Festival de Cannes 2025 : avec "Romeria", Carla Simon raconte la quête des origines d'une orpheline de père et de mère, morts du sida dans le silence et la honte

Pour sa première sélection cannoise, la réalisatrice espagnole Carla Simon est directement propulsée en compétition.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Llucia Garcia dans "Romeria" de Carla Simon, présenté en compétition dans la 78e édition du Festival de Cannes, le 21 mai 2025. (QUIM VIVES / ELASTICA FILMS)
Llucia Garcia dans "Romeria" de Carla Simon, présenté en compétition dans la 78e édition du Festival de Cannes, le 21 mai 2025. (QUIM VIVES / ELASTICA FILMS)

Le nouveau film de la réalisatrice espagnole Carla Simon, présenté jeudi 21 mai en compétition au Festival de Cannes, reprend le fil d'Eté 93, son premier long-métrage, inspiré par sa propre histoire. Carla Simon a perdu ses deux parents du sida alors qu'elle n'était encore qu'une petite fille.

Dans Eté 93, elle avait raconté l'histoire de Frida, 6 ans, élevée par son oncle et sa tante à la suite de la mort de ses parents. Dans ce nouveau chapitre, l'orpheline est devenue une jeune fille. Elle s'appelle Marina et elle a besoin d'un document administratif pour obtenir une bourse pour ses études.  

Caméra en main et journal intime de sa mère en poche, Marina rend visite à sa famille paternelle, avec qui elle a perdu tout contact depuis la mort de ses parents. Son irruption dans cette famille nombreuse qui vit sous le joug d'un patriarche "odieux" fait ressurgir un passé que tous ont préféré enfouir.

Marina marche dans les pas de ses parents, attrape au vol les informations qui s'échappent souvent par inadvertance de la bouche de ses oncles, tantes, cousins. Elle filme les lieux dans lesquels ils ont vécu, et tente de recomposer ce qui s'est passé pour ses parents pendant les années qui ont précédé sa naissance, jusqu'à la mort de Fon, son père, toxicomane et fils maudit de la riche famille Peirero, et de sa mère, dont on lui dit qu'elle est son portrait craché.

Secrets de famille

Avec ce troisième film, la réalisatrice espagnole poursuit son travail cinématographique autobiographique. À travers ce récit intime, elle évoque la toxicomanie, et les années sida, qui ont fait des "ravages" dans la jeunesse des années 1980 et 1990. Contrairement à Alpha de Julia Ducournau, également en compétition présenté également dans cette 78e édition et s'attaquant au sida, la réalisatrice espagnole ne montre pas frontalement la maladie, mais évoque tout ce qu'elle a charrié de honte, de non-dits, de peurs, à l'intérieur des familles.

"Mes parents étaient jeunes lors de la transition démocratique de l'Espagne des années 1980, une période de liberté et d'expérimentation pendant laquelle la jeunesse s'est détachée des valeurs héritées d'une société profondément catholique et conservatrice", souligne la réalisatrice dans la présentation du film. "Cependant, cette période de liberté tant attendue, connue sous le nom de "La Movida", a également entraîné l'explosion de la consommation de l'héroïne, faisant de l'Espagne le plus haut taux de mortalité lié au sida en Europe. Cependant, ces histoires ont souvent été réduites au silence", explique Carla Simon.

Le film se déploie sur plusieurs temporalités, que la réalisatrice entremêle habilement sans nous perdre avec des dipositifs de mise en scène habiles. La narration navigue entre le présent, 2004, et les années 1980. Pour figurer le passé, la réalisatrice joue des images capturées par Marina avec son caméscope, maladroites et poétiques, sur lesquelles dansent les mots du journal intime de sa mère, comme un fil rouge pour remonter le temps. Pour traverser les époques, la réalisatrice invite aussi un chat.

La réparation

Puis peu à peu, au fil de son enquête, Marina peut imaginer la vie de ses parents. Les mots de sa mère se transforment en images, à la tonalité légèrement texturée et surexposée. Ces deux temps, celui du passé de ses parents, et du présent de Marina, se télescopent. La jeune fille peut enfin rencontrer ce couple d'amoureux qui lui a donné la vie, et reconstituer une forme de vérité sur cette histoire longtemps tue, ou réécrite par la famille.

L'émotion surgit là où on ne l'attend pas, dans un bureau austère où les choses sont dites, la filiation reconnue, et la honte expurgée, tout cela consigné noir sur blanc par un notaire. Une réparation pour tout le monde.

Llucia Garcia et Mitch Robles dans "Romeria" de Carla Simon, présenté en compétition dans la 78e édition du Festival de Cannes, le 21 mai 2025. (QUIM VIVES / ELASTICA FILMS)
Llucia Garcia et Mitch Robles dans "Romeria" de Carla Simon, présenté en compétition dans la 78e édition du Festival de Cannes, le 21 mai 2025. (QUIM VIVES / ELASTICA FILMS)

Avec ce film à la fois intime et sociétal, porté par la grâce de la jeune comédienne Llucia Garcia, la réalisatrice espagnole de 38 ans confirme une signature cinématographique. Elle avait déjà tapé dans l'œil du jury de la Berlinale, où elle a obtenu en 2022 l'Ours d'or pour son deuxième long-métrage, Nos soleils, un film moins personnel qui racontait le quotidien d'une famille d'agriculteurs catalans confrontée à la modernisation de leur exploitation.

La fiche

Genre : Drame
Réalisation : Carla Simon
Avec : Llucia Garcia, Mitch Robles, Tristan Ulloa
Pays : Espagne, Allemagne
Durée :
1h55
Sortie :
Prochainement en salle
Distributeur :
Ad Vitam

Synopsis : Afin d'obtenir un document d'état civil pour ses études supérieures, Marina, adoptée depuis l'enfance, doit renouer avec une partie de sa véritable famille. Guidée par le journal intime de sa mère qui ne l'a jamais quittée, elle se rend sur la côte atlantique et rencontre tout un pan de sa famille paternelle qu'elle ne connaît pas. L'arrivée de Marina va faire ressurgir le passé. En ravivant le souvenir de ses parents, elle va découvrir les secrets de cette famille, les non-dits et les hontes…

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