Festival de Cannes 2025 : "La Leçon de musique de" deux grands maestros du cinéma, Alexandre Desplat et Guillermo del Toro
Le compositeur français et le réalisateur mexicain, oscarisés pour "La Forme de l'eau" en 2018, ont donné les clefs de leur complicité dans une ambiance chaleureuse et décontractée.
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Un duo complice pour un cours magistral. Dimanche 19 mai, ne restait plus un fauteuil de libre dans la grande salle Buñuel du palais des Festivals pour prendre "La Leçon de musique de" deux artistes. Le premier à s'exprimer, en français bien sûr, est Alexandre Desplat, 63 ans. La star des compositeurs de musiques de film, vainqueur de deux Oscars : le premier en 2015 pour The Grand Budapest Hotel et le second en 2018 pour La Forme de l'eau. Il est au générique de deux films présentés cette année en compétition officielle à Cannes, The Phoenician Scheme de Wes Anderson et Les Aigles de la République de Tarik Saleh.
Le Français est vite rejoint par son ami Guillermo del Toro, 60 ans, réalisateur mexicain, vainqueur de trois Oscars (deux pour La Forme de l'eau, un autre pour son film d'animation Pinocchio, en 2023). Lui préfère s'exprimer en anglais. Cette leçon de musique organisée par la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) est devenue un rendez-vous incontournable du festival. Cécile Rap-Veber, la malicieuse directrice de la Sacem, profite de cette tribune pour répéter à Thierry Frémaux qu'il est grand temps de créer un prix pour récompenser à Cannes les créateurs de musiques de film. Le délégué général du festival sourit, mais ne dit mot.
Alexandre Desplat confie à Stéphane Lerouge, l'animateur de la séance, que ses idoles d'adolescence "c'était le Nouvel Hollywood : Spielberg, Scorcese, De Niro...". Il estime qu'au début de sa carrière, ces influences étaient "très lisibles". Peut-être trop. Il n'a cependant pas tardé à trouver un style qui lui est propre en se nourrissant de toutes sortes de musiques, des grands anciens comme Maurice Jarre et Georges Delerue en passant par "des rythmes brésiliens et des chants du Burundi".
Parmi les films qui ont modifié le cours de son destin, il cite Birth de Jonathan Glazer en 2004. Les lumières s'éteignent pour la projection du prologue. Dans un long plan séquence, la caméra suit un jogger vêtu de noir qui court dans la neige à Central Park (voir la vidéo ci-dessus). Seule la musique l'accompagne. Quand les lumières se rallument, Alexandre Desplat plaisante : "Je ne l'avais jamais vu d'aussi près. Je viens de me rendre compte que son lacet droit est défait." Il détaille ensuite la façon dont il a "construit" sa partition "pour tenir la longueur" de cette séquence d'ouverture capitale.
"Je ne suis pas pianiste"
Si l'on a bien compris sa leçon, il a imaginé un motif répétitif écrit pour les flûtes ("Je suis flûtiste, précise-t-il) qui lui permet ensuite de faire entrer n'importe quel instrument et de laisser toute sa place à l'orchestre symphonique dans le registre bas. Le musicien se fait un peu prier pour utiliser le piano placé dans un coin de la scène. "Je ne suis pas pianiste", répète-t-il. Mais il finit par jouer quelques mesures de cette bande originale qui a lancé sa carrière internationale. Il cite aussi La Jeune Fille à la perle, de Peter Webber.
Un autre extrait est diffusé. Il s'agit du beau film d'animation de Michel Hazanavicius : La Plus précieuse des marchandises présenté à Cannes l'an dernier. Le réalisateur français est d'ailleurs présent dans la salle. Commentant une scène magnifique dans laquelle un bûcheron se laisse attendrir par un nourrisson, Alexandre Desplat explique qu'il s'intéresse "plus aux personnages qu'aux actions". "C'est le film qui m'emmène (...) qui me permet de me glisser dans l'histoire, comme un acteur le ferait."
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Son complice, Guillermo del Toro, le rejoint alors sur scène. Depuis leur première collaboration en 2017 sur La Forme de l'eau, ils forment un duo complice, une équipe. Le Mexicain aime les musiques de films depuis toujours. Dans sa jeunesse, il collectionnait les disques avec des bandes originales pour se refaire la séance, les yeux fermés. Il raconte qu'avant leur rencontre, il n'assistait jamais aux sessions d'enregistrement, préférant aller manger.
La Forme de l'eau est l'histoire d'une femme muette qui tombe amoureuse d'une étrange créature aquatique. Alexandre Desplat se souvient de sa réaction quand il a découvert les images du film à Los Angeles : "La caméra était fluide. C'est magique pour la musique." Il développe : "On a commencé à parler des vagues, des instruments. On a enregistré avec 12 flûtes, ce qui crée la structure étrange du film." Guillermo del Toro ajoute que "la musique est la voix des personnages muets", Elisa et la créature. Pour permettre aux spectateurs de mesurer "l'effet Desplat", l'animateur lance ensuite deux extraits de La Forme de l'eau, l'un sans musique et l'autre avec. Une comparaison probante tant sa composition donne un supplément d'âme à la scène.
Les deux hommes ont ensuite collaboré sur le film d'animation Pinocchio sorti sur Netflix en 2022. L'épidémie de Covid les a contraints à travailler différemment, le réalisateur demandant au compositeur d'écrire toutes les musiques à l'avance, en enregistrant les voix à distance. L'émouvante chanson du petit pantin de bois, Ciao papa, résonne alors dans la salle.
Les deux amis mettent actuellement la dernière main à un troisième film, toujours pour Netflix, intitulé Frankenstein, avec les comédiens Jacob Elordi et Oscar Isaac. "Encore une histoire de père et de fils", souligne Guillermo del Toro. Le réalisateur prévient qu'il ne veut pas d'une musique effrayante. Il aime le lyrisme de la musique d'Alexandre Desplat et préfère viser le cœur. "Jouer sur l'émotion aujourd'hui, c'est punk, et nous, on prend ce risque", sourit-il. La rencontre s'achève comme elle a commencé, avec une ovation debout. Les deux maîtres repartent avec un précieux cadeau offert par la Sacem : une partition originale de Georges Delerue pour Guillermo del Toro et une lettre manuscrite du compositeur français à François Truffaut pour Alexandre Desplat.
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