Interview "Tout le monde doit nous rejoindre pour que l'excision cesse" : l'actrice Naky Sy Savané milite depuis Marseille contre cette pratique

À l'affiche récemment de la série à succès "Lupin", Naky Sy Savané tente, depuis des années, de mettre sa notoriété au service de la lutte contre les mutilations sexuelles dont beaucoup de femmes souffrent aussi en Europe.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
L'actrice ivoirienne Naky Sy Savané pose lors d'une séance à Ouagadougou, le 2 mars 2023, pendant le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), au Burkina Faso. (OLYMPIA DE MAISMONT / AFP)
L'actrice ivoirienne Naky Sy Savané pose lors d'une séance à Ouagadougou, le 2 mars 2023, pendant le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), au Burkina Faso. (OLYMPIA DE MAISMONT / AFP)

Selon les Nations unies, "plus de 4,4 millions de filles – soit environ 12 200 chaque jour – risquent de subir des mutilations génitales féminines [les MGF consistent notamment en l'ablation totale ou partielle du clitoris] dans le monde". Par ailleurs, "les coûts de santé pour les survivantes des MGF sont estimés à 1,4 milliard de dollars chaque année". C'est contre ce fléau que la comédienne Naky Sy Savané, qui a incarné récemment la mère du personnage d'Omar Sy dans la série Lupin, se bat à Marseille et dans le sud de la France grâce à l'association qu'elle a créée en 2007, l'Union des femmes du monde-GAMS Sud. Afin de prolonger la Journée internationale de tolérance zéro à l'égard des mutilations génitales féminines (6 février), l'association fait campagne avec le Train Ategban Zéro Excision 2025 qui relie symboliquement les capitales africaines, Paris et Marseille du 7 au 10 février. La campagne est l'occasion de rendre hommage aux activistes gambiennes qui ont empêché leur pays d'abroger une loi interdisant l'excision. Entretien avec l'actrice ivoirienne Naky Sy Savané.

Franceinfo Culture : Vous êtes comédienne, mais la lutte contre les mutilations génitales est aussi devenue une vocation. Comment et pourquoi ?
Naky Sy Savané :
J'ai choisi l'art pour porter ces combats féministes – les violences liées aux traditions, la place des femmes dans nos sociétés et comment défendre leurs droits – parce que très tôt, j'ai compris qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. À 3 ans, j'ai constaté que les premières personnes qui se levaient tôt le matin pour aller au marigot, c’étaient nos mamans. Et à l'époque, je prenais mon petit seau pour les suivre. J'ai grandi avec ce constat et j'ai pensé qu'il serait bon que je fasse un métier qui m'amène à plaider leurs causes auprès des décideurs. L'art est un puissant vecteur de communication, il permet de véhiculer beaucoup de messages. Quand on est connu et que l'on a la lumière sur soi, on peut la partager et dire des choses. Je ne voulais pas être une comédienne que l'on voit uniquement sur les tapis rouges.

Vous êtes l'un des grands noms du cinéma ivoirien et vous avez poursuivi votre carrière de comédienne depuis que vous êtes installée à Marseille. On vous a vu récemment dans Le Marchand de sable ou encore Lupin. Et vous avez aussi lancé dans cette ville, en 2007, une association pour lutter contre les mutilations génitales. Comment avez-vous été sensibilisée sur le sujet ?
Je militais déjà en Côte d'Ivoire dans des associations. J'écrivais et mettais en scène des pièces sur la condition féminine. Quand je suis arrivée à Marseille [en 2001, la Côte d'Ivoire est alors en proie à une guerre civile], je suis allée vers la culture et les mouvements féministes. Je suis alors tombée sur la Marche mondiale des femmes (MMF) et j'ai assisté à leurs rencontres. Et dans la communauté africaine, j'ai été étonnée de constater que l'excision était pratiquée en France. Pour moi, la pratique n'avait cours que sur le continent africain. Les copines féministes le savaient et elles m'ont expliqué qu'elles avaient été interpellées sur la question. Cependant, elles ne s'y étaient pas attaquées parce qu'elles estimaient ne pas la maîtriser. Pour ma part, j'avais déjà commencé à m'intéresser au phénomène et c'est ainsi que j'ai lancé en 2007, l'Union des femmes du monde-GAMS Sud, en hommage au GAMS qui est une fédération de lutte contre les violences faites aux femmes et les mutilations génitales. À l'UFM-GAMS Sud, nous avons des programmes de sensibilisation auprès des victimes et des potentielles victimes. À Marseille et dans le sud de la France, nous accompagnons également les femmes qui sont excisées, notamment pendant leur grossesse parce qu'elles rencontrent des problèmes particuliers. L'association assure des permanences dans les maternités et les PMI.

Votre association reçoit cette année, dans le cadre de la Journée internationale contre les mutilations génitales, les femmes gambiennes qui ont réussi à faire reculer leur pays, car les députés ont envisagé en 2024 de revenir sur l'interdiction de l'excision. Vous avez participé à ce combat en lançant une pétition et en prenant la tête d'un collectif. Comment s'est organisée la mobilisation ?
J'ai été interpellée par des pionnières de la lutte contre l'excision en Gambie. Pour soutenir leur action, j'ai lancé le 8 mars 2024, à Marseille, une pétition, quelques semaines après le début de l'examen de la loi en Gambie. J'ai contacté toutes les autres associations que je connaissais en Afrique et ailleurs. Nous avons ainsi monté un collectif. Nous nous sommes retrouvées à Dakar, au Sénégal, avec une centaine d'associations africaines pour lancer un appel au gouvernement gambien en soutien aux femmes qui luttaient sur le terrain. Finalement, le président gambien a décidé de surseoir à cette loi. Cette année, nous avons invité les femmes gambiennes qui ont participé à cette lutte historique, notamment l'ancienne vice-présidente de la Gambie, Isatou Touray, pour célébrer cette victoire collective contre l'excision. Les victoires des Africaines, des femmes en général, sont trop souvent ignorées. Je suis dans le cinéma et je ne voulais pas que cette victoire-là passe inaperçue. Tout le monde doit nous rejoindre dans le Train Ategban contre l'excision afin que cette pratique cesse. Si nous n'avions pas interrompu le processus en Gambie, d'autres pays auraient suivi cet exemple qui nous dessert. La lutte est internationale.

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