Festival de Cannes 2025 : le sourire perdu de Fatem, la photographe de Gaza, bouleverse les festivaliers

Elle devait venir à Cannes pour témoigner en personne des souffrances endurées par les habitants de Gaza. Mais cette femme de 24 ans est morte dans un bombardement en avril. Le film que lui consacre l'Iranienne Sepideh Farsi est le témoignage terrifiant et chaotique d'une vie massacrée.

Article rédigé par Valérie Gaget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le visage de Fatma Hassouna dans le film documentaire "Put Your Soul on Your Hand and Walk" (2025). (RÊVES D'EAU PRODUCTIONS)
Le visage de Fatma Hassouna dans le film documentaire "Put Your Soul on Your Hand and Walk" (2025). (RÊVES D'EAU PRODUCTIONS)

Qu'aurait pensé Fatma Hassona, surnommée Fatem, si elle avait pu quitter sa prison de Gaza pour la Côte d’Azur ? Jeudi 15 mai, pour la première du film au cinéma Olympia, une jeune femme entre dans la salle moulée dans une robe de soirée aussi rouge que les fauteuils. Sait-elle qu'elle va assister à l'agonie d'une jeune femme de 24 ans ?

Au Festival de Cannes, deux mondes s'entrechoquent et le contraste est parfois violent. Le film Put Your Hand on Your Soul and Walk [tiré d'une citation de Fatem : "Quand tu sors à Gaza, tu mets ton cœur dans ta main et tu marches"] fait partie des neuf longs-métrages programmés cette année par les cinéastes de l'Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion). Le film sortira en salles le 24 septembre 2025.

La réalisatrice Sepideh Farsi, ancienne prisonnière politique iranienne exilée en France, prend la parole, avec beaucoup d'émotion dans la voix, avant le début de la projection, expliquant que Fatem lui a "beaucoup donné". Elle disait, explique-t-elle, que sa caméra était "une arme" et qu'elle voulait "une mort bruyante, éclatante".

La jeune femme affirmait qu'elle resterait sur sa terre, ajoutant : "Mon Gaza a besoin de moi". "Ce soir, conclut la réalisatrice, elle n'est pas là et elle est là quand même. Ils n'ont pas pu la vaincre. Fatem, tu es avec nous ce soir. Vous allez la rencontrer, elle est brillante."

La réalisatrice raconte au début de son film qu'elle a tenté en vain de se rendre à Gaza via l'Egypte. Au Caire, elle a rencontré des réfugiés palestiniens qui lui ont permis d'entrer en contact avec Fatima Hassouna. Elle demande alors à la jeune photographe de filmer Gaza, chose désormais impossible pour les étrangers. La jeune femme, qui veut absolument documenter ce que subit son peuple, accepte. Le documentaire témoigne de sa vie depuis le déclenchement de la guerre, après l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023, mais aussi de la naissance de leur amitié par écran interposé. Les deux femmes échangent en anglais. 

Fatma Hassona et Sepideh Farsi, la réalisatrice du film "Put Your Soul on Your Hand and Walk", présenté au Festival de Cannes, le 13 mai 2025. (RÊVES D'EAU PRODUCTIONS)
Fatma Hassona et Sepideh Farsi, la réalisatrice du film "Put Your Soul on Your Hand and Walk", présenté au Festival de Cannes, le 13 mai 2025. (RÊVES D'EAU PRODUCTIONS)

La réalisatrice raconte au début de son film qu'elle a tenté en vain de se rendre à Gaza via l'Egypte. Au Caire, elle a rencontré des réfugiés palestiniens qui lui ont permis d'entrer en contact avec Fatima Hassouna. Elle demande alors à la jeune photographe de filmer Gaza, chose désormais impossible pour les étrangers. La jeune femme, qui veut absolument documenter ce que subit son peuple, accepte. Le documentaire témoigne de sa vie depuis le déclenchement de la guerre, après l'attaque terroriste du Hamas du 7 octobre 2023, mais aussi de la naissance de leur amitié par écran interposé. Les deux femmes échangent en anglais. 

Ce qui frappe, c'est le sourire éclatant de Fatem. Un sourire immense, dévorant qui éclaire son visage d'une lumière de madone. Coquette, elle porte des voiles colorés et des lunettes masquent souvent ses grands yeux verts. Autour d’elle, on aperçoit parfois des enfants, ses deux frères âgés de 20 et 15 ans, son père. A partir du 24 avril 2024, dès que la connexion internet le permet, Fatma raconte à Sepideh, avec une intelligence rare, ce qu’elle traverse. Cette femme engagée n’ignore jamais qu’elle est filmée. En se confiant à Sepideh, c’est à nous qu’elle s’adresse. Elle dit en parlant des Palestiniens : On est des gens importants dans le monde (…) On va rire et vivre notre vie, qu’ils le veillent ou non. Au début du film, Fatem a déjà perdu 13 êtres chers dont une tante, décapitée par un bombardement.  Les questions simples de la réalisatrice sont celles que nous pouvons nous poser en regardant à la télévision les terrifiantes images de la bande de Gaza dévastée : que buvez-vous, que mangez-vous, où vous cachez-vous, as-tu peur ?

Quelques faiblesses techniques

La grande limite du documentaire est sa qualité technique. Tout semble bricolé et improvisé, comme dans ces vidéos amateurs qu’on trouve sur les réseaux sociaux. La réalisatrice a filmé l’écran de son téléphone, sans effort de mise en scène particulier, sans trépied. Les images tressautent en permanence, ce qui nuit non seulement au confort mais à la compréhension du film. Plusieurs spectateurs, lassés, sont même sortis de la salle. Sepideh Farsi insiste sur les ruptures de connexion, la difficulté pour Fatma Hassona de nous envoyer son témoignage mais était-il nécessaire de le faire de façon aussi récurrente ?

Fatma Hassouna et son frère dans le film documentaire "Put Your Soul on Your Hand and Walk" de Sepideh Farsi sorti en 2025. (RÊVES D'EAU PRODUCTIONS)
Fatma Hassouna et son frère dans le film documentaire "Put Your Soul on Your Hand and Walk" de Sepideh Farsi sorti en 2025. (RÊVES D'EAU PRODUCTIONS)

Malgré ces faiblesses, il est indispensable d'écouter Fatem jusqu'au bout. D'entendre ses rêves de voyage à Rome, de poulet et de chocolat. De comprendre les ressorts de sa résistance. De l'écouter chanter. De voir son sourire peu à peu s'effacer, la fatigue s'installer en même temps que la dépression. Il faut aller jusqu'à la fin pour admirer ses photos extraordinaires qui émaillent tout le film et pour découvrir ce long et terrifiant plan séquence dans les ruines de Gaza.

Le documentaire s'achève sur leur dernière conversation, le 15 avril 2025. La réalisatrice annonce à la jeune femme que leur film a été sélectionné pour le fameux Festival de Cannes. La Gazaouie peine d'abord à comprendre de quoi il s'agit avant de dire que "c'est génial" et qu'elle veut venir "bien sûr". A-t-elle vraiment cru qu'elle pourrait quitter l'enfer de Gaza ? La jeune femme est morte dans la nuit qui a suivi, victime avec ses frères et sœurs d'un bombardement. Seule sa mère a survécu. Nous ne verrons pas à Cannes le beau sourire de Fatem.

A propos de la guerre à Gaza, elle disait : "Je ne sais pas quand, mais je sais que ça finira." Depuis le 2 mars 2025, un blocus total imposé par Israël fait que plus rien n'entre sur le territoire. La famine qu'elle évoque dans ce film bouleversant, tue. Comme la peur et les bombes.

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