Reportage Festival d'Annecy 2025 : un marché en berne, des studios en difficulté, le secteur de l'animation touché par une crise massive

Depuis un an, le marché du cinéma d'animation est en récession faute de commandes des plateformes américaines. Après une période faste, rachats, redressements et même liquidations sont désormais monnaie courante au sein d'un secteur saturé.

Article rédigé par Zoé Ayad
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
File d'attente pour une projection au Festival international du film d'animation d'Annecy, le 13 juin 2023. (BENOIT PAVAN / HANS LUCAS)
File d'attente pour une projection au Festival international du film d'animation d'Annecy, le 13 juin 2023. (BENOIT PAVAN / HANS LUCAS)

L'année avait pourtant bien commencé. En janvier, le long-métrage d'animation Flow remporte un Golden Globe, puis s'impose dans deux catégories aux Oscars. En lice pour la statuette du meilleur film étranger, le long-métrage letton repart avec le prix du meilleur film d'animation face à Vice-versa 2, Mémoires d'un escargot et Le Robot sauvage.

À Annecy, lors de la cérémonie d'ouverture du Festival international du film d'animation, Dominique Puthod, président de la Citia, (Cité de l'image et de l'industrie créative) et conseiller départemental ne cache pas sa fierté : c'est grâce au festival que le réalisateur de Flow, Gints Zilbalodis, a été remarqué avec son premier film, Ailleurs pour lequel il a reçu un prix en 2019. Focalisé sur l'avenir du cinéma d'animation, il conçoit le festival d'Annecy comme "le futur de la filiale".

Au côté du directeur du festival Mickaël Marin, Dominique Puthod prendra la tête de la future Cité internationale du cinéma d'animation qui ouvrira ses portes, dans les anciens Haras de la ville, l'année prochaine afin qu'"Annecy ne soit plus la capitale de l'animation sept jours par an mais 365 jours sur 365". Alors, le cinéma d'animation va-t-il se couler des beaux jours sous le soleil annécien ?

Le festival assume cette ambition, encouragé par ses 18 000 accrédités et les 117 pays représentés. Pourtant, une crise majeure touche le secteur du cinéma d'animation, en grande difficulté. L'année dernière, le studio Technicolor Group a été vendu à la découpe, TeamTO quant à lui a été racheté pour échapper à la liquidation. Les studios Solid Anim Paris et Digital District ont été placés en redressement, tandis que la société malouine o2o (Idéfix et les irréductibles) n'a pas survécu à la crise.

Scénario de crise

Face à cette situation, le directeur du festival ne se voile pas la face. "Il y a effectivement une crise majeure en France, reconnaît-il. C'est le résultat d'une correction du marché post-covid causée par la baisse de commandes des plateformes." L'éclatement de la bulle a été d'autant plus important que les studios encouragés par l'engouement pour l'animation pendant la pandémie ont développé leur activité et recruté pour répondre à la demande. Depuis, les plateformes privilégient la rentabilité à la diversité de l'offre.

Optimiste, Mickaël Marin espère un retour à la normale et mise sur le festival pour donner un coup de pouce aux studios par l'intermédiaire de sa branche économique : le Marché international du film d'animation. Pour la première fois le Mifa, qui fête ses 40 ans, lance des rencontres entre distributeurs et exploitants. Une nouveauté imaginée pour accompagner les films jusqu'à la salle et mieux cibler les publics. En plus d'une passerelle entre studios et distributeurs, le Marché international du film d'animation accueille aussi 4 500 étudiants qui tentent leur chance auprès de potentiels employeurs.

Étudiant cherche employeur

Installé dans l'imposant Impérial Palace, le Mifa domine le lac d'Annecy. À l’intérieur, l'ambiance est moins conquérante. Conscients des difficultés du marché de nombreux étudiants s'échinent à trouver un emploi. Enseignante aux Gobelins, Giuseppina Marrone confirme : "Ils doivent mettre les bouchées doubles." Bientôt diplômée des Ateliers de Sèvres, Iris s'est résignée : "C'est rare de trouver un contrat dans les six mois, au-delà du travail et de l'investissement c'est beaucoup de chance."

Fini l'époque de la voie royale du CDI en sortie d'école, désormais la concurrence est rude et beaucoup plus élevée qu'auparavant. La filière d'Iris en 2D et 3D est passée de 15 élèves à deux classes de 25 étudiants. "Les studios ont le choix parmi un énorme panel, et favorisent le top du panier, s'inquiète la jeune fille. On attend de nous de l'expérience mais sans nous donner notre chance c'est compliqué." Cet avenir incertain pousse certains jeunes à changer d'orientation, ou à faire une pause."De nombreux étudiants prennent un job alimentaire en attendant un contrat", ajoute Iris. Un contexte qui ne réfrène pas la jeune fille venue au festival présenter son école au public.

Le Marché international du film d'animation, à l'Impérial Palace d'Annecy, le mardi 10 juin. (ZOE AYAD)
Le Marché international du film d'animation, à l'Impérial Palace d'Annecy, le mardi 10 juin. (ZOE AYAD)

De son côté Bastien anticipe, il s'est rendu au Mifa avec un objectif clair : faire du réseautage. Étudiant en 4ème année à ECV à Aix, il reste encore un an d'études au jeune homme de 24 ans avant d'entrer sur le marché du travail. "On ressent la crise, les professionnels parlent d'une reprise d'activité courant 2026 mais en attendant il faut bosser et se démarquer du lot", affirme Bastien. Aujourd'hui, il est venu présenter son portfolio au studio Dwarf Animation, pour recevoir des conseils et peut-être se faire repérer par un membre du staff. Et ça tombe bien, le studio (crée en 2010) vient de signer un long-métrage et lance au Mifa une campagne de recrutement, une lueur d'espoir dans ce contexte.

"Sur le film il y aura tous les profils, du junior au senior", s'enthousiasme Belisaire Earl. L'équipe refuse de nombreux CV papier, de crainte qu'ils soient perdus et renvoie les étudiants vers le QR code dédié aux offres d'emploi. "Nous recevons énormément de candidatures, et comme nous refusons d'utiliser l'intelligence artificielle pour les trier, le recrutement prend beaucoup de temps", avoue le salarié du studio Dwarf. À côté, Bastien montre son travail à un autre membre de l'équipe qui le conseille sur son style. Malheureusement, en ce premier jour du Mifa, le recrutement de la société d'animation s'adresse uniquement aux mids (catégorie entre junior et senior) et aux seniors pour former la base de l'équipe, pas de postes juniors à pourvoir, donc.

"J'ai des seniors qui viennent postuler en mid", constate Bélisaire Earl. Un autre problème lié à la crise, avec la fermeture des studios de nombreux employés aguerris se retrouvent sur le marché de l'emploi et concurrencent les étudiants. "Il ne faut pas profiter de cette situation pour baisser les salaires au même niveau de compétence", insiste l'employé de Dwarf. Iris en a conscience : "À ce stade, il n'y a même pas de compétition, les seniors passent en premier et nous, on récupère les miettes." Chez Dwarf, les recruteurs sont tout de même à l'affût de jeunes talents, et repèrent les prodiges de demain, "j'ai quelques candidats intéressants", conclut Bélisaire Earl.

Succès éclair

Dans ce marasme, les studios se tournent vers des projets à faible investissement. Un espoir pour les étudiants et pour le secteur qui mise sur les jeunes talents pour redresser la filière. "Le succès de Flow montre qu'un film à budget modeste peut conquérir le marché", souligne Mickaël Marin. Cette année, le long-métrage Amélie et la métaphysique des tubes peut aspirer à une trajectoire similaire. Premier film de Mailys Vallade et Liane-Cho Han, cette adaptation du roman d'Amélie Nothomb fait déjà parler de lui en de très bons termes.

Âgée de 29 ans, Émilie Tronche a aussi connu un succès éclair. La créatrice de la série Samuel est repérée par Arte sur les réseaux sociaux, depuis sa série animée cumule 25 millions de vues sur le site. À l'affiche d'une exposition aux Nouvelles Galeries, elle raconte son parcours à des étudiants admiratifs, dont Lisa. "Elle est très inspirante, elle a créé Samuel pour se faire plaisir à l'origine, et ça a fait décoller sa carrière", observe l'étudiante de 23 ans. L'âge d'Émilie Tronche lorsqu'elle a imaginé Samuel, en sortie d'école.

Pour beaucoup la crise actuelle n'est qu'une mauvaise passe au sein d'un secteur résilient qui espère une reprise d'activité courant 2026. Le directeur du festival, Mickaël Marin n'a pas de doute : "Il y aura plein d'autres Samuel."

Croisée en projection, Camille étudiante en animation à Rubika et spécialisée en jeux vidéo, un autre secteur en crise, est venue apprécier les courts-métrages de fin d'études des étudiants. La jeune fille compte bien profiter du festival, les candidatures seront pour plus tard.

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