John Singer Sargent au musée d'Orsay : le retour d'un peintre prodige qui va une nouvelle fois éblouir Paris
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À l'occasion du centenaire de sa mort, cette exposition revient sur les années parisiennes du peintre américain. De son arrivée dans la capitale à son départ pour Londres après un scandale retentissant, portrait d'un portraitiste qui gagne à être connu.
L'exposition John Singer Sargent, éblouir Paris proposée jusqu'au 11 janvier 2026 par le musée d'Orsay aurait pu s'appeler "Le retour d'un Américain à Paris". Co-produite par le Metropolitan Museum of Art (MET) de New York, où elle a été présentée en avril, elle aspire à faire découvrir ou redécouvrir l'œuvre de John Singer Sargent. Cet artiste, aujourd'hui pratiquement oublié en France, est célébré en Angleterre et aux États-Unis comme l'un des plus grands peintres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Près d'un demi-million de visiteurs se sont pressés au MET pour admirer ses tableaux.
"C'est la première fois qu'une grande exposition monographique est dédiée à Sargent en France, se félicite Paul Perrin, l'un des commissaires. Elle réunit une grande partie de ses chefs-d'œuvre." Soit près de 90 toiles au total, dont la plupart n'étaient jamais revenues en France. Conservateur en chef au musée d'Orsay, Paul Perrin nous met en garde : "La peinture de Sargent n'est pas facilement étiquetable. Ce n'est pas tout à fait l'impressionnisme, pas tout à fait l'académisme. C'est un grand portraitiste mais pas seulement. On le voit dans l'exposition avec ses paysages et ses scènes de voyage."
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Chose surprenante, Sargent a très peu représenté la ville de Paris. En cherchant bien sur les cimaises, nous n'avons trouvé que ces deux toiles : Dans le jardin du Luxembourg, un tableau de style très impressionniste daté de 1879, pas forcément caractéristique de sa manière (voir la photo en tête de cet article) et Répétition de l'orchestre Pasdeloup au Cirque d'hiver (vers 1879-1880).
"L'exposition brosse plutôt le portrait d'une capitale à travers les gens qui font la vie artistique dans cette période-là, le portrait d'une génération d'écrivains, de critiques d'art, d'artistes, d'étudiants... ", décode Paul Perrin, en s'arrêtant devant le Portrait de Vernon Lee, écrivaine et amie d'enfance de Sargent.
Un peintre voyageur
Il est le fils d'un chirurgien. Ses parents, des Américains aisés de la côte Est, ont quitté Philadelphie après la mort de leur premier enfant pour s'installer en Europe en 1854. Leur fils naît deux ans plus tard en Italie, dans une ville entièrement dédiée aux arts, Florence. "C'est quelqu'un qui est pétri de culture et se réfère toujours aux maîtres anciens. Il voyage avec ses parents pendant toute son enfance et fait des copies dans les musées", raconte Caroline Corbeau-Parsons, co-commissaire de l'exposition. "C'est un artiste cosmopolite qui vivra entre plusieurs continents", renchérit Paul Perrin.
Si ses portraits de l'aristocratie anglaise l'ont rendu célèbre, il a aussi peint en Afrique du Nord, à Capri ou encore en Bretagne, comme le révèle l'une des plus belles salles de l'exposition. Elle abrite une perle venue des États-Unis : la toile Fumée d'ambre gris (photo ci-dessous) avec ses effets de blanc sur blanc.
En mai 1874, les parents de John Sargent s'installent à Paris pour qu'il poursuive sa formation à la peinture. Le jeune homme, âgé de 18 ans, intègre alors l'atelier d'un portraitiste très apprécié dans la haute société : Carolus-Duran. En parallèle, l'apprenti peintre passe et réussit à trois reprises le concours des Beaux-Arts, se hissant même à la deuxième place en 1877. Sargent se lie d'amitié avec plusieurs artistes, notamment Claude Monet. Il est brillant et ne tarde pas à "éblouir Paris".
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"Toutes les œuvres présentées dans l'exposition ont été exécutées en l'espace de dix ans, avant ses 30 ans", s'émerveille Caroline Corbeau-Parsons, conservatrice au musée d'Orsay. "Son style arrive à maturité dès sa sortie de l'atelier de Carolus-Duran, dès 1867. C'est tout à fait phénoménal, chez un artiste de son âge, de voir une technique déjà assise et aussi tôt." Sargent envoie des toiles au Salon, notamment un Portrait de M. Carolus-Duran, son mentor. "Il est remarqué d'entrée de jeu pour ses portraits mais aussi pour des scènes de genre comme En route pour la pêche", appuie-t-elle.
Qu'est-ce qui caractérise sa touche ? "Elle est fluide, assez grasse et il emploie des pinceaux plutôt longs, répond Paul Perrin. Il y a une souplesse et du brio dans le maniement du pinceau et un amour de la matière." Il précise que certains tableaux sont "extrêmement esquissés" comme le superbe Docteur Pozzi dans son intérieur, alors même que Sargent travaille sur des formats plus grands que les peintres impressionnistes. "Il a une liberté de touche incroyable. Là où il ne va pas aussi loin que les impressionnistes, parce que cela ne l'intéresse pas, c'est dans la lumière, nuance-t-il. C'est un artiste attaché à l'ombre, alors que chez les impressionnistes, tout est lumière. La filiation artistique de Sargent fait qu'il aime jouer avec l'ombre, avec de belles nuances et des jeux de transparence. Il n'est pas pour autant moins novateur que les impressionnistes, il s'intéresse à autre chose."
Un peintre surdoué et novateur
Les dernières salles de l'exposition sont proprement éblouissantes avec des toiles de très grand format illustrant à la perfection la virtuosité et le talent prodigieux du jeune peintre."Pendant cette période parisienne, il essaie des choses tout à fait nouvelles, décrypte Caroline Corbeau-Parsons. Ses portraits repoussent toutes les conventions de l'époque. Il joue notamment sur les échelles. Il a aussi un goût pour le bizarre et une esthétique très étrange. Sa technique lui permet de cerner la psychologie de ses modèles."
C'est frappant lorsqu'on observe les portraits réunis de la famille d'Édouard Pailleron, un dramaturge en vogue à l'époque. Au lieu de représenter cet homme dans un costume noir et strict, comme c'était l'usage à l'époque, John Sargent donne à son modèle un côté bohème et une pose plus libre. Près de Madame Pailleron, représentée en pied, l'exposition présente un très grand tableau, intriguant, de leurs deux enfants. La jeune Marie-Louise n'a visiblement pas apprécié les multiples séances de pose imposées par le maître et nous regarde d'un air peu aimable. La toile dégage un sentiment de mal-être, loin de l'innocence et de la candeur de l'enfance. Avec ses effets d'ombre et de lumière et sa composition originale, Les Filles d'Edward Darley Boit, un autre grand tableau daté de 1882, inspiré des Ménines de Vélasquez, donne la même impression d'étrangeté vaguement angoissante. Pour adopter une référence contemporaine, disons que ces portraits auraient pu servir de modèles pour les jumelles du film de Stanley Kubrick, Shining.
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L'écrivain Henry James écrit en 1887 que la peinture de Sargent "offre le spectacle étrangement inquiétant d'un talent qui, au seuil de sa carrière, n'a déjà plus rien à apprendre". Il y voit "la fraîcheur de la jeunesse combinée avec l'expérience artistique, réellement sentie et assimilée des générations [qui l'ont précédé]". Ce savoir-faire précoce lui vaut de multiples commandes venues de riches expatriés américains et d'aristocrates français. L'Américain pénètre dans les cercles mondains, littéraires et artistiques du siècle finissant.
Ses toiles nécessitent de longs mois de préparation et de travail. On le réalise avec Madame X, son tableau le plus célèbre, peint en 1883 et 1884. "Notre First Lady à nous ", sourit Caroline Corbeau. "Il s'agit de Virginie Gautreau, la femme d'un banquier très en vue, explique en anglais Stephanie L. Herdrich, la conservatrice des peintures américaines du MET, une femme d'origine américaine qui avait une réputation à Paris. Sargent la trouvait fascinante et lui a demandé de poser pour lui". Le peintre veut réaliser un tableau qui comptera, une icône de la Parisienne moderne. "Ils ont beaucoup collaboré pour ce portrait, explique l'experte. Ils se sont vus de nombreuses fois. Elle a validé tous ses choix et quand le portrait a été terminé, elle a écrit à l'un de ses amis que Sargent avait produit un chef-d'œuvre."
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L'exposition présente de multiples esquisses réalisées par le peintre pour ce tableau. "Il était obsédé par l'idée de capturer sa beauté et il vivra même chez elle pendant six à huit semaines pour finir ce portrait", raconte la spécialiste du MET. Présenté au Salon de 1884, ce portrait en pied a provoqué un énorme scandale. "Le jour du vernissage, les gens étaient groupés devant cette toile, très choqués. Ils critiquaient moins le peintre que le modèle, disant qu'elle avait l'air d'une morte avec sa peau trop blanche", ajoute-t-elle.
On raconte que la mère de Virginie Gautreau frappa en personne à la porte du peintre pour lui demander de retirer du Salon ce portrait qui risquait de ruiner la réputation de sa fille. Sargent se défendit en expliquant qu'il l'avait peinte exactement comme elle était habillée. Dans la version d'origine, l'une des bretelles de Mme X descendait sur son épaule. Ce petit détail devint le nœud du scandale. "On la trouvait provocante et on se mit à questionner sa moralité", décrypte l'experte.
Sargent refusa de décrocher son grand portrait mais à la fin du Salon, il le ramena dans son atelier et repeint la bretelle à sa juste place, sur l'épaule de son modèle. Certains y virent une capitulation mais le peintre resta très fier de ce portrait qu'il garda auprès de lui toute sa vie, le transportant d'atelier en atelier, avant de le vendre au MET en 1916, un an après la mort de Virginie Gautreau. En le remettant au grand musée new-yorkais, il déclara : "Je suppose que c'est la plus belle chose que j'ai jamais faite".
Le départ à Londres
On a souvent dit que ce scandale avait poussé Sargent à quitter Paris pour s'installer à Londres en juin 1884. Les commissaires de l'exposition nuancent cette théorie assurant qu'il avait ce projet avant même d'avoir terminé le portrait de Mme X. Encouragé par Henry James, il pensait que la capitale anglaise lui offrirait de nombreuses opportunités, ce qui se révéla exact.
Ses liens avec les artistes français, notamment Claude Monet, ont continué bien après qu'il a quitté Paris. Jusqu'au jour de son décès, le 14 avril 1825, l'Américain resta profondément attaché à la France. Un geste symbolique en témoigne. "On doit à Monet et à Sargent l'achat du tableau Olympia pour les collections publiques françaises. C'est eux qui ont organisé la collecte de fonds qui a permis de faire entrer cette toile après la mort de Manet, dans les collections publiques", conclut Paul Perrin. Un tableau qui avait lui aussi fait scandale à Paris.
"John Singer Sargent, éblouir Paris", du 23 septembre 2025 au 11 janvier 2026, au musée d'Orsay
Gratuit le 1er dimanche de chaque mois sur réservation obligatoire
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