Interview "C'est un compagnon de vie qui offre des expériences aussi bien gustatives qu’humaines" : Maria Kockmann, sommelière et fondatrice du Paris Tea Festival

Après Bruxelles en Belgique en 2024, le Paris Tea Festival se tient, pour la première fois, en France, les 14 et 15 juin 2025.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 11min
Maria Kockmann au Festival de thé de Ya’an où elle prépare le thé façon Song, en mai 2023, à Boseong en Corée. (DR)
Maria Kockmann au Festival de thé de Ya’an où elle prépare le thé façon Song, en mai 2023, à Boseong en Corée. (DR)

Passionnée de thé, María Kockmann - entrepreneuse dans le thé et l’événementiel, consultante et membre du jury du concours Thés du Monde de l’Agence pour la Valorisation des Produits Agricoles - souhaite faire rayonner une culture du thé exigeante, respectueuse, consciente et joyeuse. Rencontre avec la fondatrice de la première édition du Paris Tea Festival qui se tient les 14 et 15 juin.

Franceinfo culture : votre première rencontre avec le thé est liée à votre grand-mère couturière que vous retrouviez après l'école pour partager avec elle une tasse dans son atelier à Montevidéo, en Uruguay.

María Kockmann : le thé a toujours fait partie de ma vie dès mon plus jeune âge, grâce justement à ma grand-mère d'origine anglaise qui avait toujours sa théière à ses côtés. Mais aussi parce que j'étais intolérante au lait et que je refusais, même toute petite au biberon, d'en boire, et que très vite on a cherché des alternatives comme le thé, l'infusion.

Venue en France pour vos études, vous fondez une agence de communication digitale. Le thé est encore un loisir jusqu'au jour où vous retournez en Amérique du Sud.

J’ai fait toute ma scolarité au lycée français - comme mes frères et mes cousins - car du côté de mon père c’étaient des basques, des immigrés du Gers, nombreux en Urugay et en Argentique. Après mon bac, je suis venue à Bordeaux - car l'académie dont dépendait le lycée français était celle de Poitiers - pour des études de communication.

À la fin des années 90, j'ai travaillé dans la communication digitale : c'était la période où le monde changeait avec les projets internet. Cela a duré 13 ans. Le thé a toujours été présent dans ma vie, comme un hobby, un jardin secret. Je faisais des formations, visitais des producteurs pendant mes vacances et pratiquais différents rituels.

Quand ce loisir est-il devenu votre métier ?

En 2010, à mes 40 ans, j'ai décidé de changer de métier et de retourner en Urugay pour ouvrir une maison de thé : je pense que j'étais visionnaire, à cette époque, il n'y avait pas encore cet engouement et cela n'a pas fonctionné. Mais j'ai essayé d'en tirer des leçons : je suis revenue en France en 2014 pour devenir consultante car j'avais des contacts dans le monde du thé, j'avais acquis une expérience et une expertise. Lors de mes missions, j'ai accompagné des maisons avec toujours cette volonté de les guider.

Les premières années, c'était comme un parcours de guérison et puis petit à petit, j'ai trouvé ma place jusqu'à aujourd'hui. J'ai toujours souhaité bâtir des communautés en mettant en lumière le travail des producteurs - il y a 10 ans, on ne parlait pas d'eux - ou des maisons - elles ne dévoilaient pas alors leurs sources : par exemple, j'ai fait venir des producteurs Taiwanais pour qu'ils racontent leur histoire au public.

Maria Kockmann, sommelière et fondatrice du Paris Tea Festival 2025, lors d'une dégustation pour l’Agence pour la Valorisation des Produits Agricoles (DR)
Maria Kockmann, sommelière et fondatrice du Paris Tea Festival 2025, lors d'une dégustation pour l’Agence pour la Valorisation des Produits Agricoles (DR)

En 2009, vous suivez une formation de sommelière du thé en Argentine, l'un des premiers pays à la proposer avec le Royaume-Uni.

Aujourd'hui, il y a d'avantage de formations mais à l'époque ce n'était pas aussi développé. L'Argentine produit du thé mais n'est pas un pays consommateur. J'ai aussi travaillé dans les plantations et cela a été mon premier contact avec la production qui m'a permis de réfléchir au modèle économique de ces pays-là. Cette formation offrait une expertise globale sur la plante, ses méthodes de transformation, son environnement, ses cultures jusqu'à sa consommation : comment on l'infuse, avec quoi on peut l'accorder. J'ai aussi suivi d'autres formations (dégustateur de thé chinois, par exemple) mais la meilleure formation reste la dégustation et bien sûr de se rendre sur place chez les producteurs pour mieux comprendre.

Votre première mission de sourcing en Afrique du Sud est "une révélation". Vous découvrez "un environnement incroyable et une plante qui est un véritable phénix". Vous dites "c’était un peu ma propre renaissance et je me suis identifiée à cela."

En 2015, j'ai été embauché par Cape and Cape, une maison de thé sud-africaine spécialisée dans le Rooibos et dans les thés africains. J'ai accompli plusieurs missions en Afrique du Sud et dans les pays africains : j'ai beaucoup appris, je suis montée en compétences via des formations professionnelles pour connaître la qualité du thé, les analyses phytosanitaires à faire, les démarches pour l'importation...

Cela a été une claque ce pays avec cet arbuste qui pousse dans une terre stérile : le Rooibos fait partie d'une végétation qui se régénère par le feu. C'est un peu un phénix, il renaît suite à des feux spontanés tous les 25/30 ans et c'est à partir des graines enfouies que la chaleur va provoquer la germination. J'ai découvert une plante extrêmement résiliente qui a su s'adapter aux écarts de température énormes.

Vous dites qu'il n'y a pas seulement les données techniques sur la qualité mais aussi le lien humain qui enrichit l'expérience.

Le thé est un moyen de rencontrer les gens mais aussi de se rencontrer soi. C'est mon histoire : le thé a toujours été un moment suspendu qui permet de se concentrer sur les textures des objets, la température, par exemple, pour taire ce mental et vivre pleinement l'instant présent.

Cette boisson a des liens avec les philosophies orientales - notamment le Tao, le Bouddhisme, le Confucianisme, le Shintoisme. Cela m'a permis de trouver en lui comme un médium que je me suis approprié, une voie d'introspection et de connaissance de soi. Il permet de créer ses moments où l'on regarde à l'intérieur et on cesse de chercher des réponses à l'extérieur. C'est un compagnon de vie qui offre des expériences aussi bien gustatives qu'humaines dans le partage.

Chaque thé a son origine et ses caractéristiques. Vous avez visité de nombreux pays, quels sont ceux où sa culture vous a le plus étonnée ?

Si on cultive du thé, on aime la nature, on a cette humilité de faire ce partenariat avec elle. Chaque voyage m'a permis d'aller plus loin dans cette connaissance et dans l'expérience : la Corée m'a beaucoup touchée avec son volet plus spirituel, tout comme le Népal.

Maria Kockmann avec des producteurs dans la plantation Lumbini Tea Valley, à Deniyaya, au sud du Sri Lanka, en septembre 2023. (DR)
Maria Kockmann avec des producteurs dans la plantation Lumbini Tea Valley, à Deniyaya, au sud du Sri Lanka, en septembre 2023. (DR)

Quels sont les thés avec lesquels vous avez le plus d'affinités ?

Cela dépend des saisons, de mon état de forme. Le thé dans la manière de le déguster en Occident est plus lié à une expérience gustative, on va le décrire avec des notes, une texture, on va faire une approche sensorielle, tandis qu'ailleurs on le décrit d'une autre manière en orientant la dégustation en lien avec le corps : comment je l'accueille, est-il bienfaisant, tonique, m'apporte-t-il une énergie ? Cette approche me parle beaucoup plus et quand je me demande quel thé je vais boire !

Pour une expérience sensorielle réussie outre les connaissances techniques (ustensiles, préparation, dosage...), quels conseils donneriez-vous aux amateurs qui cherchent à affiner leur goût ?

Il faut avoir quelques clés effectivement, comprendre l'importance de la qualité de l'eau, du lien avec la quantité de feuilles et le temps d'infusion. On peut s'amuser. J'aime faire le thé à la chinoise, avec le Gaiwan (Zhong), une tasse à couvercle qui est presque une mini-théière. Cet ustensile chinois traditionnel est composé d'une petite soucoupe qui symbolise la terre, d'un couvercle pour le ciel et d'un contenant exprimant le lien de l’homme avec la nature, c'est une très belle symbolique. Avec ce procédé, chaque tasse va raconter quelque chose de différent car le Gaiwan permet de concentrer les arômes puisqu'on met beaucoup de feuilles par rapport à la taille du contenant.

En 2019, vous vous installez à Bruxelles comme consultante sommelière pour une maison de thé renommée du nord de la France.

J’ai habité plus de 5 ans à Bruxelles où j'étais consultante pour des maisons de thé. Comme il n'y avait pas de communauté, j'ai fondé un petit groupe la Petite Confrérie du Thé qui a donné naissance au Tea Circle Brussels puis à la première édition du Brussels Tea Festival.

Vous êtes revenue à Paris en 2024 et vous avez fondé le Paris Tea Festival, dont la première édition se tient les 14 et 15 juin. Il est "né de l’envie de mettre en lumière les savoir-faire du thé de qualité, de rassembler les passionnés et les curieux et d’offrir un moment rare de découvertes, de partages et d’émotions".

Le samedi 14, c'est un hors les murs qui permet de mettre en scène Paris avec des Tea tours (pour voir le thé chinois, japonais, à la française...). Il y a aussi des visites de la plantation de thé, la seule à Paris, au bois de Boulogne ainsi que des dégustations dans différents lieux.

Le dimanche 15, à la Maison Internationale (la Cité universitaire de Paris dans le 14e), c'est l'exposition principale avec 55 exposants de différents pays (Corée, Laos, Vietnam, Chine... ) et aussi des céramistes, des expériences immersives, des tables rondes et des conférences.

Affiche du Paris Tea Festival 2025 (DR)
Affiche du Paris Tea Festival 2025 (DR)

Vous êtes la fondatrice d’Alma Events et d’Alma Tea Gallery, un nouveau concept d’espace de thé, le premier à Paris et en France.

J'inaugurerai l’Alma Tea Gallery en septembre prochain. Ce n’est pas un comptoir des thés car je ne voulais pas faire une ième maison de thés, il y a déjà beaucoup de très beaux projets aujourd'hui. Ce sera une galerie pour mettre en lumière le thé dans toute sa diversité : producteurs, maisons, tout ce qui gravite autour (encens, objets, bois, étoffes, céramistes...) et les pratiques avec lesquelles il entre en résonance (calligraphie, écriture). Dans cet espace où l'on pourra vivre des expériences, il y aura aussi un Sabō, un petit salon de thé japonais où je servirai du matcha, que l'on pourra aussi emporter.

Alma Events concerne le festival et les Tea tours pour découvrir cet écosystème et une mise en lumière de ce qu'il y a à Paris. Ici c'est incroyable, toutes les expériences sont possibles : pour moi c'est vraiment la capitale du thé et on ne trouve pas cela partout !

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