dans les bibliothèques scolaires n'est pas de la censure" mais une "demande raisonnable pour éviter que les enfants soient exposés à des contenus inadaptés à leur âge", selon un communiqué cité par une filiale de CBS News.

Des éditeurs contre-attaquent

Des éditeurs tels que Macmillan, Penguin Random House ou HarperCollins, appuyés par des auteurs et associations, ont engagé des recours judiciaires, remportant plusieurs victoires locales.
Les auteurs constatent par ailleurs un climat de plus en plus hostile envers les œuvres représentant des groupes minoritaires, bien au-delà des États-Unis.

Pour l'écrivain américano-espagnol Lawrence Schimel, dont les livres sur des familles homoparentales ont vu leur diffusion entravée en Russie et en Hongrie, "la situation empire à l'échelle mondiale". "C'est essentiel que les enfants puissent continuer à lire ce type d'histoires : cela les aide à accepter la diversité des autres", confie-t-il à l'AFP.

Malgré les pressions, Jon Yaged reste combatif : "Tant qu'il y aura des livres, il y aura des gens pour essayer de les interdire. Et ils n'ont pas gagné tant que nous continuons à nous battre."

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