Festival de Cannes 2025 : rencontre avec Déni Oumar Pitsaev, premier réalisateur tchétchène sur la Croisette
Le presque quadragénaire signe un documentaire bouleversant sur la pression sociale et familiale ainsi que sur l'altérité. Pour son premier film, Déni Oumar Pitsaev marque les esprits.
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Il évite le soleil, la lumière crue. Trop aveuglant. L'interview commencée à la terrasse se finit à l'ombre à l'intérieur du Café des cinéastes. Présent à Cannes pour défendre son film, Imago, en sélection à la Semaine de la critique, Déni Oumar Pitsaev se montre généreux, délicat, à l'image de son documentaire. "Quand j'ai appris que mon film a été retenu à Cannes, j'ai sauté de joie et crié de bonheur. Je fais partie des rares élus sur mille candidats", confie-t-il à franceinfo Culture.
Comment ont réagi les officiels de son pays d'origine ? "Je ne suis même pas sûr qu'ils soient au courant, la culture n'est pas leur priorité", répond d'un grand éclat de rire Déni Oumar Pitsaev. "C'est le premier film tchétchène à Cannes, voire le premier film tchétchène tout simplement de toute l'histoire du cinéma du pays qui n'a jamais existé", ironise le jeune réalisateur de 39 ans. "En Tchétchénie, il n'y a ni industrie ni école de cinéma. Le cinéma tchétchène commence à émerger, mais c'est un cinéma hors-sol, porté par des exilés", nuance-t-il.
Maison, mariage, enfants
Quel est le sujet d'Imago ? "C'est avant tout un dialogue", affirme-t-il. Et une histoire d'amour. Le réalisateur s'est rendu en Géorgie pour découvrir le lopin de terre acheté pour lui par sa mère pour y construire une maison et fonder une famille. Maison, mariage, enfants. Dans l'ordre ou le désordre. À presque 40 ans et toujours célibataire, il commence à faire désespérer sa mère. Alors, il part à la rencontre de sa famille élargie installée dans une enclave tchétchène depuis le XIXe siècle. Il en revient avec un film bouleversant. Marié depuis son voyage ? "Non !", s'exclame-t-il avec un franc rire sonore. A-t-il construit sa maison ? "Non plus !".
Le fils (indigne) imagine construire une maison sur pilotis alors que toute sa famille l'encourage à opter pour une "vraie maison". Traduction : une maison avec une cave. "Les Tchétchènes sont traumatisés par les différentes guerres, les bombardements incessants. Pour eux, la cave représente le seul lieu où ils peuvent se réfugier en toute sécurité. Grozny que j'avais connue a été entièrement rasée."
La mémoire collective s'invite souvent dans ce documentaire, la guerre est omniprésente. "Aujourd'hui, il n'y a plus de Tchétchénie, le pays appartient à la Fédération russe. La plus grande avenue porte le nom de Vladimir Poutine." La politique n'est jamais loin.
Ode à la différence
Déni Oumar Pitsaev sort de cette expérience apaisé et réconcilié avec sa famille, particulièrement son père. La scène de la forêt entre le père et le fils est particulièrement émouvante. "Tout le film nous emmène à cette scène qui n'était pas prévue. Le réel exerce une forte influence, il faut s'adapter."
Pourquoi le titre ? "Au-delà de sa signification biologique, Imago représente pour moi quelque chose qui disparaît". Une larve qui ne devient pas papillon ? "Il y a beaucoup de non-dits dans ce film." Les jeunes femmes sont absentes du film, ses "potentielles fiancées" sont invisibles à l'écran. "Je ne voulais pas montrer les jeunes femmes pour qu'on se pose des questions. Elles sont plus présentes par leur absence. On ne pouvait pas avoir des discussions libres et je ne voulais pas qu'elles soient des figurantes".
Vivant aujourd'hui entre Bruxelles et Paris, le cinéaste d'origine tchétchène entend s'épanouir dans les différentes cultures : "Je veux tout." Déni Oumar Pitsaev a pris goût au cinéma. Il est en train de préparer son prochain film, de fiction cette fois-ci. Et de retour bientôt à Cannes.
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