Interview "On a envie de parler à notre manière de personnes peu représentées au cinéma", confient Hubert Charuel et Claude Le Pape, réalisateurs de "Météors"

Après avoir traité des difficultés du monde agricole dans son premier long-métrage, le duo Hubert Charuel et Claude Le Pape raconte cette fois la destinée de trois jeunes urbains, unis par une amitié indéfectible, dans les joies comme dans les galères.

Article rédigé par Laurence Houot - propos reccueillis par
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 14min
Hubert Charuel et Claude Le Pape, à Paris le 18 septembre 2025. (LAURENCE HOUOT / FRANCEINFO CULTURE)
Hubert Charuel et Claude Le Pape, à Paris le 18 septembre 2025. (LAURENCE HOUOT / FRANCEINFO CULTURE)

Le réalisateur de Petit Paysan, César en 2018 du meilleur premier film, signe un second long-métrage qui raconte le destin cabossé de trois jeunes, incarnés à l'écran par Paul Kircher, Idir Azougli, Salif Cissé. Météors, présenté à Cannes dans la section Un certain regard, sort dans les salles mercredi 8 octobre.

Mika, Dan et Tony traînent leur jeunesse à Saint-Dizier, la ville d'origine de Hubert Charuel, marquée par le chômage et la désindustrialisation. Seuls au monde, Dan et Mika, inséparables, survivent en rêvant d'un avenir radieux avec des animaux, à l'autre bout de la planète. Tony s'en est sorti en créant son entreprise du bâtiment.

Dans ce second long-métrage, qui mélange habilement les genres, Hubert Charuel et Claude Le Pape dessinent la trajectoire de ces trois personnages, sortes de comètes larguées dans une ville sans horizon, qui de leur jeunesse joyeuse et légère, s'enfoncent peu à peu dans le désespoir et la picole. Ce binôme de travail confie à franceinfo Culture la fabrique de son cinéma. Un cinéma social, qu'ils s'amusent à réinventer en lui injectant du genre, et qu'ils réalisent en famille, animés par le désir de faire entendre les voix de ceux qui sont "peu représentés" sur les grands écrans.

Franceinfo Culture : Comment est née l'idée du film ?
Hubert Charuel :
Au départ, il y avait cette question de savoir comment on peut sauver les personnes qu'on aime. Les personnages sont très proches de moi, de mes amis, de ma famille et des gens avec qui j'ai grandi. L'histoire de Météors, elle part de mon cousin. Je suis plutôt Mika, et mon cousin, c'est Daniel. J'ai grandi en Haute-Marne, et quand on était jeune, on se disait qu'on voulait en partir, parce qu'on avait l'impression qu'on n'avait pas grand-chose à y faire. En même temps, on était aussi très unis, dans la fête, dans les excès. Mais ces excès, c'est drôle jusqu'à un certain âge. Après, on en voit certains qui sombrent. Le point de départ du film, c'était une déclaration d'amour et l'envie d'envoyer un message d'espoir à des gens qui ne s'aiment pas vraiment, et de leur dire qu'on aimerait bien qu'ils s'aiment autant que nous on les aime et qu'ils le méritent.

C'est l'histoire de ces personnages mais aussi l'histoire d'un territoire, que raconte ce film, comme c'était déjà le cas pour Petit Paysan, non ?
Claude Le Pape :
Les personnages sont très liés à leur ville, et à leur territoire. La naissance du projet est tout autant liée à l'endroit qu'aux gens qui l'habitent. Dans le travail de Hubert, il y a toujours cette volonté de prendre la défense d'un territoire et des gens qui y vivent. C'était le cas pour Petit Paysan, dans lequel il voulait parler des agriculteurs, montrer leur force, leur détermination. Météors, c'est le retour à Saint-Dizier, qui était le décor des premiers courts-métrages, dans lesquels il y avait des personnages qui ressemblent à ceux de Météors, mais jeunes, donc c'était encore rigolo. L'idée, c'était de se demander, quinze ans plus tard, ce qu'ils étaient devenus, et de parler d'un territoire qu'on traite mal, de gens qu'on traite mal.
Hubert Charuel : Je pense que Météors, en effet, c'est à la fois un cri d'amour et un cri de colère. J'ai grandi dans ce territoire, qui est aussi à l'origine aussi de mon désir de cinéma. Quand j'ai fait Petit Paysan, c'était pour parler du monde agricole, de la ferme de mes parents. Saint-Dizier, c'est la ville où je suis allé au lycée. Pour moi, Saint-Dizier, c'était la culture, la liberté. Et pour moi, la liberté, c'était d'aller au cinéma.

"Ma petite cité industrielle, c'était mon grand tout parce que c'était le cinéma et le rayon DVD du Cora."

Hubert Charuel

à franceinfo Culture

Quand j'en suis parti, je me suis rendu compte des inégalités sociales, du chômage, et des réalités d'un département touché par une crise démographique terrible, victime de la mondialisation et de la désindustrialisation. Pour sortir de ça, ce qu'on a proposé aux gens, c'est d'installer non pas une, mais deux poubelles nucléaires. On a rasé trois villages pour créer une retenue d'eau qui sert à absorber la crue de Paris et à refroidir la centrale de Nogent-sur-Marne, et pour construire une base aérienne, la B.A.113 d'où décollent et atterrissent des rafales jour et nuit. À Saint-Dizier, les gens n'en peuvent plus de ce vacarme au-dessus de leurs têtes. Ça fait beaucoup pour un seul et même endroit, non ? Et ça, oui, ça me met en colère.

C'est aussi un film sur l'alcoolisme, sur l'addiction ?
Claude Le Pape :
C'est la trajectoire d'un jeune, comme Daniel, qui fait partie de ceux qui ont tout pour eux, qui sont drôles, qui sont intelligents, qui sont plein d'énergie, très sensibles, très attentionnés. Et évidemment, ce sont ceux-là qui prennent très cher en général, ceux-là qui vont morfler le plus. L'idée était de parler de ce personnage de Daniel, et aussi d'autres gens qu'on a connus et qu'on n'a pas pu sauver. Et ce personnage de Dan, on le regarde à travers les yeux de Mika, son copain. Mika est le témoin impuissant de l'addiction de Dan. C'était vraiment ça qu'on voulait raconter, la culpabilité, l'impuissance, le fait de croire qu'on sait, alors qu'on ne sait pas. C'était l'idée d'imaginer ce que pouvait vivre Dan, mais de l'imaginer du point de vue de Mika, de montrer ce que c'est que l'alcoolisme, du point de vue du proche.
Hubert Charuel : On voulait aussi casser un peu les a priori sur l'addiction. Le "quand on veut on peut", ça n'existe pas en fait, c'est beaucoup plus complexe que ça, ce n'est malheureusement pas juste une histoire de volonté.
Claude Le Pape : C'est cette complexité-là qui est difficile à démêler, ce cercle vicieux d'auto-détestation, d'auto-destruction, le déni, et en même temps, cette forme d'extra-lucidité. C'est ça que nous voulions montrer.

Il y a un écho très fort dans le film, entre la manière dont vous montrez ce territoire, et ce que ressentent intérieurement les personnages, c'était une volonté de votre part ?
Claude Le Pape :
C'est l'histoire d'un territoire et de gens qui s'intoxiquent pour survivre. Cette phrase qu'on nous a dite à propos du film résume très bien la situation. Les décors font écho à ce qui se passe intérieurement pour les personnages, même si ce n'était pas forcément une volonté au départ. Le tunnel qui envoie les ouvriers à des centaines de mètres sous terre, par exemple, c'est l'image de Daniel qui s'enfonce de plus en plus loin, de plus en plus profond.
Hubert Charuel : Pour le territoire et pour les personnages, il y avait cette idée de s'enfoncer, de plonger loin, mais aussi de s'en sortir.
Claude Lepape : Tout est noir, tout est sombre, tout est gris, et la seule lumière que l'on peut percevoir, vient des personnages, des êtres humains.

C'est aussi une histoire d'amitié ?
Hubert Charuel :
L'amitié, ça donne une force incroyable. Si je n'avais pas eu mes amis, je n'aurais peut-être pas fait de cinéma. Ils étaient bien plus persuadés que moi que j'allais y arriver. On vient tous d'un milieu qui est à des années-lumière du monde du cinéma. Parfois, l'amitié permet de dépasser toutes les conventions sociales, tous les préjugés, et j'en suis la preuve.

"J'ai vraiment conscience d'être un peu une anomalie dans le système."

Hubert Charuel

à franceinfo Culture

On est quand même très peu nombreux, et je sais que si je n'avais pas eu ces forts liens d'amitié, cette confiance absolue avec des gens avec lesquels je me suis construit, je n'aurais pas eu le courage de me lancer, de passer le concours d'une école de cinéma. Et ensuite, ils ont été là sur les premiers court-métrages, et ils sont toujours là.

C'est la raison pour laquelle vous mélangez au casting des acteurs professionnels et des non professionnels ?
Hubert Charuel :
Pour mon tout premier court-métrage, je ne voulais pas travailler avec des acteurs professionnels parce que je ne savais tellement pas ce que c'était que la mise en scène. Je ne me sentais pas légitime à parler à des professionnels. Claude m'a dit "mais ton cousin, il est super". C'est comme ça que ça a commencé, et ça a posé les bases de notre cinéma. Ensuite, on a réinjecté des acteurs professionnels, petit à petit, projet après projet. Pour Petit Paysan, on a commencé à caster des professionnels, comme Swann Arlaud et Sara Giraudeau, et d'autres, comme Bouli Lanners, Clément Bresson, Marc Barbé. Mais à un moment, on a eu l'impression qu'on s'éloignait de notre identité, donc on a remis mon grand-père, mes parents, un copain, mon cousin…

Qu'est-ce que ça apporte ?
Hubert Charuel :
Le fait de travailler avec des non professionnels, ça bouleverse les équilibres. Parfois, les comédiens professionnels peuvent rentrer dans une sorte de routine, de répétition. Jouer avec un non professionnel, c'est imprévisible, et donc tout de suite, ça sort les acteurs professionnels de leur zone de confort. Quand on travaille avec des non-pro, l'accident peut surgir à tout moment, et ça remet les choses à leur place. Cela permet de faire venir quelque chose de libre, qui n'est pas posé, qui n'est pas cadré, et c'est un peu ce que recherchent toujours les réalisateurs et les réalisatrices.

Ca ne complique pas un peu le tournage ?
Claude Le Pape :
non, parce que d'abord, les comédiens professionnels étaient très bienveillants. Et pour fluidifier, on a décidé de mettre en place un dispositif avec deux caméras, pour capter ces moments de spontanéité, que les comédiens non professionnels ne peuvent pas répéter trois ou quatre fois. Ça les libère, parce qu'ils se disent, même si moi, là, je rate, les comédiens professionnels sont filmés, donc, ce sera utilisable.
Hubert Charuel : Cette fois, on a aussi fait jouer des gens de la production, de la technique, la première assistante, et même la directrice de production. Il y a une forme de hiérarchie qui s'inverse, puisque quand elle joue, c'est elle qui se met à avoir besoin d'être rassurée par les comédiens. Cela permet de créer un truc convivial. Les autres membres de l'équipe technique ont tout à coup une attention particulière. Ils se demandent comment elle va s'en sortir, ça crée une dimension collective, et il y a une synergie qui s'installe.

Petit Paysan était autant un film social qu'un thriller, ici, on flirte avec la comédie, le polar et même la science-fiction, pourquoi ce mélange des genres ?
Hubert Charuel :
On a l'habitude de voir le monde paysan plutôt à travers des documentaires, mais nous, on pensait que c'était un sujet qui méritait la fiction. Pour Petit Paysan, ce qui nous a amusés, c'est de partir de ce sujet social, et de l'emmener ailleurs, de l'emmener dans le cinéma de genre. Nous, on a grandi avec des films français extrêmement populaires, comme Les Visiteurs ou Opération Corned Beef. Notre cinéphilie, c'est à la fois des films très franco-français, avec un humour très français, le cinéma d'auteur français, et en même temps des espèces de superproductions américaines, comme les films de James Cameron…

Donc avec un sujet social, plutôt sombre, on peut faire rire, faire peur, et même faire décoller dans une autre dimension ?
Hubert Charuel :
Pour Météors, on s'est demandé en fonction des sentiments qu'éprouvent les personnages, de ce qu'ils vivent dans leur histoire, vers quel genre on pouvait essayer de faire glisser notre film, justement pour l'éloigner du naturalisme et des stéréotypes qu'on peut retrouver un peu de manière systématique dans un "film social". Dans Météors, il y a un petit côté "comedy-loser", surtout au début, mais aussi de la romance, avec une vraie histoire d'amour avec tous les codes qui vont avec. Parce que même si c'est une histoire d'amitié entre Dan et Mika, il y a de l'amour, et donc du mélo. Avec la disparition d'un des personnages, on entre dans le polar, et ensuite on finit par lorgner un peu aussi vers la science-fiction, qui exprime la paranoïa de Mika. Voilà, dans nos films, on a envie de parler de personnes, d'individus dont on a l'impression qu'ils sont peu représentés au cinéma, et d'en parler de notre point de vue, et à notre manière.

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