Avec sa BD "Mauvaise fortune", Fano Loco réinvente le western pour dessiner la sauvagerie colonialiste et capitaliste de l'Amérique du début du XXe siècle

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
Page intérieure de l'album "Mauvaise fortune", de Fano Loco, paru le 19 septembre 2025 aux éditions Nada. (FANO LOCO)
Page intérieure de l'album "Mauvaise fortune", de Fano Loco, paru le 19 septembre 2025 aux éditions Nada. (FANO LOCO)

À travers le destin de deux héros archétypaux de l'histoire des États-Unis, Fano Loco dessine une aventure pleine de rebondissements, portée par un message politique assumé.

À travers la rencontre improbable d'un Indien rescapé du massacre de sa tribu, et d'une révolutionnaire mexicaine, ce western revisité nous plonge dans la violence de l'Amérique des pionniers. Mauvaise fortune est paru vendredi 19 septembre aux éditions Nada.

L'histoire commence au début du XXe siècle. "Avec le nickel, on fait de la monnaie, avec les Indiens, on ne fait rien." Une raison suffisante pour bafouer les traités signés avec les autochtones, et exterminer toute la population d'une réserve, Last Drop, dans le Dakota du Sud. Le jeune Morning Bird est le seul à échapper au massacre de sa tribu.

Après un séjour chez les bonnes sœurs, un passage dans les abattoirs de Chicago puis un périple qui le conduit jusqu'au Nouveau-Mexique, Morning Bird fait la connaissance d'Adelita, une serveuse au caractère bien trempé, qui s'est engagée dans la révolution mexicaine, frustrée d'être reléguée en deuxième rideau, et constamment contrainte de réfréner les assauts de la gent masculine. Embauchés pour un show loterie destiné à "vendre du rêve", Morning Bird et Adelita sont réunis par Garrett, un escroc au service de ceux qui dominent le monde du haut de leur gratte-ciel new-yorkais.

Western Zapata

Avec ce roman graphique, Fano Loco nous embarque dans les prémices d'une histoire qui éclaire l'Amérique d'aujourd'hui. "L'envie de faire ce livre m'est venue en voyant El Chuncho, un western Zapata (la version mexicaine du western spaghetti)", confie Fano Loco.

"Ça m'a donné envie de traiter de cette période de l'histoire. Au départ, je voulais dessiner une attaque de train, mais j'ai commencé à me documenter. J'ai lu des livres sur la révolution mexicaine, et sur le capitalisme sauvage de la fin XIXe siècle. Je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup trop de choses à dire sur cette époque, et le scénario a évolué", poursuit-il en souriant.

"Mauvaise fortune", page 125. (FANO LOCO)
"Mauvaise fortune", page 125. (FANO LOCO)

Pour raconter cette histoire, l'auteur s'empare du western, de ses codes, pour mieux les détourner. "Le western, c'est toute une imagerie au service de la propagande qui vend du rêve américain, de la modernité, de la liberté, avec des stéréotypes, une représentation des femmes hypersexualisée, essentialisée. Tout ça, j'avais envie de le détourner, pour raconter une histoire beaucoup plus réaliste", explique Fano Loco.

Pour casser cette imagerie stéréotypée, Fano Loco s'est appuyé sur une iconographie de l'époque. "Sur les photos, ce qu'on voit, ce sont des gueules cassées, ils n'ont plus de dents, même jeunes, ils ont déjà l'air à moitié morts", souligne-t-il. "On est loin des archétypes des westerns".

"Il n'était pas question d'esthétiser la saleté"

Cette rudesse, on la retrouve dans le trait vif, à la serpe, expressionniste, du dessinateur, qui ne cherche pas à faire joli pour raconter cette sombre histoire. "C'est une époque dure, et sale, et donc il n'était pas question d'esthétiser la saleté", affirme Fano Loco. "Ni d'esthétiser leur aventure. C'est plutôt dans l'esprit du roman noir. Ce ne sont pas deux héros avec une ligne de conduite, ce sont des héros balancés dans la lessiveuse", explique Fano Loco.

"La rencontre entre ces deux personnages, c'est une manière de balayer toutes les violences, et le cynisme de l'époque", explique l'auteur, qui précise n'avoir pas cherché pour cette raison à fabriquer derrière son histoire "un discours trop construit". Si les deux personnages sont des acteurs d'une révolution en marche, c'est bien sans le savoir. "Ils n'ont ni les mots, ni le vocabulaire, ni la culture pour ça. C'est l'action, et leur vécu, qui en fait des révolutionnaires", explique l'auteur. "Et ce sont les générations d'après qui porteront leur héritage".

Une histoire nourrie par la violence, les armes à feu, et du sang des autochtones, qui irriguent l'Amérique d'aujourd'hui. "On compte deux tueries de masse par mois aux États-Unis", souligne l'auteur. "Le vecteur de cette violence, c'est la peur. La peur de perdre ce qui a été acquis par la force", conclut Fano Loco, qui assume son engagement, et celui de sa maison d'édition, avec un album plein d'ironie et d'humour, très soigné graphiquement, qui décortique sans faire de quartiers les fondements d'une Amérique toujours malade de ses origines.

Couverture de l'album BD "Mauvaise fortune" de Fano Loco, paru le 19 septembre 2025. (NADA EDITIONS)
Couverture de l'album BD "Mauvaise fortune" de Fano Loco, paru le 19 septembre 2025. (NADA EDITIONS)

"Mauvaise fortune" de Fano Loco, Éditions Nada, 19x26 cm, 176 pages, 25 euros

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