: Interview En attendant la sortie du film sur Bob Dylan, cinq questions à son ami Hugues Aufray qui chante ses chansons depuis soixante ans

À l'occasion de la sortie en salles mercredi 29 janvier du biopic Un parfait inconnu dans lequel Timothée Chalamet incarne Bob Dylan, Hugues Aufray a accepté de revenir sur leur rencontre à l'orée des années 1960. Pour lui, le prix Nobel de littérature 2016 est tout sauf un inconnu. Avec le coffret "Hugues Aufray chante Bob Dylan" qui sort jeudi 24 janvier, l'artiste rend une nouvelle fois hommage à cet autre artiste qu'il n'a jamais cessé d'admirer et qu'il revoit, de loin en loin, quand il donne des concerts à Paris.

Franceinfo Culture : Les années ont passé... vous avez aujourd'hui 95 ans, Bob Dylan en a 83. Avez-vous un souvenir de votre toute première rencontre ?

C'était en 1961, à New York, dans un bistrot de Greenwich Village où il chantait. C'étaient aussi mes débuts. J'étais invité par Maurice Chevalier pour représenter la nouvelle génération. Ça a été un choc, une révélation. J'étais à l'extérieur du café et je l'ai vu à travers la vitre, assis sur un grand tabouret. Je ne comprenais pas un mot d'anglais, je ne comprends d'ailleurs guère mieux aujourd'hui, mais ce qui compte, c'est la musique. Dans l'ordre des choses, on entend d'abord le son. J'étais subjugué.

A-t-il été difficile de faire connaître Bob Dylan en France ?

À New York, j'ai travaillé dans un cabaret, le Blue Angel. J'ai rencontré Peter, Paul et Mary [un célèbre trio folk] qui le connaissaient et j'ai pu m'approcher de lui. Quand je suis revenu en France, Dylan est venu me voir. Personne ne le connaissait, pas même les journalistes les plus spécialisés. Je voulais traduire ses chansons, ça l'a touché et il me les a envoyées. Mais j'ai eu du mal à convaincre Eddie Barclay [producteur musical]. Il m'a dit : "Personne ne le connaît, qui c'est ce type ?". Quand l'album est finalement sorti [Aufray chante Dylan en 1965], ça a fait un boum. Alain Souchon, Laurent Voulzy, Francis Cabrel, toute cette génération de jeunes à l'époque, était impressionnée.

Dylan ne s'est jamais considéré comme un chanteur engagé. Qu'en pensez-vous ?

Ses chansons sont toutes des messages politiques, même s'il s'en défend. Il est fan de Rimbaud qui est également un porteur de fanion. Dylan est de la taille d'un géant comme Victor Hugo. Son œuvre est gigantesque, son talent énorme. C'est un génie parce qu'il produit et le propre des génies, c'est l'hyper production. Il est toujours révolutionnaire. C'est le seul chanteur d'avant-garde actuellement dans le monde. Dans ses chansons, il n'a jamais fait d'erreurs de choix. C'est pas un chanteur engagé, c'est un chanteur dégagé. Il dit la vérité.

Les temps changent... les concerts de Bob Dylan ont-ils aussi changé au fil du temps ?

Sur scène, Dylan ne change pas un mot à ses textes, mais il peut changer la musique, le rythme. J'ai entendu des gens dire qu'ils étaient déçus en sortant de ses concerts les plus récents en France. Ils n'avaient pas retrouvé les chansons telles qu'ils les connaissaient. Le problème est que la musique, c'est toujours plus fort que les paroles. Le public retient toujours la musique.

Avez-vous déjà pu voir le film avec Timothée Chalamet dans le rôle de Bob Dylan ?

Non, mais je suis invité à la projection et je serai au Grand Rex le 15 janvier pour l'avant-première [salle où Bob Dylan avait donné un grand récital, le 11 octobre 2022]. Je suis très content. Tout ce qui peut contribuer à le faire connaître, notamment des plus jeunes, c'est positif. J'ai vu tout ce qui a été fait sur Bob Dylan. Même un film où c'était une femme qui jouait son rôle [Cate Blanchett dans I'm Not There de Todd Haynes en 2007]. Quant au choix de Timothée Chalamet pour l'incarner, je vous dirai ce que j'en pense après avoir vu le film !

"Hugues Aufray chante Bob Dylan 1965-2009 " (Universal), coffret de 5 CD, sortie le 24 janvier 2025