Cannes 2017 : "Faute d'amour", la Russie contemporaine à la lumière d'un drame familial
Avant "Faute d'amour", Andrei Zvyagintsev a concouru deux fois pour la Palme d’or : en 2007 avec "Le Retour" et en 2014 avec "Leviathan" qui a reçu le Prix du scénario. Au 64e Festival, "Elena" avait été récompensé par le Prix spécial du jury de la section Un certain regard. Le réalisateur russe poursuit son analyse de la Russie contemporaine à travers des crises familiales conflictuelles. Âpre.
L’ombre de Tarkovski
Andrei Zvyagintsev, cinéaste exigeant sans concession, fait un pas de plus dans sa radicalité avec "Faute d'amour", premier film de la compétition. Sur la corruption locale en Russie entraînant la perte d'une famille propriétaire d’un garage, "Leviathan" sauvegardait des moments de détente, telle la scène de ball-trap sur les portraits des présidents soviétiques successifs, qui épargnait Gorbatchev. Plus question ici d’une telle légèreté. Tout est grave, violent en acte et en parole, tendu, autour de la disparition d’un enfant de 12 ans, dont le divorce de ses parents tourne au pugilat rancunier.
Pas facile d’entraîner les foules avec un tel sujet et un traitement d’une sobriété exemplaire, aux fulgurances picturales constantes, proches d’un Tarkovski ("Stalker", "Le Sacrifice") qui aurait troqué le mysticisme pour le social et le politique. Comme le réalisateur de "Nostalghia", Zvyagintsev est un contemplatif. Il laisse le temps au temps, étire ses plans d’une beauté étonnante qui génèrent une poésie du quotidien, là où on ne l’attend pas. Il bouscule les règles en montrant un homme faire l’amour à une femme en fin de grossesse, avec la plus grande pudeur, tout en étant explicite.
Shakespearien
Andrei Zvyagintsev brise les tabous et donne un point de vue lucide et sincère sur l’état de son pays qu’il aime, allant à l’encontre d’une politique qu’il ne cautionne visiblement pas, via un sujet détourné. "Faute d'amour" se déroule durant l’apogée de l’intervention russe en Ukraine. La disparition d’Aliocha, auquel ni le père ni la mère ne s’intéressent, en disputes répétitives (euphémisme), pour mieux refaire leur vie, renvoie au conflit politique et armé qui a enflammé la Fédération. Le Kremlin n’a jamais cessé d’entretenir un amour/haine pour toute les composantes de la Russie, dans la crainte de sont démantèlement. Avec le désintérêt pour l’enfant, qui apparaît très peu avant de disparaitre à jamais, Zvyagintsev symbolise le désamour de la Russie pour ses enfants.
La dernière scène est éloquente. Sur fond de reportages télévisés que regardent des protagonistes sur la crise ukrainienne et leurs commentaires lapidaires, des protagonistes apathiques recroquevillés sur eux-mêmes, et le jogging de l’équipe sportive de Russie que porte Genia : tout est dit. Comme lors des premiers plans figurant de curieux arbres horizontaux penchés sur les deux berges d’une rivière, dont les branches tentent de se rapprocher sans jamais y parvenir, au-dessus de l’eau. Ce sont aussi les derniers plans, splendides, du film. Aux côtés des symboles, les acteurs se donnent pleinement dans ce drame métaphorique, où les monarques shakespeariens de royaumes "pourris" seraient remplacés par les sujets d’une Fédération déconfite.
LA FICHE
Réalisateur : Andrei Zvyagintsev
Pays : Russie, France, Allemagne, Belgique
Acteurs : Djan Badmaev
Durée : 2h08
Synopsis : Boris et Zhenya sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme enceinte et Zhenya fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser... Aucun des deux ne semble avoir d'intérêt pour Aliocha, leur fils de 12 ans. Jusqu'à ce qu'il disparaisse.
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