"La Disparition de Josef Mengele" : une adaptation outrancière du roman d'Olivier Guez par Kirill Serebrennikov
Le nouveau long-métrage du réalisateur russe raconte les années de cavale du médecin et officier nazi Josef Mengele, surnommé "l'ange de la mort" ou "le boucher d'Auschwitz".
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Après une flamboyante adaptation en 2024 de Limonov d'Emmanuel Carrère, Kirill Serebrennikov porte à l'écran le roman d'Olivier Guez, prix Renaudot 2017. La Disparition de Josef Mengele, présenté dans la section Cannes Première au Festival de Cannes, sort dans les salles mercredi 22 octobre.
En 1949, l'officier et médecin nazi Josef Mengele fuit l'Allemagne. C'est le début d'une existence clandestine, de l'Argentine de Peron, au Brésil, en passant par le Paraguay. Cette cavale va durer jusqu'à sa mort, le 7 février 1979.
Josef Mengele procédait à la sélection des déportés à leur arrivée dans le camp d'extermination, entre ceux jugés "aptes au travail" et les autres, envoyés à la mort. Surnommé "le boucher d'Auschwitz", le médecin pratiquait des expériences médicales sur les détenus, notamment sur des jumeaux, des femmes enceintes ou encore des personnes handicapées. Né dans une riche famille bavaroise, acquise aux idées nazies, Josef Mengele, persuadé jusqu'au bout d'avoir raison, s'est débrouillé pour ne jamais avoir à répondre de ses actes devant la justice, pour laquelle il ne cachait pas son mépris.
Le film, comme le livre, s'intéresse aux dernières années de la vie du bourreau, au temps de la clandestinité et de la cavale. Sa construction est articulée autour de la visite, en 1977, de Rolf Mengele à son père. Alors que l'ancien officier nazi vit terré dans une maison sordide de la banlieue de Sao Paulo, le fils veut entendre de la bouche de son père s'il est coupable des crimes qui lui sont reprochés.
Fidèle au roman d'Olivier Guez, le film donne à voir la vie quotidienne d'un homme qui change d'identité au gré de sa cavale, rongé par la peur de se faire rattraper par son passé, terrifié à l'idée d'être enlevé et assassiné par le Mossad. Un homme brutal, raciste, égocentrique, cynique, mais surtout médiocre et pathétique, qui a profité du régime nazi, de son idéologie hygiéniste et raciste, pour exercer ses recherches sans aucune limite morale ou humaine. Un homme qui se présente en victime et n'exprime jamais le moindre regret, jamais le moindre remord.
Super 8 à Auschwitz
En arrière-plan, les complicités de la famille, des amis, la persistance du nazisme bien après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'impunité dont une grande partie de ses acteurs a bénéficié, et leur fantasme de l'avènement d'un IVe Reich.
Le présent de Mengele est filmé dans un noir et blanc, une lumière en clair-obscur qui appuie la dimension abjecte et misérable du personnage, brillamment incarné par August Diehl. Le réalisateur a en revanche choisi de restituer la vie de l'officier allemand dans le camp d'Auschwitz dans un épisode en couleurs, dans un format 8 mm, façon film de vacances. On y voit Mengele partageant son temps entre ses activités de tortionnaire et ses moments de "loisir", comme les promenades bucoliques dans un champ de fleurs jaunes, avec sa jeune épouse, maillot rouge sang, au bord de la rivière.
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En contraste avec le noir et blanc, la couleur nous projette instantanément dans une forme plus concrète de la réalité : les séances humiliantes infligées aux détenus, dont les corps sont filmés dans une lumière crue, suivies par la dissection, illustrent sans filtre le travail du "boucher" dans les laboratoires du camp. Par son contenu, inévitablement insoutenable, mais aussi par sa forme, esthétisante, cette séquence qui nous plonge dans le camp pose question, et suscite le malaise.
"La banalité du mal"
Faut-il représenter l'holocauste ? Et si on décide de le faire, comment le faire ? Ces questions sur la représentation de la Shoah font depuis longtemps débat. Dans La Zone d'intérêt, Grand Prix à Cannes en 2023, Jonathan Glazer, faisait le choix de poster sa caméra dans la coquette maison du commandant Hoss et de sa famille, indifférents à ce qui se déroule juste derrière le mur de leur jardin, qui jouxte le camp. "Dans ce film, toute l'horreur est montrée sans la montrer, ce qui est plutôt intelligent", analysait dans un entretien avec franceinfo Culture Tal Bruttmann, historien de la Shoah, au moment de la sortie de La Zone d'intérêt. "L'idée qu'il faut voir est une absurdité qui relève plus de la curiosité ou d'un besoin à assouvir, partagé par un grand nombre, de voir les choses jusqu'au bout", ajoutait l'historien.
Kirill Serebrennikov a décidé de faire autrement, et il le revendique. "C'était effectivement un vrai problème, même si je savais depuis le début qu'il fallait absolument que je le montre, sinon on risquait de justifier Mengele", a déclaré à l'AFP le cinéaste russe à l'occasion de la projection de son film au Festival de Cannes. "On peut tout", avait-il ajouté, convaincu que "l'idée de ne pas parler pourrait mener à l'oubli."
Mais à vouloir trop en faire, Kirill Serebrennikov, avec cette mise en scène ultra-démonstrative, alourdit le propos, jusqu'à la caricature, et fait perdre au passage, voire inverse le message fort délivré par le roman d'Olivier Guez, qui, d'une écriture sèche et incisive, démystifiait l'idée du monstre et mettait en lumière, sans chercher à en faire un spectacle, ce qu'Hannah Arendt a appelé, après avoir suivi le procès d'Eichmann en 1962, "la banalité du mal".
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La fiche
Titre original : Das Verschwinden des Josef Mengele
Genre : Biopic, Drame, Historique
Réalisation : Kirill Serebrennikov
Avec : August Diehl, Friederike Becht, Dana Herfurth
Pays : Allemagne, France
Durée : 2h16
Sortie : 22 octobre 2025
Distributeur : Bac Films
Synopsis : Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Josef Mengele, le médecin nazi du camp d'Auschwitz, parvient à s'enfuir en Amérique du Sud pour refaire sa vie dans la clandestinité. De Buenos Aires au Paraguay, en passant par le Brésil, celui qu'on a baptisé "l'ange de la mort" va organiser sa méthodique disparition pour échapper à toute forme de procès.
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