"L'Étranger" : "Je savais que j'allais me confronter à l'imaginaire de beaucoup de lecteurs", reconnaît François Ozon, qui adapte le classique d'Albert Camus au cinéma

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Article rédigé par France 2 - Édité par l'agence 6Medias
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Le cinéaste François Ozon et Benjamin Voisin reviennent dans le "20 Heures" du jeudi 23 octobre sur l'adaptation de "L'Étranger" d'Albert Camus, le nouveau film du cinéaste. Un pari osé, en noir et blanc, à découvrir au cinéma le 29 octobre.

Le réalisateur François Ozon s'attaque pour son nouveau film à l'adaptation de l'un des plus grands romans français, L'Étranger, d'Albert Camus. Un long-métrage surprenant dans la filmographie du cinéaste, incarné par Benjamin Voisin, star de son film Été 85 en 2020, qu'il a choisi pour camper le héros, Meursault. Invités du "20 Heures", jeudi 23 octobre, le réalisateur et son comédien présentent le film, sélectionné en compétition officielle de la Mostra de Venise 2025, et qui sortira les salles obscures mercredi prochain.

Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.


Jean-Baptiste Marteau : C'est l'un des chefs-d'œuvre les plus connus de la littérature française, un roman qui vaudra en partie, avec La Peste, à son auteur, Albert Camus, le prix Nobel de littérature, en 1957. L'Étranger est aujourd'hui adapté sur grand écran par l'un des réalisateurs les plus prolifiques du cinéma français, qui aime toujours autant surprendre que déranger. Bonsoir François Ozon. Et bonsoir Benjamin Voisin, c'est vous qui interprétez ce rôle complexe de Meursault dans L'Étranger qui sort donc mercredi prochain en salle. François Ozon, adapter un chef-d'œuvre, un tel monument de la littérature française. Il faut être un petit peu fou pour le faire, voire complètement fou, non ?

Un peu inconscient, c'est vrai. Mais ce n'était pas le projet de départ. Au début, on devait faire un film avec Benjamin sur un personnage d'aujourd'hui. Une histoire contemporaine sur un jeune homme face à l'absurdité du monde d'aujourd'hui, qui est particulièrement absurde. Et en fait, je n'ai pas réussi à monter le projet et j'ai relu L'Étranger que j'avais lu adolescent, comme tout le monde à l'école, pour retrouver ce personnage de Meursault et voir si je pouvais m'en inspirer. En le relisant, je me suis rendu compte à quel point le livre était toujours aussi fort, moderne et résonnait avec aujourd'hui, donc nous nous sommes lancés dans l'adaptation.

C'est le troisième roman français le plus lu au monde. Ça aussi, ça met un petit peu la pression ?

Oui, parce qu'en fait, il y a autant de lecteurs que de metteurs en scène potentiels. Quand on lit un livre, on le met en scène dans sa tête. Donc je savais que j'allais me confronter à l'imaginaire de beaucoup de lecteurs.

La scène de la plage, forcément, tout le monde l'a lue et l'a imaginée à sa manière. C'était forcément avec Benjamin, c'était lui qui devait interpréter ce rôle de Meursault ?

Avec Benjamin, nous avions déjà travaillé ensemble, et c'est vrai que c'était un rôle tellement à l'opposé de ce que nous avions fait que c'était excitant de se retrouver cinq ans après Été 85.

Benjamin Voisin, c'est donc votre deuxième collaboration avec François Ozon, après Été 85. En quoi ce héros, Meursault, est à l'opposé total de ce que vous êtes ? Et en quoi il vous ressemble ?

Benjamin Voisin : Déjà, dans Été 85, il y avait un truc sympa, c'est qu'il me demandait de pousser les curseurs de ma personnalité, qui est un peu extravertie, expansive, légère. Là, on est à l'opposé. Là, il me demande au contraire de me renfermer, d'essayer de trouver la dépression qui est en moi.

Parce qu'il est incroyablement complexe, ce Meursault. On a l'impression, tout le long du livre et du film, qu'il ne ressent rien, à aucun moment. C'est extrêmement dur à interpréter pour un acteur ?

Est-ce que vous ressentez cette sensation, quand vous vous dites : "Il y aura un moment où je vais mourir" ? Vous voyez cette sensation qui est atroce ? L'idée, c'est de l'épouser. On rentre dans un truc philosophique où je reste pendant 4 mois avec moi-même à m'assombrir et François me dit : "Je ne sais pas ce que tu fais dans ta chambre d'hôtel. Tu ne vas pas bien du tout, très malheureux, c'est parfait".

Donc vous avez joué le dépressif ?

Je n’allais pas bien pendant quatre mois, j'étais très malheureux, et lui était très heureux (rires).

François Ozon : Il n'est pas malheureux Meursault, il est juste en dehors du monde, il observe le monde autour de lui et puis il y a quand même une scène très importante à la fin où le personnage explose et naît au monde, comme le décrit Camus.

Justement, ce qui est assez fou, c'est que François Ozon, vous adaptez de manière très fidèle ce roman d'Albert Camus, sauf peut-être évidemment la phrase la plus connue de la littérature française qui commence le livre : "Aujourd'hui maman est morte, ou peut-être hier, je ne sais pas". Pourquoi elle ne figure pas dans le film, cette phrase ?

Elle est dans le film, puisqu'à un moment, Meursault, face à sa fiancée, lui dit que sa mère est morte. Mais c'est vrai que moi, en relisant le livre avec des yeux de 2025, cette phrase, elle est toujours aussi forte. Mais la phrase qui m'a le plus frappé, c'est une phrase dans la deuxième partie du livre, quand Meursault arrive dans la prison, face à une quarantaine de détenus, et il dit : "J'ai tué un Arabe". Et tout d'un coup, commencer le film par cette phrase-là, ça permettait de mettre un autre regard, de 2025, sur cette histoire.

"Le noir et blanc s'adaptait bien à cette histoire, parce qu'on parle d'une époque qui n'existe plus"

L'Étranger, vous l'aviez lu ? Vous l'aviez lu en quelle classe ?

Benjamin Voisin : Comme tout le monde, je pense, en seconde ?

François Ozon : Oui, ça fait partie du cadre scolaire, moi aussi je l'ai lu vers 16-17 ans, mais je pense que je n'avais rien compris à l'époque.

Le livre, l'histoire est assez simple. Mais en fait, on voit la complexité du personnage bien après. Hazard, je l'ai relu juste avant l'été. C'est maintenant, peut-être des années après, qu'on arrive à comprendre tout ce qu'il y a dans ce personnage...

François Ozon : Je ne sais pas si on le comprend vraiment. Il nous interroge en tout cas sur nous-mêmes. C'est ça qui est beau et on se pose des questions. Et c'est un personnage qui est difficile à capter. L'incarnation de Benjamin nous aide.

Et justement, avec une incarnation un peu étonnante qui m'a beaucoup surpris en regardant, c'est avec le couple que vous formez évidemment à l'écran, il y a une sensualité absolument incroyable qui est là aussi très déroutante par rapport au livre. Comment vous l'avez interprétée ?

Benjamin Voisin : Je suis très fier de faire partie de ce film, parce qu'il a osé remonter les rôles féminins pour amener de l'humanité. Camus parle très bien de la couleur, du soleil, de la mer. François met un voile dessus en faisant un noir et blanc pour rester en introspection. Il y a ce couple, cette sensualité, qui n'est pas vraiment là dans le roman. Elle n'est pas due à nous.

François Ozon : Mais qui est chez Camus. C'est un sensuel, Camus, c'était important de s'inspirer aussi des autres livres qu'il a écrits.

Avec, là, le choix du noir et blanc pour sublimer la couleur qu'il y a dans le livre. C'est très étonnant. Il y a beaucoup de couleurs dans ce livre qui transparaissent à l'écran, malgré le noir et blanc.

François Ozon : Oui, c'est-à-dire que le noir et blanc s'est imposé parce qu'il apporte une forte distanciation pour le spectateur d'aujourd'hui, comme un peu le regard de Meursault sur le monde. Ça nous oblige à regarder différemment les choses qui se passent autour de soi. Et puis le noir et blanc s'adaptait bien à cette histoire, avec cette reconstitution, parce qu'on parle d'une époque qui n'existe plus, et surtout de l'Algérie française. Et pour moi, c'était très important de contextualiser cette histoire.

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